• Des bâtiments écolos

    Le secteur du bâtiment consomme autant d’énergie que celui des transports. Il est donc grand temps de l’inclure pour de bon dans tous les calculs sur le développement durable.

    Selon Le Corbusier, urbaniste et architecte européen éminent (bien que controversé), les bâtiments étaient des « machines à habiter », vouées à la destruction une fois leur temps révolu. Il eut un jour ce mot fameux: pourquoi devrions-nous laisser nos bâtiments en héritage, alors que nous ne faisons pas don de nos corps?

    Le fait est que les constructions se transmettent de génération en génération. Le concept de « bâtiment écologiquement viable » prend en compte les conséquences économiques, sociales et environnementales des bâtiments et des activités qui leur sont associées. Plus de la moitié de la population mondiale vit en effet dans des zones urbaines. Qu’ils soient dans des métropoles, des villes ou des villages, les logements, usines et bureaux doivent être chauffés, éclairés, nettoyés, gérés, entretenus, rénovés, reconstruits ou conservés. Les bâtiments consomment. Pour alimenter les équipements de bureau, les appareils de télévision ou encore l’éclairage électrique, ils brûlent toutes sortes de combustibles, depuis le bois jusqu’aux réserves énergétiques fossiles. Cette utilisation contribue à l’émission de gaz à effet de serre, alors que les systèmes de réfrigération et de climatisation aggravent le problème de l’ozone.

    L’exploitation des bâtiments représente 25 à 40% de la consommation énergétique finale dans la zone de l’OCDE; des chiffres comparables à ceux du secteur des transports. Encore ce calcul ne tient-il pas compte de l’énergie consommée pour fabriquer les matériaux de construction, etc. Dans certains pays de l’OCDE, la construction des bâtiments et des infrastructures absorberait la moitié de l’ensemble des matériaux consommés. Sans parler des déchets qui doivent être gérés et réduits au minimum. L’insécurité des bâtiments est aussi un sujet de préoccupation, comme nous le rappellent cruellement les catastrophes telles que les tremblements de terre au Japon, en Turquie et ailleurs. Il faut donc définir des normes et des responsabilités pour toutes les étapes de la vie des bâtiments.

    La qualité de l’air et la santé sont deux autres paramètres à prendre en considération dans toute construction. La plupart d’entre nous passons jusqu’à 90% de notre temps enfermés. Depuis la naissance, que l’on soit à l’école ou au travail, que l’on se repose ou que l’on se distraie, la conception des bâtiments conditionne notre cadre de vie, la qualité de l’air que nous respirons et, par là même, notre santé. C’est une autre bonne raison pour inciter les pouvoirs publics à intervenir dans la fixation de normes et d’objectifs à assigner au secteur de la construction, sans parler de la réduction de la charge environnementale.

    L’une des difficultés réside dans le fait que la construction est un secteur tout-à-fait à part. Il suppose la mise en oeuvre d’opérations très différentes: adduction d’eau, manipulation de matériel lourd, travaux d’excavation. En outre, les demandes varient selon qu’il s’agit d’un logement, d’un hôpital, d’une école ou d’un immeuble de bureaux. Les bâtiments sont censés remplir un large éventail de fonctions, comme protéger des intempéries, des écarts de température et du bruit, garantir contre les incendies et d’autres dangers, fournir une alimentation en eau de qualité, etc. Mais il arrive parfois que ces exigences soient contradictoires; ainsi, les travaux d’isolation réalisés pour améliorer l’efficacité du chauffage dans les bureaux pendant la crise pétrolière des années 1970 se sont soldés par une dégradation de la qualité de l’air et une intensification des problèmes de santé imputables au formaldéhyde, un produit chimique présent dans le bois aggloméré et la mousse isolante qui provoque irritations et étourdissements.

    Les bâtiments sont un capital fixe, ou bien immobilier, par opposition aux biens mobiliers tels que les liquidités et les actions. Ils constituent une forme d’investissement, un moyen de financement et un produit d’échange, bien qu’ils soient fixes au sens physique du terme pendant toute leur durée de vie. C’est un rouage essentiel du capitalisme dans l’espace urbain. Malheureusement, si les bâtiments peuvent accroître la valeur d’un terrain, ils peuvent également se détériorer par négligence, ce qui réduit leur propre valeur et celle des bâtiments alentours. Ils doivent être entretenus, rénovés ou démolis. En bref, ils peuvent constituer un casse-tête pour les urbanistes.

    À l’évidence, certains instruments de politique environnementale utilisés avec succès dans d’autres secteurs sont inapplicables à celui du bâtiment. Ainsi, des programmes de récupération analogues à ceux utilisés pour les récipients de boissons ne fonctionneraient probablement pas. Il serait irréaliste d’obliger les concepteurs ou les entrepreneurs à une éventuelle démolition des dizaines d’années plus tard. Peut-on vraiment savoir combien de temps durera un bâtiment? La Tour Eiffel, qui avait été construite il y a une centaine d’années pour le temps d’une exposition universelle, est toujours fidèle au poste. Les Grandes Pyramides existent depuis une éternité, mais en ira-t-il de même pour les pyramides de verre conçues par Pei pour le Musée du Louvre?

