Il est desormais bien vu de dire qu'il est enrichissant d'habiter a l'etranger. Cela est meme tellement bien vu que nos dirigeants nationaux n'ont pas assez de mots pour y inciter la jeunesse francaise... quand ce n'est pas pour deplorer la fuite des cerveaux. Messieurs les politiciens s'il vous plait, mettez-vous d'accord et surtout ne vous melez pas de dire aux autres de faire ce que vous n'avez pas eu le cran de faire vous-meme !
Bref, partir habiter a l'etranger est une decision lourde de consequence, on ne le rappellera jamais assez, mais ce n'est pas tout l'objet de mon propos d'aujourd'hui. Je voudrais en effet aborder le probleme du choc, non de l'installation, mais du retour episodique en France.
En effet, partir resider au Japon pour un an ou sans limite en tete est fort different, les repercutions psychologiques sont loins d'etre egales bien qu'on voie parfois des expatries pourtant beneficiaires de bons emplois, craquer de la tete apres quelques mois seulement.
Il n'empeche que partir "pour au moins trois an" entraine une tension particuliere, car des lors, il est primordial de trouver sa place dans la societe japonaise, ce qui n'est pas necessairement le cas pour ce qui est d'un sejour court (on voyage beaucoup, economise peu, et reste parfois en contact etroit avec la communaute francaise, etc.). Les frictions de culture se font plus sensibles, les desaccords intellectuels plus cuisants... et les petites habitudes attachees a sa vie francaise s'estompent pour faire de la place aux nouvelles venues.
Prenons l'exemple tout bete du metro. De retour en France il arrive que l'on soit stresse de n'avoir pu acheter un ticket de metro pour un parcours plus long que celui couvert par sa carte orange, on sue litteralement a la seule pensee que l'on puisse se faire attraper par un controleur. Au Japon, rien de tout cela puisqu'on peut ajuster le prix du trajet en fin de parcours. Autre chose: la vitesse de validation des portes automatiques japonaises est bien superieure a celle des portes automatiques francaises. Attention donc aux accidents pour qui se deshabituerait des machines du metro parisien...
Voila des petites choses vraiment betes mais qui peuvent vous faire toucher du doigt a quel point et avec quelle vitesse on peut perdre des habitudes que l'on croyait a tord, ancrees pour toujours.
Outre les pertes d'habitudes francaises, il y a le choc meme du retour au pays pour les premieres vacances, surtout si vous etes restes hors de France plus d'un an.
Un ami me raconte un jour, qu'arrive a l'aeroport Roissy-Charles-de-Gaule, une envie soudaine de pain au chocolat le tenaille, il lui en faut un tout de suite comme pris d'une envie de femme enceinte. Il se rend donc a la patisserie des lieux et commande "sa chocolatine". On la lui emballe et on annonce le prix (alors, en francs): 8 fr. L'ami tend un billet de 50fr. (1000 petits yens) n'ayant rien d'autre au sortir de l'avion, et la, bien entendu, il a droit a une reflexion aigrie et insolente: vous n'avez rien de plus gros !
L'ami m'a dit qu'a ce moment precis, il venait de realiser qu'il etait bien en France.
Un cas m'ayant touche maintenant.
J'arrive en France tres tot le matin, et tout de suite, je demande a mes parents venus me chercher a l'aeroport, de me deposer a Montparnasse. La journee promet d'etre ensoleillee, et comme je n'ai pas beaucoup de jours de vacances, je decide de ne pas perdre une occasion de me promener tranquillement. Je descends la rue de Rennes puis je bifurque en direction du parc du Luxembourg. A mi-chemin, tout le monde est arrete par des policiers qui ont ordre de neutraliser la rue principale pour laisser passer les voitures de ces messieurs du Senat. Leur route est degagee, mais pourquoi n'a-t-on pas le droit de traverser les rues adjacentes? Mystere de la logique policiere. Apres avoir assez attendu que la moindre voiture passe, je le fais savoir a la fliquette qui m'interdit de traverser ma rue, vide et neutralisee. L'agent du maintient de l'Ordre (!!?) me repond sur un ton impertinent qui appelle de ma part une replique sans appel. Les autres passants qui trouvaient aussi un peu gros qu'on les empeche de poursuivre leur route bien qu'elle ne coupe pas le parcours du convoi officiel, commencent a me soutenir. Finalement, j'estime que j'en ai deja assez supporte, et je traverse. La policiere essaye de s'y opposer, mais deja plusieurs parisiens m'emboitent le pas, la liberte est recouvree pour quelques dizaines de metres... Mais pas pour longtemps donc car j'arrive aux abords de ce satane Senat, et a peine ai-je pose un pied sur le trottoir qui longe le Jardin du Luxembourg, que j'entends une voix m'interpeler. Je me retourne sans penser que c'est a moi que s'adresse cette invective cavaliere, et je decouvre plusieurs agents des forces de l'Ordre dont l'un me signifie que je ne peux pas marcher sur ce trottoir et que je dois emprunter celui qui se trouve derriere lui: en plein travaux, sale et defonce, et surtout bouillonnant d'une canalisation largement ouverte. Je demande une explication sur le ton, je l'avoue, du type qui commence a sentir la moutarde lui monter au nez (wasabi hana ni kuru) et on me fait comprendre que le trottoir propre est interdit le temps que les senateurs aient fini de passer, et que de toute facon il n'y a pas a chipoter les ordres. Apres une apres discussion, je lui fais savoir que les citoyens ne sont pas la pour obeir a des ordres ineptes et s'entendre parler comme a des suspects, sur quoi l'officier (il avait bien des galons) me dit de guerre lasse qu'il n'est pas la pour discuter avec moi, ce a quoi je retorque qu'il en serait bien incapable et je decide de prendre un chemin qui lui passe sous le pif, mais certainement pas celui qu'il m'indique du doigt.
Apres tant de desobligeance a l'egard du simple citoyen, et de deux experiences policieres agacantes en l'espace de 60 metres, a peine sorti de l'avion, j'ai moi aussi, enfin realise que j'etais de retour en France.
Avez-vous vous-meme ete victimes de ces petites contrarietes que l'on ressent O! combien plus vivement apres plusieurs mois passes au Japon ? Un vendeur insolent ? Un "gros billet" que l'on accepte de vous au magasin apres vous avoir devisage comme un truant devant toute la clientele ? Des infractions au code de la route liees au fait que vous n'avez plus l'habitude de rouler a droite ? Un panne du dimanche et pas de magasin ouvert ? Un distributeur automatique de billet qui refuse de vous donner plus de 150 euros alors qu'au Japon, vous auriez pu retirer 300.000 yens si ca vous chantait ? Une soif en plein soleil et pas un distributeur de boisson a l'horizon ? De grosses fautes d'accords grammaticaux ou une difficulte a comprendre ce que vous dit votre interlocuteur comme s'il parlait a 287km/h ?
Racontez-nous votre experience, qu'elle ne soit pas perdue pour ceux qui sont en train de preparer leur autre vie, au Japon.