• Le renouveau japonais !



    Étant donné que la Grande-Bretagne a été le premier endroit en Occident où la révolution industrielle s’est affirmée, depuis ce temps-là, on regarde très attentivement évoluer ce pays parce que c’est encore là que se passent les choses avant de se répandre dans les autres pays occidentaux. Je pense, par exemple, aux Beatles, aux Rolling Stones, et à d’autres artistes de Grande-Bretagne qui ont dominé la musique. Actuellement, c’est un mouvement semblable à celui-là qu’on observe à propos du Japon.

    Les prémisses du boum

    D’ailleurs, beaucoup de phénomènes qu’on connaît aujourd’hui ont d’abord pris naissance au Japon. Pourquoi? Parce que le Japon est une société qui a été coupée complètement de ses racines à la fin de la dernière Guerre mondiale, avec Hiroshima, Nagasaki, etc. On se rappellera que le Japon a été dominé par les États-Unis, les Américains ayant occupé le territoire pendant très longtemps, et même encore maintenant à Okinawa, ce qui paraît être très discuté ces temps-ci.

    Bref, c’est comme si cette société avait entrepris de repartir à zéro mais avec certaines valeurs anciennes, comme par exemple l’emploi à vie, pour ne mentionner que ça.

    Les Japonais ont d’abord vécu une période glorieuse quand ils se sont reconstruits admirablement à la fin de la guerre. C’est à se demander s’il ne fallait pas la perdre plutôt que la gagner, disaient certains humoristes. Ils se sont enrichis considérablement.

    Souvenez-vous du temps où les Japonais projetaient d’acheter une partie de la ville de New-York, d’acheter Hollywood, d’acheter une partie de Londres, etc. En 1992, tout a basculé : ce grand château de cartes a commencé à s’effondrer et, en particulier, si ma mémoire est bonne, la Bourse s’est retrouvée, du jour au lendemain, à près de 20 % de la valeur qu’elle avait le jour d’avant. J’exagère un peu mais à peine. Depuis ce temps-là, ils ont traversé une période extrêmement difficile.

    En 1992, ce n’était peut-être pas évident pour tout le monde mais, personnellement, je puis vous dire qu’en 1993, l "prospero" pour une tournée à laquelle je participais avec la compagnie de Robert Lepage, on ne pouvait pas vraiment pressentir le déclin vers lequel le Japon allait s’orienter. Il y avait bien quelques prémisses de cela mais on pensait que c’était un revers du destin qui n’allait pas entraîner le pays très loin. Finalement, au contraire, de 1992 jusqu’à maintenant, la situation aura duré 8 années qui ont été extrêmement pénibles.


    La génération nomade et la rébellion des jeunes japonais

    Huit années dans la vie d’une nation c’est considérable. En particulier, dans la mesure où une évolution, sur une période de 8 ans, peut affecter beaucoup les jeunes générations : car les anciens ont toujours des références au passé mais les jeunes n’en ont pas. Or, tous ces jeunes qui ont grandi, et qui aujourd’hui ont 20 ans, ont connu une période de prospérité de zéro à 10 ans, et une période de déclin de 10 à 20 ans, pour simplifier en gros. Alors ceci a entraîné la jeunesse japonaise sur une voie de remise en question des valeurs anciennes, d’individualisme, notamment, par rapport au communautarisme, si on peut employer ce mot-là autrement qu’au sens péjoratif du terme; car c’était la vision qu’on avait de la société japonaise autrefois.

    A propos de nomadisme

    C’est donc une remise en question qui tient de ce que certains observateurs appellent à propos du monde dans lequel on est en train d’entrer maintenant : le nomadisme que j'évoquais en début d'émission. Si vous vous souvenez, je vous ai aussi parlé du nomadisme à l’occasion de la parution du livre de Jacques Attali "vb981230.html" l "attali", chez Fayard. Il donne aussi une définition du l "nomade" dans son Dictionnaire du 21e siècle, dont je vous ai déjà parlé.

    Si je vous tiens ces propos aujourd’hui, c’est parce que ce courant qui est en train de naître au Japon déborde un peu partout et je crois qu’il est important qu’on soit éveillé à ce qui est en train de se passer.

