Un petit article du Monde
L'accession d'une femme au trône impérial et la controverse sur les visites du premier ministre, Junichiro Koizumi, au sanctuaire Yasukuni — où parmi les morts pour la patrie figurent des criminels de guerre — deviennent des enjeux dans la bataille pour la succession du chef du gouvernement dont le mandat s'achève en septembre.
La succession matrilinéaire, exclue par le code de la maison impériale, est une réforme à laquelle M. Koizumi aurait voulu attacher son nom. Un projet de loi en ce sens, rédigé sur la recommandation d'un comité des sages, sera présenté lors de la session parlementaire. La question est pressante : le prince héritier, Naruhito, et son épouse, la princesse Masako, n'ont qu'une fille et il n'y a eu aucun héritier mâle dans la famille impériale depuis quarante ans. C'est à l'époque Meiji (1868-1912) que les femmes ont été exclues de la succession au trône. La dernière impératrice régnante date de la fin du XVIIIe siècle.
Selon les sondages, l'opinion est favorable à l'intronisation d'une femme. Ce n'est pas l'avis d'une partie de la classe politique : 173 parlementaires de la majorité et de l'opposition viennent de former un groupe opposé à une "décision hâtive" sur cette question. Le ministre des affaires étrangères, Taro Aso, et son homologue des finances, Sadakazu Tanigaki, se sont prononcés en faveur d'une "poursuite du débat", se démarquant de la position du chef du gouvernement qui souhaite que le projet de loi soit vite adopté.
Takeo Hiranuma, ancien ministre de l'économie, du commerce et de l'industrie, et président du groupe interparlementaire opposé à la réforme, a fait valoir qu'une telle décision pourrait "entamer" la pureté de la lignée impériale. Dans le cas où l'impératrice se marierait avec un "étranger aux yeux bleus", a-t-il déclaré, leur enfant de sang mêlé, pourrait devenir empereur : "Une situation qui ne doit jamais se produire."
La figure impériale a en outre été inopinément impliquée dans la controverse sur les visites répétées du premier ministre au sanctuaire Yasukuni, qui ont détérioré les relations entre le Japon et ses voisins chinois et coréen. Taro Aso, a déclaré, le 28 janvier, que, plus que le premier ministre, c'est l'empereur en personne qui devrait se rendre au sanctuaire. Devant le tollé suscité par ces propos, le ministre a fait marche arrière en précisant ne pas avoir dit que le monarque devait s'y rendre dans les "circonstances présentes". Des propos qui tendent à faire jouer un rôle politique au monarque, contrairement à la Constitution qui en a fait "le symbole de l'unité du peuple".
UN MONUMENT LAÏQUE ?
L'empereur Showa (Hirohito), au nom duquel les soldats japonais ont combattu et péri, a cessé ses visites à Yasukuni en 1975, trois ans avant que les noms de quatorze criminels de guerre aient été inscrits sur le registre des âmes qui y sont honorées. Son fils, Akihito, s'est toujours abstenu de telles visites.
La construction d'un monument laïque à la mémoire des morts pour la patrie pourrait permettre au Japon de les honorer sans sembler absoudre les responsables de la guerre. Mais après s'être engagé à examiner ce projet, M. Koizumi l'a ajourné sine die. Les quotidiens nationaux font état de sondages favorables à un tel monument. Comme sur la question de la succession au trône par une femme, les conservateurs ne semblent ni d'accord entre eux, ni en phase avec l'opinion.
Philippe Pons