Je me permets de vous signaler un article interessant du journal Liberation, concernant les efforts deployes par Airbus pour s'emparer de parts de marche au Japon.



Au combat dans le ciel japonais
Airbus patine depuis des années dans l'archipel, où Boeing règne en maître.
Par Grégoire BISEAU et Michel TEMMAN - jeudi 13 janvier 2005 (Liberation - 06:00) à Tokyo

Il y a encore deux bouts de terre du planisphère qui résistent à la nouvelle suprématie d'Airbus. Avec Israël, chasse ultragardée de l'américain Boeing, le Japon est le seul pays resté quasiment imperméable aux ambitions commerciales de l'avionneur européen. Et ce n'est pas faute d'avoir fait de l'archipel, second marché mondial du transport aérien, l'une de ses priorités stratégiques. Chaque année, Noël Forgeard, le patron d'Airbus, distille le même discours rassurant : «Le Japon finira bien par acheter nos avions.» Hier encore, lors de sa conférence de presse, Gérard Blanc, le patron des opérations, répétait : «C'est une question de temps.» Mais, avec 17 % du marché japonais, Airbus est toujours très loin de ses performances mondiales : 57,4 % des commandes en 2004.

Liens historiques. Y aurait-il une malédiction nippone ? Non. Avec ses 50 % de part de marché dans les hélicoptères civils, Eurocopter, une autre filiale d'EADS, prouve que le succès est possible. Pour sa défense, le constructeur européen peut légitimement évoquer les liens historiques entre Boeing et toute l'industrie aéronautique japonaise. «La concurrence américaine est rude. Le Japon et les Etats-Unis sont deux alliés stratégiques. Boeing est présent au Japon depuis cinquante ans, Airbus depuis bien moins longtemps», rappelle Takahiro Nosaka, d'Airbus Japon.

Pour conserver son pré carré, Washington n'hésite pas à jouer de toute son influence politique. «Par exemple, l'an passé, avant qu'ANA (la deuxième compagnie nippone, ndlr) annonce la commande de quarante-cinq Boeing 737, le président Bush est intervenu personnellement. Il a appelé directement le premier ministre Koizumi», confie un proche du dossier.

Pièce maîtresse. Voilà pour la défense d'Airbus. Reste ce qui relève de sa responsabilité. Et là ce n'est pas fameux. «Airbus est trop sûr de lui, vante trop ses avions et ne met pas assez en avant le facteur humain, explique un consultant aéronautique japonais. Dans les affaires, les Japonais, aiment parler au patron le plus haut placé.» Or, pour beaucoup d'observateurs, Noël Forgeard se fait beaucoup trop discret pour tenter de contrebalancer l'influence américaine. Sans compter que les équipes commerciales d'Airbus sur place ont un bilan catastrophique. «On vient de s'apercevoir que cela fait dix ans que l'on parlait aux mauvais interlocuteurs au sein des compagnies aériennes japonaises», reconnaît un cadre dirigeant d'Airbus. Des analystes s'interrogent notamment sur l'efficacité du groupe Mitsui Bussan, shosha (société de commerce) partenaire de longue date de la firme de Toulouse au Japon. En 2002, Mitsui Busan a été impliqué dans «l'affaire Muneo Suzuki», du nom d'un politicien impliqué dans un scandale qui a mis au jour des pratiques tordues de passation de contrats entre ministères et entreprises sur l'île de Sakhaline.

Du coup, Airbus cherche à élargir son portefeuille de contacts. Il vient de recruter l'une des pièces maîtresse de Boeing au Japon dans sa stratégie d'infiltration des compagnies aériennes. «Très bêtement, on pensait que les personnes décisionnaires étaient celles qui apparaissaient sur l'organigramme officiel. Or c'est beaucoup plus compliqué que cela», confirme une cadre d'Airbus. D'où ce recrutement.

Deux signaux. L'année 2005 sera-t-elle celle du déclic ? En tout cas, l'européen a mis le paquet. Pour placer son A380, il a confié à dix-huit groupes industriels nippons une partie de la fabrication de son paquebot. Espérant, en retour, obtenir des commandes des compagnies aériennes. Ce deal n'a pour l'instant produit aucun résultat. Mais deux petits signaux ont redonné un peu d'espoir aux Européens. Le 2 décembre, Yoji Ohashi, le président d'ANA, déjà propriétaire de trente-cinq Airbus (28 A320 et 7 A321), a laissé entendre que, parallèlement à son intention d'acheter des Boeing 777, il pourrait équiper sa flotte d'A380 pour remplacer ses vieux 747. Puis, fin décembre, JAL, le premier transporteur aérien en Asie, a passé commande de trente Boeing 7E7 Dreamliner et pris une option sur vingt autres. Pour certains analystes, cette option est le signe que JAL réfléchirait à la possibilité d'acquérir des A350, la réplique d'Airbus, dont le premier vol est prévu en 2010.

Comme Boeing, qui sous-traite 35 % de la fabrication du 7E7 aux Japonais, Airbus aimerait lui aussi associer l'industrie nippone. Mais, hier, Gérard Blanc reconnaissait : «On ne voit pas très bien comment l'industrie nippone, compte tenu de son investissement dans le programme du 7E7, disposerait des capacités pour fournir Airbus».

Source: http://www.liberation.fr/page.php?Article=267743