    Le nomadisme sera donc le thème de cette émission et nous allons parler plus particulièrement de ce qui se passe actuellement au Japon, et des répercussions que cela peut avoir sur nous au plan des valeurs, en particulier dans le monde des jeunes, de l’adolescence surtout.

    Le Japon, pour être clair, m’apparaît comme "vb990504.html" l "s2" que nous sommes en train de vivre dans nos sociétés, suite à la mondialisation, aux communications, à l’évolution au plan économique, etc. Au cœur de tout cela, on se retrouve avec une jeunesse qui se cherche. Comme je m’intéresse beaucoup, en général, à la jeunesse, à travers mes petits-enfants, en particulier, je ne peux pas ne pas être sensible à ce que je découvre sur la question.

    J'ai pris connaissance d’un dossier remarquable paru dans le dernier numéro du Point en France (édition du 17 mars), qui est un " Spécial Japon ".

    Dans ce dossier, il y a précisément un article intitulé :

    " An 2000 : Une jeunesse qui se cherche ".

    D'après :
    CHENAILLE, Louis. " An 2000 : Une jeunesse qui se cherche ".
    Le Point, N° 1435, 17 mars 2000.

    " À peine sortie de l’enceinte scolaire, les filles remontent leur jupe à mi-cuisses et se maquillent de paillettes sur les yeux. "

    " Système éducatif étouffant, absence du père, manque de communication : les jeunes se révoltent contre le mode de vie de leurs parents. – Donc, une rupture. – Mais au-delà du désarroi bouillonne une formidable vitalité. Enquête sur la génération nomade ", écrit d'entrée de jeu Louis Chenaille. Et ce qui m’a intéressé particulièrement ici, c’est qu’on considère ces jeunes comme les représentants d’une génération nomade.

    " Ces adolescents ont l’air un peu à l’étroit, engoncés dans leur tenue d’un autre âge, remarque l'auteur. – Quand j’étais là-bas, en 1993, ça m’étonnait toujours de les voir tous arriver en uniforme bleu uni orné de boutons dorés, pour les garçons, la jupe plissée du même bleu pour les filles… – Mais à y regarder de plus près, on aperçoit des cheveux blonds en pétards, un piercing, ou un pantalon flottant à la taille qui donne une dégaine négligée.

    " À peine sortie de l’enceinte scolaire, les filles remontent leur jupe à mi-cuisses et se maquillent de paillettes sur les yeux. Certaines lycéennes jouant de leur charme de "vb990302.html" vont même jusqu’à pratiquer l'enko kosai, littéralement ‘ soutien financier à la sociabilité ’ [rires], étrange appellation qui signifie en réalité qu’elles vendent leurs charmes au prix de 10 000 yens la soirée – une forme de prostitution, autrement dit. (10 000 yens équivalent environ à 150 $). Autant qu’une journée d’arubeito (de allemand arbeit, travail), ces petits boulots d’étudiants. – Les Japonais peuvent travailler à partir de l'âge de 15 ans.

    " Avec l’avantage de pouvoir se payer à n’importe quel instant l’objet de leurs rêves : une coupe de cheveux, une séance d’ultraviolets ou une nouvelle paire de bottes à semelles compensées. " D’ailleurs, ce sont les champions "vb981117.html". Comme ils sont relativement de petite taille, cela compense férocement jusqu’à 20 centimètres. Cela ressemble un peu aux coturnes que portaient les comédiens grecs dans la tragédie pour paraître plus importants. C’est peut-être encore le but dans ce cas-ci.

    On dit qu’à Tokyo, " 5% des adolescentes admettent avoir recours à cet expédient pour financer leur soif d’achat. Au-delà du chiffre, qui devrait certainement être vu à la hausse, estime l’auteur, ces jeunes filles surprennent par la facilité avec laquelle elles abandonnent leur corps. "

    " La tradition confucéenne des trois générations sous le même toit disparaît au profit des familles mononucléaires "

    Qu’est-ce qu’il y a derrière ce phénomène? Il y a l’absence du père…

    " L'absence du père au foyer est sans doute pour beaucoup dans ce laxisme des mœurs. Depuis l’après-guerre, la société avait clairement défini les rôles : l'homme au travail, les femmes à la maison ou dans les boutiques. Pendant des générations, les enfants ne voyaient pour ainsi dire jamais leur père. […] La tradition confucéenne des trois générations sous le même toit disparaît au profit des familles mononucléaires. Les enfants sont donc souvent livrés à eux-mêmes. "

