Le Japon.org est (pas très) fier de vous avoir présenté :
Les voraces traversent le Japon
Deux vedettes francophones au sommet de leur gloire, six mois de préparation, un millier de kilomètres parcourus en chemin de fer, vingt-deux mille en avion, cent vingt sept millions de figurants, un bocal de cassoulet, boisson à volonté. Du suspens (« Je suis sûr que c'était là. Ils ont dû bouger l'hôtel pendant qu'on était sorti. Ils en sont capable ces enfoirés. ») ! De l'aventure (« C'est normal que ton plat gigote encore des tentacules ? Mademoiselle, on peut avoir un couteau ? ») ! De la passion (« J'ai fait Kirin ou Asahi la dernière fois ? Bon alors une maxi-Kirin et un umeshu à suivre. ») !
Je remercie sincèrement l'éducation nationale pour m'avoir appris, au cours de ma longue et cafardeuse traversée des boyaux du système scolaire, à délayer indéfiniment des kilomètres de dissertations formellement cohérentes et cependant d'une vacuité sidérale. Sur ce point, ne vous moquez pas trop de l'école, cancres pré-acnéïques encore à la charge de vos vieux parents affligés, l'art d'écrire n'importe quoi sur un sujet sans le moindre intérêt auquel on ne connaît rien pour satisfaire le crétin auquel on se trouve subordonné est l'une des rares compétences acquise au cours de vos études qui vous servira tout au long de votre vie active.
Et voilà, nous sommes revenus au point de départ : là où nous étions arrivés deux semaines plus tôt, c'est à dire dans l'aérogare de KIX, l'aéroport du Kansai. Déconfits d'avoir à nous lever tôt pour attraper le vol du retour et retrouver le bureau lundi -- rien que pour ça nous serions bien restés encore un peu -- nous avons regardé encore un peu le Japon depuis le train de banlieue qui nous emmenait vers notre Dejima aéronautique. Quelle impression étrange... poireauter exactement au même endroit où, quelques jours auparavant, nous attendions tous frétillants un vol intérieur vers Sapporo, notre première étape. Il ne nous reste plus qu'à traîner le long de la baie ensoleillée en contemplant le décollage des boites de conserves à bestiaux humain semblables à celle que nous allons emprunter pour retrouver nos pénates en quelques heures inconfortables et froides. Il est grand temps de claquer notre reliquat de monnaie, par exemple en achetant ces assortiments de gâteaux aux emballages pastels, le souvenir idéal selon moi : joli, vraiment exotique, compréhensible par nos relations les moins orientalistes et surtout périssable (vous vous voyez devoir accepter poliment et conserver en cadeau un Pikachu, une casquette Hello Kitty ou un sumô péteur ?).
Je m'en voudrais de terminer ce récit sans aborder une question de première importance, si fréquente dans les comparaisons entre la France et le Japon -- pour ne pas dire (littéralement) récurrente. Je veux parler de l'état de propreté des lieux publics. C'est un fait avéré et rabâché, le Japon c'est propre. Pas parfaitement et pas partout, mais très nettement plus propre que la France (et sans doute la plupart des pays). On s'accorde à penser dans les milieux autorisés à se permettre de réfléchir que cette propreté collective pourrait être grandement facilité par le soucis individuel des autochtones de ne pas salir (ou plus exactement de ne pas se laisser voir en train de salir). Sur ce point, les experts les plus optimistes n'envisagent pas que la population française accomplisse de significatifs progrès civiques avant l'épuisement total des ressources pétrolières, des réserves d'uranium et le retour des dinosaures. Cependant, quelle que soit l'humilité de l'empreinte sanitaire du citoyen japonais, elle ne suffit pas à expliquer que des villes, des gares et des gogues parcourues quotidiennement par des millions de gens laissent généralement au visiteur français la même impression d'ordre et de fraîcheur qu'un palais de conseil régional le jour de son inauguration (je veux dire, avant la ruée sur le buffet). Les Japonais ont donc un secret que notre administration, nos collectivités et nos entreprises devraient leur envier fiévreusement. Et ce secret quel est-il ? Nous, le lieutenant-colonel Heiho et le maréchal-des-logis-chef TB, partis en mission chez les pas-comme-nous-très-loin au péril de notre cycle de sommeil, nous nous sommes livrés, entre une assiette de sushi et un plat de nouilles, à un espionnage en règle des pratiques locales. Nous sommes à présent en mesure de révéler aux forces vives de notre patrie bien aimée (maires, responsables de la voirie, chefs de gare, gérants de supérettes, patrons de bistrot, etc.) par quelle prodigieuse innovation cette peuplade défavorisée par la nature et les muses de la civilisation gréco-latine a pu atteindre et maintenir ce haut degré d'hygiène. Dirigeants du secteur public et du privé (qui bien souvent êtes les mêmes), veuillez à présent approcher votre oreille de l'écran pour que nous puissions vous susurrer ce Secret d'Or rapporté d'Extrême-Orient. Ça y est ? Vous y êtes ? Encore un peu plus près... là. Et bien, voyez-vous, si les Japonais ont des lieux publics propres, c'est tout simplement...