    Les décideurs commencent à s’intéresser au problème. En 2000, la première conférence internationale sur la construction de bâtiments écologiquement viables (appelée SB2000) a eu lieu à Maastricht. Une deuxième conférence (SB2002) est prévue à Oslo (Norvège) en septembre 2002.

    L’OCDE est en fait l’une des rares organisations qui essaie d’envisager la viabilité des constructions sous cet angle en se demandant, par exemple, comment améliorer le rendement énergétique de façon à réduire les coûts et les émissions de C02, ou diminuer l’exploitation de certaines ressources comme le gravier, le sable, les forêts, etc. Cet intérêt soudain aura-t-il des retombées? Le développement durable sera-t-il un frein ou un stimulant pour l’industrie? Après tout, les gouvernements encouragent traditionnellement le secteur du bâtiment car il est une source d’emplois et de croissance.

    Pourtant, à certains égards, ce sont les professionnels du bâtiment qui semblent avoir pris une longueur d’avance, notamment dans le domaine des énergies renouvelables. Mais si les grandes entreprises en bâtiment investissent volontiers dans les technologies environnementales, en prévision d’un marché en expansion, il n’en va pas de même pour les petits entrepreneurs, qui représentent l’essentiel de la profession. Ils n’adoptent les nouvelles technologies que très lentement et durcir la réglementation aurait pour effet, soit de les exclure du marché, soit de les forcer à travailler au noir. Cela conduirait à la construction de bâtiments de qualité inférieure, voire dangereux, en particulier dans les pays ou dans les villes où les revenus sont les plus bas. Comment dans ces conditions généraliser les technologies et les savoir-faire existants et les mettre effectivement en oeuvre?

    Plusieurs gouvernements s’y sont attelés et il faut espérer que ces conférences auront un effet positif. Mais comme toujours se pose la question du coût. Un certain nombre d’immeubles d’habitation a été construit avec le souci d’économiser l’énergie au moyen de panneaux solaires et de technologies intelligentes pour piloter les appareils électroménagers. Mais du fait de leur coût initial, ils ont souvent été réservés à une poignée de privilégiés. Cela pourrait changer avec la baisse des coûts de ces technologies. En Californie, déjà, les prix des maisons utilisant l’énergie solaire chutent rapidement.

    Construire pour demain


    Si les architectes définissent le champ du possible, les décideurs peuvent faire beaucoup pour favoriser l’adoption des technologies disponibles.

    Prenons la labellisation écologique, par exemple. L’idée peut surprendre. Pourtant le Building Research Establishment au Royaume-Uni a mis en place des programmes d’attribution de labels pour les constructions neuves (essentiellement les bureaux). Il s’agit d’évaluer un large éventail de caractéristiques environnementales des bâtiments. Le programme concerne aujourd’hui 25% du parc d’immeubles de bureaux au Royaume-Uni. Les premières données semblent indiquer que l’indice énergétique moyen des immeubles appliquant ce programme est plus haut que celui des autres bâtiments.

    En 2001, le Japon a également lancé un programme volontaire de labellisation pour les logements. Les candidats à la propriété peuvent désormais déterminer l’indice énergétique d’un logement donné. Compte tenu des risques de tremblement de terre qui existent dans ce pays, la robustesse et la durabilité sont également évaluées. Le nouveau programme a déjà été utilisé pour plus de 70 000 logements.

    L’audit énergétique fait aussi son chemin. Le Projet néerlandais de conseil pour les performances énergétiques, qui vise à faire baisser la consommation d’énergie dans les bâtiments existants d’environ 3 millions de tonnes de carbone d’ici 2008-2012, en est un bon exemple. En application de ce programme, des techniciens vérifient les habitations et font des propositions concrètes pour améliorer le rendement énergétique.

    Mais le pays le plus en pointe dans ce domaine est sans doute le Danemark, grâce à son projet d’audit énergétique obligatoire. Toute personne souhaitant vendre une maison dans ce pays doit en faire vérifier le rendement énergétique et fournir un rapport aux acheteurs.

    Des mesures d’économie d’eau ont également été prises. Aux États-Unis, plusieurs villes, dont New York, ont imposé de nouvelles toilettes équipées de chasse d’eau de 6,0 litres dans les années 1990 pour remplacer les vieux modèles qui évacuaient 11,3 à 18,9 litres par chasse. Les autorités publiques ont impulsé le mouvement et quelque 25 millions de nouvelles unités avaient été installées dans les logements et les bureaux à la fin de la décennie. Cette opération s’est traduite par une forte baisse de la consommation d’eau.

    Citons également une initiative plus générale, à savoir la redevance de mise en décharge, dont l’objectif est d’encourager un meilleur recyclage des matériaux de construction. Là encore, le Danemark et les Pays-Bas montrent la voie: leur taux de recyclage des déchets de construction et de démolition atteint déjà 90%. Ces matériaux recyclés de faible valeur ne sont pas utilisés dans la construction de bâtiments, mais dans les couches de fondation des routes et l’aménagement des parcours de golf, etc.

    Peut-être est-ce là la prochaine étape: abattre les bâtiments, les recycler, puis les faire renaître de leurs ruines. Qu’en dirait Le Corbusier?