    Puis, toujours en parlant des jeunes, l’auteur dit plus loin que certains jeunes Japonais " se réfugient dans des mondes clos, virtuels, dans les jeux vidéos ou l’Internet. Ce sont des otaku, ce qui veut dire littéralement les embastillés. "

    " En rébellion contre ce système qu’ils jugent incapable de les écouter, les jeunes boycottent de plus en plus l’école. En 1998, on a dénombré 137 000 cas de fugues répétées, voire de disparitions pures et simples (20 % de plus sur un an). Miyuki, âgée de 16 ans raconte dans le journal Asahi : ‘ Je me barre de chez moi une fois tous les deux ou trois mois, mais comme je reviens toujours, mes parents ne font que me dire : Ah, te voilà! Ils m’ont appelée sur mon portable, il y a à peu près une semaine, et je leur ai dit que j’étais toujours en vie. ’ La démission des parents est un phénomène de plus en plus fréquent. "

    " Il existe actuellement 40 millions de portables (téléphones cellulaires) au Japon, et l'on s’attend à ce que la barre des 60 millions soit franchie d’ici à 2010. Huit lycéens sur dix en possèdent. Les modèles se déclinent du plus high-tech gris métallisé ultraléger à la version Hello Kitty rose bonbon. " [rires]

    À ce sujet, c’est l’explication qui me paraît importante, plus que le phénomène lui-même.

    " ‘ Les jeunes trouvent dans le keitai (le portable) le moyen d’échapper à de nombreuses contraintes sociales notamment, celle de se trouver face à face avec un interlocuteur ’ ", explique une société de marketing.

    " Premier poste dans le budget des jeunes JaponaiseS, le keitai est aujourd’hui l’une des principales raisons qui les amènent à effectuer des petits boulots. […] Génération de travailleurs flottants, sans sécurité sociale ni impôts, ils ont transformé l’arubeito en mode de vie. Au long terme de leurs aînés, ils préfèrent l’instant. Ce sont les enfants de la génération nomade ", conclut Louis Chenaille.

    Le phénomène otaku
    ou l'autisme technologique de la génération montante

    D'après :
    BARRAL, Étienne.
    Otaku : les enfants du virtuel,
    Éd. Denoël, Coll.
    " Impacts ", 1999.

    Préface de Jean-Jacques Beineix.

    Ce qui m’intéresse dans ce phénomène des otaku, c’est qu’il s’agit, en somme, d’une sous-culture formée par ces jeunes, fils et filles du virtuel. Quel effet peut bien avoir sur les jeunes le fait de vivre toujours avec des ordinateurs, toujours dans un monde de jeu virtuel, etc.? Grande question.

    " Le phénomène otaku est-il un signe avant-coureur d’une mutation de notre société? " se demande Jean-Jacques Beineix, le cinéaste qui, entre autres, a réalisé le film Diva, dans la préface de Otaku : les enfants du virtuel.

    Qui sont les otaku?


    Au cours d’un séjour qu’il a fait au Japon, Beineix s’est entretenu avec un jeune qui se définit comme otaku et lui a demandé de lui dire plus précisément en quoi cela consiste. Le jeune a répondu :

    – " Vous devriez savoir ce que c’est, vous avez fait un film là-dessus. "
    Il s’est étonné de cela et lui a demandé d’expliquer le fond de sa pensée.
    – " Dans Diva, Jules, le postier, c’est un otaku! Collectionneur, amateur de technologies, fétichiste, pirate, c’est un otaku. "

    Alors Beineix de nous dire :
    – " Peut-être aurez-vous la même révélation que moi devant ce phénomène. N’êtes-vous pas vous-même, déjà, otaku? " Comment savoir?

    Dans la préface du livre de Étienne Barral dont je vous parlerai plus loin, Beineix s’interroge si c’est là le signe avant-coureur d’une mutation de notre société, si ça représente l’émergence des premiers cas humains d’adaptation aux nouvelles technologies du virtuel. Personnellement, c’est ce que je crois et c’est la raison pour laquelle je tenais beaucoup à vous en parler.

