le coût marginal de la guerre doit être croissant. Le coût marginal signifie le coût de la dernière guerre livrée. S'il est croissant, ça veut dire qu'entamer une nouvelle guerre est plus coûteux si je sors déjà de 10 guerres qui m'ont affaibli que si je sors d'une période de paix.
Comme par ailleurs, je ne vois pas ce qui conduirait le bénéfice marginal de la guerre à être croissant, un calcul économique rationnel devrait conduire à ne livrer qu'un nombre limité de guerres.
Le problème, c'est que tout le monde est capable de faire ce calcul. Y compris
les dirigeants qui sont dans le collimateur de Bush. Si bien que, non seulement les menaces américaines ne devraient pas être crédibles, mais pire : elles le sont d'autant moins que les USA sortent (ou ne sortent pas, en fait) d'une épreuve douloureuse dans le
golf.
Ne me contentant pas d'être ignorant en science militaire, je le suis également en relations internationales. Je n'ai donc aucun avis sur la chose qu'attendent les américains de ces chefs d'état de l'axe du mal. Appelons X cette chose. Le "jeu" est donc le suivant : moi, G.W. Bush, je vous attaque militairement (attitude G) si vous n'adoptez pas l'attitude X, je ne vous attaque pas si vous l'adoptez..
Pour que la menace soit crédible, il faut que la condition suivante soit remplie :
U(Xi)-C(Gi)>0
où U(Xi) est la valeur que Bush accorde au fait que le pays i adopte l'attitude X, et où C(Gi) est le coût de la guerre livrée au pays i. Pardon pour cette présentation un peu simpliste, mais c'est un blog. Si le nombre de guerres livrées augmente, C(Gi) deviendra probablement très grand, et sûrement supérieur à U(Xi) (ce sont là des valeurs marginales). Pour visualiser, imaginez la petite fiction suivante : sortant d'une série de guerres contre l'Afghanistan, l'Irak, L'Iran, Cuba et la Birmanie, les États-Unis ont perdu des centaines de milliers d'hommes, continuent à financer le maintient d'hommes sur place dans les pays en question, sont l'objet d'une hostilité croissante dans l'opinion mondiale, et sont confrontés à une contestation interne sur le poids devenu insupportable des dépenses militaires dans le
budget fédéral, et sur le sort des GI's. C'est bon ? Vous visualisez ? Soudain, dans ce contexte, le président des USA annonce que si Kim Jong-li ne renonce pas à l'arme nucléaire, ses troupes envahiront la Corée du Nord. A mon avis, ça serait surestimer la puissance américaine que de croire en cette menace. Et n'est-il pas terrible, surtout pour une diplomatie qui veut jouer un rôle de leader, de voir ses menaces non prises au sérieux, et de ne pas pouvoir les mettre à exécution ?
Appliquons à ce cas le principe de récurrence à rebours (voir, par exemple ici), bien connu en économie. Si Bush ne souhaite pas se trouver dans cette situation, alors il ne doit pas menacer la Corée du Nord si son pays est déjà dans la panade. Mais supposez qu'il ait déjà formulé ses menaces avant les guerres précédentes, et que la Corée du Nord n'adopte pas l'attitude X (en l'occurrence, renoncer au nucléaire militaire). Cette situation serait très délicate. Pour éviter de se trouver dans cette position, il devrait renoncer au moins à la guerre précédente. Auquel cas toute menace envers le pays précédent deviendrait non-crédible. Ce qui pose encore problème si la menace a été proférée avant. etc. Notez que le fait que l'ordre d'attaque ne soit pas connu ne change rien (si je ne m'abuse), puisque le dernier sera connu.
Évidemment, le problème vient du grand nombre de pays que Bush a dans le collimateur. S'il n'y en avait qu'un, ou s'il n'en menaçait qu'un à la fois, le problème serait différent. Mais là, ce qui est surprenant, c'est qu'il menace un grand nombre de pays à la fois. Le résultat de ce petit modèle (au combien imparfait, j'en conviens), pourrait se formuler comme suit :
"Il n'est pas crédible de menacer un nombre de pays supérieur au nombre de guerres d'affilé que l'on peut se permettre de mener."
Mais alors, doit on en conclure que l'administration Bush est nulle en
théorie des jeux ?