PARCE QU'ILS NETTOIENT !
Aussi souvent que nécessaire, c'est à dire très souvent. C'est étonnant comme les idées géniales peuvent être simples, n'est-ce pas ? Il n'y a plus aucun doute, à présent la France va se hisser au sommet de l'Olympe sanitaire. Je suggère à nos décideurs petits ou grands de commencer par les chiottes, merci. Pour rétribution de notre mission de renseignement nous ne demanderons que le privilège de présider la cérémonie de lancement de la campagne parisienne de dynamitage des infâmes bidons à caca de JC Decaux (prévoyez un imperméable et des bottes).
Maintenant, il va de soi que la permanence de la propreté publique et les divers menus services qui font le charme du frénétique tissu urbain nippon ne sont pas accomplis par l'opération du Saint Esprit et des kami réunis. Tout cela repose sur l'existence de millions de petits boulots minables occupés plutôt par des jeunes côté contact avec le public, plutôt par des vieux côté balai. Ce sont les jeunes gars semi-commateux qui veillent au kombini, les filles arborant leur meilleur sourire larbin de présentoir à prospectus (et sans doute aussi aux postes les plus subalternes des entreprises), les petites dames fripées que l'on croise à la descente du Shinkansen pour le coup de nettoyage rapide avant le départ imminent du train, les petits vieux qui font la circulation aux abords des chantiers -- si ce n'est pas pour éviter de finir dans une cabane de toile plastique bleue c'est au moins pour mettre un peu de porc dans les ramen. Est-ce juste une impression de voyageur, entachée par l'ignorance des subtilités sociales du Japon, ou la vie matérielle n'est-elle pas un chouïa plus âpre pour le Japonais de base que pour le Français du bas ? D'un autre côté, les millions de Français dans la dèche ne nous sont-ils pas rendus invisibles par la simple habitude prise de ne pas leur prêter attention ? Disons qu'il y a quelque chose dans l'atmosphère économique japonaise qui me rappelle davantage les pays anglo-saxons que l'Europe continentale.
Et là, j'arrive à une conclusion curieuse. Voyager au Japon m'a donné envie de voyager à travers cette Europe que je connais si mal. Je ne suis pas déçu du Japon, non, je suis mis en appétit par le Japon. Ah, le waterzooï et la glace au speculoos ! Ah, les Berliner Pfannkuchen et les Schlachtschüssel ! La Wiener Schnitzel et le Sacher Torte avec beaucoup de Schlagobers ! Ah les tapas, la cargolade, les almojábanas ! Ah, le thorramatur et la karjalanpiirakka ! Ah, le galaktoboúreko arrosé d'ouzo ! Les hortobágyi palacsinta, le galaretka z drobiu accompagné de placki ziemniaczane ! Et la saltimbocca, les panzerotti, la pana cotta ! Le fish and chips et les huîtres à la Guiness ! Heu... Bon, il y a peut-être des coins plus intéressants que d'autres sur notre petit mais riche continent.
Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mon appétit : je me sens un ventre à savourer toute la terre.
Et, comme Heiho, je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes culinaires.
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