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Démographie. 30 % d'habitants en moins en 2055 : la dénatalité affole la population nippone.

Le Japonais en voie de disparition




Par Michel TEMMAN

Ce n'est pas la thèse d'un nouvel essai futuriste. Encore moins le scénario d'un film de science-fiction. C'est la conclusion très sérieuse d'un rapport du gouvernement japonais. D'ici à 2055, au rythme démographique actuel, la population du Japon devrait avoir chuté de presque 30 %, entraînant de profonds bouleversements sur le marché du travail, dans le financement des retraites, ainsi qu'une hausse considérable des dépenses de santé. Cette sombre perspective en forme d'alerte est celle d'un rapport du ministère de la Santé, dévoilé il y a quelques jours à Tokyo. Son contenu, jugé «choquant» par les médias, a fait l'effet d'un électrochoc dans la population.
«Célibataires parasites». Selon ce rapport, le déclin de la population nippone va être bien plus rapide et plus grave que prévu. Dans cinquante ans, à moins que les Japonais ne modifient de fond en comble leurs choix familiaux et leur style de vie, la population de l'archipel passera sous la barre psychologique des 100 millions d'habitants, pour atteindre 89,9 millions d'habitants, contre 127,7 millions aujourd'hui. Pis : passé ce seuil, la situation ne s'améliorera guère. D'après une autre projection, si le taux de fécondité du pays (1,27 enfant par femme actuellement) demeure trop faible, le Japon ne comptera plus que 60 millions d'habitants en 2100. Car, dès 2055, le Japon abritera 36 millions d'individus âgés de 65 ans et plus (soit 40 % de la population totale), contre 25,7 millions aujourd'hui.
Comment en est-on arrivé là ? Dans le monde du travail, rien n'est fait pour inverser la tendance. Encore 70 % des femmes actives démissionnent quand elles veulent avoir un enfant ou lorsqu'elles tombent enceintes. Tandis qu'un nombre grandissant de jeunes femmes * qualifiées pour certaines de «célibataires parasites», car elles habitent encore chez leurs parents * préfèrent mener leur carrière plutôt que de se marier et d'avoir un enfant. Par ailleurs, le système éducatif est hors de prix, du jardin d'enfants à l'université. Et la société nippone devient beaucoup plus épicurienne : les jeunes ont d'abord envie de profiter de la vie.
Les conclusions du rapport sont sans appel. A moins que le Japon n'autorise un afflux massif d'immigrants sur son territoire * ce à quoi le pays n'est pas prêt (il renvoie même parfois sans scrupule ses réfugiés politiques dans leurs pays d'origine) *, sa population flanchera inexorablement, déstabilisant son économie, qui est encore la deuxième mondiale.
Plus de décès que de naissances. Si le taux de fécondité nippon (le plus faible du monde avec celui de la Corée du Sud) est en chute depuis le début des années 70, le déclin de la population a débuté en 2004 : l'année suivante, le Japon a perdu environ 22 000 habitants. La fécondité est alors tombée à 1,25 enfant par femme en âge de procréer. L'archipel a, depuis, reculé au dixième rang des pays les plus peuplés, derrière le Nigeria.
Tout au long de l'année 2006, le Japon, pays aux 30 000 centenaires, a néanmoins connu quelques sursauts démographiques. Grâce à un meilleur environnement économique, il a enregistré une triple hausse du nombre de ses naissances, de son taux de fécondité (à 1,27) et de ses mariages (732 000). Des résultats encourageants. Mais insuffisants pour enrayer le déclin. En 2006, pour la deuxième année d'affilée, le nombre des décès s'est montré supérieur à celui des naissances.
Urgence. Pour beaucoup d'observateurs à Tokyo, le Japon est entré dans «l'ère de la diminution démographique». C'est donc naturellement que le débat redouble de vigueur, au Japon, sur l'avenir du leadership nippon en Asie. Certains opposants au Premier ministre Shinzo Abe (marié mais sans enfant) critiquent sa volonté de faire du Japon «un beau pays» sans engager de mesures draconiennes pour régler l'épineuse question de la dénatalité. D'après un sondage récent, 80 % des Japonais sont «très préoccupés» par le sujet. Inversement, la Chine voisine, partenaire et rivale, enregistre une croissance record de son PIB tout en poursuivant sa politique de l'enfant unique pour maîtriser sa population.
Début décembre, un livre blanc du gouvernement a préconisé des actions d'urgence. Les premières mesures furent prises dès 2004 par l'ex-ministre de la Famille et de la Natalité, Kuniko Inoguchi, première femme à avoir occupé ce poste créé par l'ex-gouvernement Koizumi. Il s'agissait d'aides aux jeunes parents, de subventions destinées à multiplier le nombre des crèches ou à permettre aux mères de continuer à travailler si elles le veulent. «Ces mesures commencent à faire effet, explique l'intéressée, aujourd'hui parlementaire. Renverser la tendance générale n'est pas simple. Cela sera long et ardu. Nous étudions ce qui se passe dans certains pays comme la France, qui connaît un nouveau baby-boom, ou la Suède, à la pointe en matière sociale. Le Japon doit poursuivre ses efforts et aller plus loin. Il est important, par exemple, de favoriser dans notre pays la parité entre hommes et femmes. C'est aussi en luttant contre la misogynie dominante dans notre pays que l'on peut aider les jeunes mamans à avoir un enfant, voire plusieurs.» La course contre la montre est engagée pour éviter l'implosion démographique.


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Sly.