Les Nord-Coréens du Japon exposés aux retombées de l'essai nucléaire
Shigemi SATO
Agence France-Presse
TOKYO
Cible de harcèlements et coupée de leur mère patrie à la suite de l'embargo décrété par le gouvernement de Tokyo, les Nord-Coréens du Japon sont touchés de plein fouet par les retombées de l'essai nucléaire de Pyongyang.
Au lendemain du test nucléaire du 9 octobre, Tokyo a adopté une ligne dure contre la dictature communiste nord-coréenne, imposant une série de nouvelles sanctions, dont un embargo commercial total.
Si ces mesures n'auront qu'un impact relatif sur la Corée du Nord en raison des maigres échanges bilatéraux, elles affectent profondément les membres de la communauté nord-coréenne établie au Japon, à l'instar de Mme Kang Shin-suk.
Jusqu'à récemment, Mme Kang avait l'habitude de retourner plusieurs fois par an en Corée du Nord, en prenant le "Mangyongbong", unique ferry faisant la liaison entre le Japon et son pays natal.
Aujourd'hui, l'arrêt des liaisons maritimes la prive de son fils qui vit à Pyongyang.
"Je veux y aller. Je dois y aller. Mon fils vit là-bas avec ses huit enfants. Ma
santé décline et je vais sans doute mourir bientôt ici", soupire Kang, âgée de 89 ans, qui habite une populeuse "Koreatown" au nord de Tokyo.
"La bombe atomique, on la fabrique partout de nos jours. Pourquoi faire un tel raffut quand elle est fabriquée là-bas (en Corée du Nord) ?", proteste-t-elle.
L'interdiction frappant le "Mangyongbong" supprime un lien vital par le biais duquel les Nord-Coréens du Japon faisaient transiter de l'
argent pour subvenir aux besoins de leurs familles restées dans un des pays les plus pauvres de la planète.
"Les sanctions touchent surtout les gens dont les proches ont émigré au Nord et qui doivent leur envoyer de l'argent pour les aider à survivre", témoigne un Sud-Coréen, Jong Kap-su.
Le fils de Mme Kang fait partie de ces 94.000 Coréens qui acceptèrent par patriotisme de retourner dans le "paradis du peuple" entre 1959 et 1987 aux termes d'un accord de la Croix rouge. La plupart n'ont jamais été autorisés à revenir au Japon.
En 2003, les Nord-Coréens du Japon ont fait passer l'équivalent de 2,6 milliards de yens (17 M euros) en argent et en biens de consommation via le "Mangyongbong", selon des statistiques japonaises.
Un transfuge nord-coréen a même assuré aux autorités américaines avoir vu des composants de missiles balistiques à son bord.
Le Japon est sur les dents à chaque regain de tension avec Pyongyang depuis le premier tir de missile balistique nord-coréen "Taepodong-1" en 1998.
Après l'essai nucléaire, la communauté nord-coréenne a été la cible de harcèlements, qui s'ajoutent à la discrimination latente dont ils sont victimes depuis la colonisation de la péninsule coréenne par le Japon (1910-45).
A plusieurs reprises, des militants ultra-nationalistes japonais ont bruyamment encerclé le siège de l'association "Chongryon", qui représente la communauté nord-coréenne et est considérée comme "l'
ambassade" de facto de la Corée du Nord au Japon en l'absence de relations diplomatiques.
Les écoles gérées par la "Chongryon" au Japon ont reçu des coups de fil menaçants, affirme à l'AFP Ri Tae-yong, porte-parole de l'association.
"Des élèves ont repéré un graffiti sur un panneau communautaire à Tokyo où il était écrit: +Les sanctions contre les bombes nucléaires. Oeil pour oeil+", dit-il.
Selon le dernier recensement, près de 600.000 Coréens, toutes origines confondues, vivaient au Japon à la fin 2005.