    " Insoumis, déserteur, il utilise notre monde sans en faire tout à fait partie. "
    " Le phénomène otaku ne représente-t-il pas la réponse d’une jeunesse issue d’une société sans but et sans valeurs qui se met à l’abri des réalités d’un monde devenu trop violenT, d’un avenir sans espoir? Le otaku n’est-il pas le premier citoyen de l’empire du virtuel et la préfiguration de la société ‘ nomade ’? se demande Beineix. […]
    " Délibérément dans l’univers de l’adolescence et du fantasme, le otaku retarde son entrée sur le marché du travail, mais aussi dans les indices du chômage, dans la lutte pour l’emploi et la guerre économique. Insoumis, déserteur, il utilise notre monde sans en faire tout à fait partie.
    " Les otaku communiquent par le truchement de leurs ordinateurs, de leurs bandes dessinées – c’est très important le monde des Mangas dans ce pays – de leurs collections d’objets de haute technologie, délaissant souvent amis et relations familiales. Ils s’abîment dans la contemplation d’un monde d’images et d’artifices, dans un univers surmédiatisé, et, en paix, ils combattent la machine qu’ils battent bien souvent tant ils sont passés maîtres dans le maniement de la console. Ils inventent des programmes informatiques sophistiqués, empilent des cassettes vidéos dans leur chambre à coucher, préférant caresser les créatures de galaxie pixel plutôt que les jeunes filles de leur âge – pour ce qui est des garçons. […]
    " Le phénomène otaku n’est-il pas l’expression actuelle d’une très vieille histoire, celle du passage à l’âge adulte, l’expression de l’adolescence en quête de valeurs, de modèles? (C'est certainement le cas, mais dans un contexte bien différent de celui de ma jeunesse) […] Après tout, ils sont nos enfants et leur quête étrange, leurs rites aux allures scabreuses n’ont d’autre but que d’aller à la rencontre du monde dans lequel ils sont nés. […] Ils vivent dans un univers de plus en plus global, surmédiatisé, en paix et parcouru de haute technologie. […]
    " Le otaku n’est qu’un adolescent hésitant entre l’enfance et l’âge adulte. "
    " C’est un être qui s’adapte aux paysages de la révolution du software et à la fantastique accélération des mutations de l’ère postindustrielle, explique Jean-Jacques Beineix. Expert en haute technologie, il invente, teste, compile et bien souvent livre les clés qui permettent de comprendre dans quelle société nous vivons. Apparemment passif, il est en fait l’expression d’une remarquable critique de notre société – d’une étonnante manière de s’adapter aux fameux rites ‘ nomade ’. " On y revient encore une fois… [rires]

    Puis, Beineix parle de son ami, l’auteur de cet ouvrage dont je tire ces informations, qui s’appelle Étienne Barral, un journaliste qui vit depuis 1986 au Japon. Il l’a rencontré au cours d’une enquête qu’il a menée afin d’essayer de mieux comprendre ce phénomène. Il dit :

    " Les grandes sociétés de software, de jeux, ne se sont pas trompées et les otaku sont les premiers à tester les nouveautés, à constituer les bases de recherche et à peupler les bureaux d’étude. […] Aucun domaine ne leur échappe, et les nouveaux produits, les nouvelles tendances sont dues à leur érudition sans limite et à leur insatiable culture et curiosité. […]
    " Loin de ressembler à la caricature que certains sont tentés d’en faire, les otaku concrétisent l’émergence d’une culture dont le Japon est le centre. La vague a depuis longtemps dépassé l’archipel : le phénomène est mondial. "
    L’ouvrage en question s’intitule Otaku : les fils de l’empire du virtuel, de Étienne Barral, paru chez Denoël, collection " Impacts ".

    De l'influence de la culture japonaise sur l'Occident


    C’est d’autant plus important de se demander ce qui se passe dans la société japonaise que c’est de loin celle qui a réalisé le grand projet de toutes nos sociétés. C’est celle qui a mis le plus l’accent sans doute sur l’éducation, sur l’information, sur la consommation, etc. D’où l’importance de découvrir comment leurs jeunes perçoivent le monde, même si on le fait à travers ce qu’il y a de plus excessif chez les jeunes.

