• Le Japon s'apprête à accoucher



    L'opinion mise sur la naissance d'un enfant mâle chez le couple princier.

    Dans les cartons, les flambeaux traditionnels rouge et blanc ne demandent qu'à être déballés. Au petit temple du parc Shinjuku-chuo de Tokyo, tout est prêt pour saluer la naissance attendue ces jours-ci du premier enfant de la princesse Masako Owada, l'épouse du prince héritier Naruhito. Même la loi du silence médiatique, imposée ces neuf derniers mois par la très austère agence impériale, a commencé à céder sous le poids de l'heureux événement. «Secret d'Etat». Le grand chambellan de la maison royale Kiyoshi Furukawa a pourtant tenu jusqu'au bout: depuis la confirmation tardive de la grossesse princière en avril, presque aucune information n'a filtré du palais d'Akasaka, où le prince Naruhito et son épouse résident. En 1999, la première grossesse de Masako s'était terminée par une fausse couche attribuée à la pression médiatique et au stress. Cette fois, l'affaire a été verrouillée. Le couple s'est limité à quelques apparitions. «Cette naissance a été gérée comme un secret d'Etat», confirme un journaliste japonais du Kisha Club, le club de la presse du palais, seul autorisé à suivre les déplacements de la famille impériale.

    Rien, donc, sur le bébé que le Japon vieillissant et en crise économique s'apprête à accueillir comme un signe d'espoir pour ce nouveau millénaire. Est-ce un garçon comme le supputent les spécialistes après l'abandon d'une initiative parlementaire prise en début d'année pour ouvrir la succession impériale aux femmes? Nul ne sait hors du palais. L'équipe de gynécologues affectée en permanence à la princesse Masako est murée dans le silence. La seule nouvelle un peu «humaine» à avoir filtré (sans être confirmée) porte sur le premier cadeau que l'empereur Akihito et son épouse Michiko auraient fait à la future maman: une table à langer utilisée dans le passé pour Naruhito, aujourd'hui âgé de 41 ans...

    Rumeurs. Restent la légende et les questions. La chaîne de télé Asahi a ouvert le bal avec une série consacrée à la diplomate de carrière et diplômée de Harvard, qui épouse en 1993 le fils aîné de l'empereur. Le portrait d'une jeune femme brillante, happée par l'intraitable austérité impériale. Les huit années de vie commune sans enfant ont attisé les rumeurs sur l'entente du couple et sur la fertilité de l'héritier au trône. Puis viennent les questions. Aucun bébé mâle n'a vu le jour dans la famille impériale depuis trente ans, et si l'enfant de Masako est un garçon, il deviendra l'héritier en second, après son père, le très timide Naruhito. Quid en revanche s'il s'agit d'une fille? «Dans tous les cas, ce sera une bonne nouvelle, nuance Takashi Yomota, directeur de l'hebdomadaire Shukan Shincho. Ce nouveau-né est pour beaucoup de Japonais l'occasion de redécouvrir leur famille royale, cachée derrière les paravents protocolaires.»

    «Masakomania». Le commerce s'est donc engouffré dans la brèche: vendeurs de layette, de robes pour femmes enceintes, de poupées... tous misent sur une «Masakomania et un boom consécutif des maternités». En temps normal, la plupart des jeunes Japonais se fichent de la famille impériale. «Elle est hors de leur univers, explique Mio, une secrétaire d'Osaka. Or, Masako a brisé cette indifférence. Elle a connu la douleur d'une fausse couche. Elle a une histoire personnelle alors que tous les autres paraissent surnaturels...».

    26 novembre 2001
    RICHARD WERLY
    (correspondant de Liberation a Tokyo)