Vous connaissez le film Casino, de Martin Scorsese ? Il y a une scène à laquelle je pense souvent qui est une introduction parfaite à l'inférence statistique, dans laquelle, pour les spécialistes, De Niro accepte au seuil de risque a=1/(des milliards) l'hypothèse alternative H1 "mon responsable de la
sécurité est un gros con". Mais c'est une autre scène qui nous intéresse pour tenter de comprendre l'attitude de Bush.
Joe Pesci, un caïd de la mafia, a confié une partie de ses économies à un banquier véreux qui a pignon sur rue (appelons-le Mike). Celui-ci a fait quelques placements risqués qui ont fait perdre un peu d'
argent à Pesci. Ce dernier, remonté, convoque le banquier et, après quelques Salamaleks, lui tient, très calmement, à peu près le discours suivant (de mémoire) : "Vous connaissez mal mon boulot, Mike. Alors je vais vous expliquer un peu en quoi il consiste. Par exemple, demain matin, après avoir amené mon gosse à l'école, j'irai faire un peu de jogging du côté de votre banque. Et là, si vous ne me donnez pas mon fric, je vous planterai ce stylo entre les deux yeux. Puis si tout se passe bien, dans 15 ans, quand vous sortirez du coma, moi je sortirai de taule. Alors je viendrai vous retrouver pour vous re-planter ce stylo entre les deux yeux. C'est parce que je suis un con. J'en ai rien à foutre, moi, de la taule. La taule, c'est mon boulot".
Peut-on vraiment imaginer que quelqu'un de normalement constitué puisse se moquer de la prison au point d'agir ainsi ? Difficilement. Par contre, de la part d'un fou, c'est tout à fait possible. Donc, si Pesci est un fou, son banquier à tout intérêt à lui donner l'argent qu'il demande, si bien qu'il n'aura pas à lui planter le stylo dans l'œil, et donc à passer 15 ans en prisons, etc. Mais donc, si un fou peut gagner de l'argent sans avoir à subir la prison, il n'est peut être pas si bête d'être fou ! Dans ce cas, l'attitude la plus rationnelle est peut être de convaincre l'autre joueur qu'on est un fou.
Prenons un autre exemple peut être plus frappant de l'intérêt qu'il y a à passer pour un fou. Un homme détient 10 otages dans une maison encerclée par la police. Il menace de les exécuter un par un s'il n'obtient pas une rançon. S'il est un tant soit peu intelligent, ça n'a pas de sens. Imaginez qu'il ait liquidé les 9 premiers. Il n'a aucun intérêt à tuer le dernier, car alors il se fera cueillir par la police, sans avoir de rançon, et avec un dixième meurtre à mettre à son passif. Donc, s'il a tué les 9 premiers, il a perdu. Donc, s'il a tué les 8 premiers, il n'a pas intérêt à tuer un 9ème, car sinon il se retrouve dans la situation précédemment décrite dans laquelle on a montré qu'il avait perdu. Si vous continuez comme ça, vous comprendrez qu'il n'a pas intérêt à tuer le premier.
Mais s'il est fou ? Si la police est intimement persuadée qu'il est mentalement incapable de se rendre compte de la stupidité de sa stratégie, alors le mieux, pour épargner la vie des otages, est peut être de céder à sa requête. Le problème, c'est qu'il lui est difficile de convaincre les policiers qu'il est fou. Ce qui est effrayant, dans l'histoire, c'est que la seule façon de se faire passer pour un fou est peut être de commencer effectivement à mettre la menace à exécution. Puisque c'est fou. Quoi de mieux que d'agir comme un fou pour passer pour un fou ?
Peut-on imaginer que l'administration Bush se situe dans cette logique ? Possible. C'est évidemment caricatural, mais pas impossible. Si c'était vrai, cela voudrait dire qu'il faudrait s'attendre à une grande agitation dans les années à venir. Pour faire penser qu'il est fou, Bush pourrait fort bien se livrer à des guerres à répétitions très coûteuses pour l'Amérique, dans le seul but de montrer qu'il s'en fiche. En fait, il y a une autre issue possible, c'est que les chefs d'état qui sont sur la liste noire de Bush anticipent ce comportement, et décident de se montrer conciliants. Ce qui serait évidemment l'issue la plus favorable.