    Je ne suis pas cependant en train de dire que tout le monde est dans le mouvement, mais c’est une sous-culture qui a une influence considérable sur l’ensemble de la jeunesse au Japon et qui gagne l’ensemble de l’Asie, en passant par la Corée, la Chine, etc., et qui devient de plus en plus importante en Europe également, estime l’auteur qui est français, et même aux États-Unis où ça devrait se répandre très rapidement.

    " Kiritoshi Risaku, otaku de la première génération, estime que sans l’ostracisme dont il a été victime au collège, il ne se serait sans doute jamais autant pris de passion pour des monstres comme Godzilla, dont il suivait toutes les aventures à la télévision. Otaku modèle, il s’identifiait ainsi aux monstres, eux-mêmes victimes expiatoires des feuilletons. Il se souvient encore aujourd’hui de ses fantasmes de destruction, par monstre interposé, de l’école ou de la cité qui le méprisait. ‘ Je suis mieux dans ma bulle imaginaire que dans la réalité; à quoi bon respecter les conventions d’une société par qui l'on n’est pas reconnu? ’, dit-il encore aujourd'hui.

    " Être otaku, à l’aube de l’an 2000, nous explique Barral, est un choix pour plusieurs millions de jeunes qui, comme Kiritoshi, ne trouvent pas leur place dans la société japonaise. "
    " Tous ne deviennent pas forcément otaku de manière délibérée, mais leur attitude, leur choix de vie, leur préférence pour l’univers virtuel qu’ils tissent comme un cocon protecteur est symptomatique de la difficulté qu’ils trouvent à s’intégrer dans la société japonaise. "

    Un ouvrage sur le phénomène otaku


    Puis, à la fin de son avant-propos, l’auteur explique sa démarche dans ce livre :

    " À travers ce livre, dit-il, j’ai cherché à comprendre pourquoi des jeunes de plus en plus nombreux se détournent de la voix qui leur est tracée pour s’enfermer dans un univers factice fait de bandes dessinées, de dessins animés, de jeux vidéo ou de jeunes vedettes de la chanson.
    " Il y a une expression idiomatique connue de tous au Japon qui signifie : ‘ Le clou qui dépasse doit être martelé jusqu’à ce qu’il rentre dans le rang. ’ Cette expression est révélatrice de la mentalité japonaise qui fait primer les intérêts du groupe sur celui de l'individu. – C’était vrai ici aussi jusqu’à une certaine époque, et c’était répété beaucoup dans le milieu de l’éducation : tu devais faire comme tout le monde, n'étant qu’un parmi d’autres. Mais là, les clous se mettent à dépasser un peu partout et ils ont de plus en plus de difficulté à les faire rentrer dans le rang, pour ainsi dire.

    Il y a un autre phénomène curieux et peut-être inquiétant. L’auteur a constaté, et il l’explique dans plusieurs chapitres, qu’il existe des synergies troublantes entre l’univers des otaku et celui de la tristement célèbre secte Aum dont le gourou, fin psychologue, avait bien diagnostiqué ce dont étaient malades les jeunes Japonais… " Bienvenue dans l'univers okatu… ", commente-t-il.

    La personnalité okatu

    Dans le premier chapitre de l'ouvrage, on trouve une description plus claire de ce qu’est le otaku :

