Des villes japonaises se mobilisent pour refuser de participer à la guerre
LE MONDE | 21.12.04 | 13h40
Tokyo de notre correspondant
Alors que le gouvernement japonais renforce sa stature militaire en s'écartant de la position strictement défensive de la politique de sécu-rité qui fut la sienne, des municipalités entendent se proclamer "villes ouvertes" en cas de conflit et revendiquer le droit de refuser de participer à une guerre. C'est le cas de Hirakata (400 000 habitants) dans la banlieue d'Osaka dont 18 000 habitants ont déposé une pétition auprès de l'assemblée locale, demandant qu'elle ouvre un
débat sur leur demande. Celui-ci a commencé le 9 décembre. Si le conseil municipal vote une déclaration de "non-belligérance", Hirakata sera la première municipalité du Japon à se proclamer collectivement "objecteur de conscience".
Le mouvement en faveur "de déclarations de zones de non-défense", lancé en mars, regroupe une quarantaine de municipalités parmi lesquelles un arrondissement de Tokyo dont les habitants ont lancé des campagnes de pétition et ont constitué un réseau national. Cette nouvelle forme de mouvement antiguerre est soutenue par les sociaux-démocrates et les communistes ; le parti centriste Komei et la première formation d'opposition, le Parti démocrate, sont hésitants ; quant à la majorité libérale-démocrate, elle le dédaigne. Alors que la décision de maintenir les troupes japonaises en Irak a fait brutalement chuter la popularité du premier ministre, Junichiro Koizumi, cette campagne pourrait s'étendre.
Les pétitionnaires se réfèrent à la Convention de Genève de 1949 sur la protection des victimes des conflits armés et à son protocole de juin 1977, qui ont été ratifiés par le Japon. Dans son article 59 de la Convention sur les "localités non défendues", il est stipulé que les belligérants n'ont pas le droit d'attaquer celles qui ont fait savoir qu'elles ne se défendraient pas. "Notre objectif est simple" explique maître Takeo Matsumoto, l'un des initiateurs du mouvement : "Le Japon est en
train de renier l'article 9 de sa Constitution par lequel il renonce à la guerre comme moyen de régler les différents internationaux. Or, en tant que citoyens, nous refusons de collaborer à une guerre et nous entendons le faire savoir avant qu'elle ne soit déclenchée."
A contre-courant du consensus mou qui prévaut dans l'Archipel - la majorité des Japonais sont hostiles au maintien de leurs troupes en Irak mais ne manifestent guère leur opposition -, "nous devons nous faire entendre individuellement et forcer nos municipalités à relayer nos voix", poursuit cet avocat des droits de l'homme qui depuis quarante ans a défendu des syndicalistes, les victimes du drame de la pollution à Minamata et les minorités discriminées.
Hirakata, cité dortoir d'Osaka, qui a fait partie autrefois de la "ceinture rouge" de la troisième ville du Japon, c'est-à-dire des municipalités dominées par les communistes et les socialistes, a un passé de ville militante : en 1982, elle s'est déclarée "ville pacifique et non nucléaire". Conscient de l'état d'esprit de ses habitants, le maire, Hitoshi Nakatsukasa, se retranche derrière la
législation sur l'autonomie locale pour déclarer irrecevable la démarche des pétitionnaires.
A Osaka, en dépit de 60 000 signatures, le conseil municipal a rejeté une pétition analogue. Au-delà du débat sur la recevabilité juridique de ces demandes, le mouvement des "villes ouvertes" est l'une des expressions d'un activisme citoyen, parcellaire, fragmenté, et le plus souvent ignoré des médias, dont les réseaux innervent néanmoins en profondeur la démocratie japonaise et que le pouvoir politique est progressivement contraint de prendre en compte.
Philippe Pons
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 22.12.04