    " Les otaku répugnent à approfondir les relations personnelles et préfèrent rester enfermés chez eux dans leur chambre où ils accumulent de quoi satisfaire leurs passions. " C’est ce qu’entendait Beineix par le terme " embastillés " : enfermés dans leur monde, dans leur univers. Physiquement parlant mais aussi psychologiquement parlant.
    " Sans doute peut-on voir dans la démarche des otaku, à facettes multiples certes, un des traits caractéristiques de ce mode de vie : être otaku serait risquer un désir unique pour tenter de résister, plus ou moins consciemment, à ce qui, au nom d’un ‘ instinct brisé ’, viendrait faire dépression dans une société postmoderne. "
    " Les otaku ne se sentent à l'aise qu'à l'intérieur de l'univers virtuel qu'ils se sont créé. Ils ne recherchent pas le contact avec l'autre, c’est la génération du walkman, ce produit japonais entre tous et emblématique. Il est vecteur de l’intimité, il permet l’isolement dans un espace public alors même qu’il agit simultanément comme un signe de reconnaissance social. À travers cet objet tant prisé par toute une jeunesse, on peut mesurer à quel point existe déjà dans nos sociétés postindustrialisées un désir d’isolement au sein d’un espace public, qui n’est finalement pas très éloigné de ce que peuvent ressentir les otaku. – Il faut se souvenir que ce sont les Japonais qui ont inventé le walkman. La technique existait déjà mais c’est eux qui ont décidé que ça répondait à un besoin.
    " Le walkman symbolise en quelque sorte le refus d’engager la totalité de l’être dans la situation. "
    " Le walkman symbolise en quelque sorte le refus d’engager la totalité de l’être dans la situation. Cette façon de se couper de l’extérieur est une manière d’échapper au conflit d’un monde qui nous agresse ou nous est indifférent. Plutôt Mozart et les Rolling Stones que les clochards et les klaxons.
    " Dans le mot otaku il y a aussi le refus de souffrir. Il s’agit d’une génération qui ne veut rien risquer du rapport à l’autre. "
    " Le otaku réussit sans doute à se faire croire qu’il vit alors qu’il ne vit que par procuration "
    " Le otaku vit dans l’isoloir de sa chambre où, grâce à la télévision, aux vidéos et aux ordinateurs, il se croit le droit de vivre la transgression des tabous quant au sexe, la mort, la souffrance ou la violence, mais par délégation – lui-même ne risque rien… ou n’ose pas! L’image est, en effet, dotée du pouvoir de ‘ faire croire ’, et le otaku réussit sans doute à se faire croire qu’il vit alors qu’il ne vit que par procuration, évitant soigneusement de prendre le risque d’une relation à l’autre qui pourrait le faire souffrir, s’enfermant dans un monde proche de l’autisme technologique, un repli sur soi devenu pathologique. " Wow!

    Je sais que ça a l’air un peu curieux de parler de tout ça parce qu’on se dit que c’est très loin de nous le Japon. Mais pensons à tout ce qui nous est familier et qui nous est venu du Japon. Par exemple, le walkman.

    De l'influence de la culture japonaise


    J’ai découvert un peu plus d’information sur le walkman pour votre amusement :

    " Cette machine hybride [est] née à l’origine pour concilier le golf avec la musique classique. Plus proche de nous, le télécopieur, invention allemande, fut déclarée unanimement inutile en Occident parce que le télex remplissait parfaitement son rôle. Il a fallu que des ingénieurs japonais pressentent tout le potentiel que l’on pouvait tirer de cette machine mort-née pour que le télécopieur conquière enfin sa place près de la machine à café ", explique Étienne Barral.

    Si vous pensez qu’au plan culturel il n’y a pas d’influence qui nous vienne du Japon, détrompez-vous. Je n’insisterai pas sur tous les Godzillas et les séries télévisées incroyables qui ont été diffusées chez nous. Pensez aussi au culte du Tamaguchi, à une époque assez récente, et à l'actuelle "pokemon". On parle aussi de personnages dont quelques jeunes peuvent devenir amoureux. Des espèces de Barbie sexy qu’on photographie dans des positions dignes du Kama Sutra. Ils peuvent imaginer les aventures érotiques de la poupée, etc.

    Le phénomène otaku m’a paru passionnant parce que j’ai trouvé autour de moi, en me promenant comme ça dans les centres d’achats, dans les rues, etc., beaucoup d’indications à l’effet que ça ne nous est pas aussi étranger qu’on pourrait le croire et que ce serait bon de voir venir un peu le mouvement des fils et filles du virtuel.

    Notre auteur ici précise que cela occupe les deux versants de notre société :
    " Symptôme d’un profond malaise, ils expriment aussi un immense potentiel technologique et culturel. "
    On peut alors se demander : pure aliénation ou nouveau rapport au monde?

    Pour en savoir plus :

    La famille virtuelle : excellent texte de réflexion que signe Jacques Dufresne dans L’Agora, et dans lequel il y est entre autres question du phénomène Otaku.
    http://agora.qc.ca/textes/famille.html