Bonjour les ami(e)s,
Après Arsène Lupin et le ju-jitsu, voici James Bond et les arts martiaux.
James Bond dans les romans originaux de Ian Fleming, évidemment, pas dans les films.
Il y a en particulier deux romans à citer : « Goldfinger », écrit en 1959, et « On ne vit que deux fois », écrit en 1964.
Commençons donc par « Goldfinger », qui traite du karaté.
Hormis l’erreur grossière qui consiste à dire que le karaté est une variété du judo, le sujet est plutôt bien traité quoique sommairement.
Chapitre 5 : « Service de nuit » :
« Mais Bond avait une autre raison d’aimer le service de nuit. En effet, ce service lui permettait de travailler à un ouvrage que, depuis un an, il avait décidé d’écrire, une sorte de manuel, exposant toutes les méthodes secrètes pour le combat sans armes. Bond voulait intituler cet ouvrage : « Survivre ». Le manuel reprendrait entre autres tout ce qui avait déjà été écrit sur le sujet par différents services secrets. Notre homme n’en avait parlé à personne et il espérait, s’il en venait à bout, que M. l’autoriserait à joindre le volume à ceux dont le Service faisait usage, pour l’instruction des agents.
Il en était à la fin de son deuxième chapitre lorsque, compulsant un livre relatif aux méthodes russes, livre qui venait d’être traduit en anglais, il tomba en arrêt sur une description de la manière dont il convenait d’appréhender une femme soûle pour la forcer à vous suivre. L’auteur disait qu’il suffisait de pincer fortement la lèvre inférieure de la femme entre le pouce et l’index, et qu’aussitôt elle devient d’une docilité de caniche. Cette indication eut le don de révolter Bond, mais un mot attira plus particulièrement son attention. Il s’agissait du mot « index », qui se disait FOREFINGER en anglais. Bond se dit que cela lui rappelait quelque chose, mais quoi ? Ah ! Oui, il y était ! FOREFINGER – GOLDFINGER. »
Chapitre 11 : « L’homme à tout faire » :
« La porte de service s’ouvrit, et le chauffeur s’encadra dans la porte. Il portait toujours son chapeau melon sur le milieu du crâne.
Le Coréen regarda Goldfinger d’un air impassible. Goldfinger fit claquer les doigts et le chauffeur s’approcha.
- Voici mon homme de main, dit-il en se tournant vers Bond et en parlant sur le ton de la conversation. C’est évidemment une façon de parler. Bon-à-tout, montre tes mains à M. Bond. Je l’appelle « bon-à-tout » parce que cela correspond parfaitement aux fonctions qu’il occupe chez moi.
Le Coréen retira lentement ses gants et présenta ses mains à Bond, paume au-dessus. Bond se leva et les examina. Elles étaient grandes et musclées. Les doigts semblaient tous être de la même longueur. Les extrémités et les côtés des doigts semblaient recouverts d’une corne jaune.
- Tourne-les et montre les côtés à M. Bond.
L’homme n’avait pratiquement pas d’ongles, la même corne jaune les remplaçait. La même corne bordait le tranchant de ses mains. Bond jeta un regard interrogatif à Goldfinger.
- Il va nous faire une démonstration, dit Goldfinger, en pointant un doigt vers la rampe de l’escalier.
La rampe était assez massive et devait bien mesurer quinze centimètres de large sur six d’épaisseur. Le Coréen se dirigea docilement vers l’escalier et gravit quelques marches. Il attendit le signal de Goldfinger qui lui fit un léger signe de tête. Toujours aussi impassible, le Coréen leva la main droite au-dessus de sa tête. Il l’abaissa à une vitesse foudroyante et frappa la rampe du tranchant de la main. Il y eut un craquement et la rampe se brisa en deux en son milieu. Le Coréen reprit sa position d’attente. On ne voyait sur son visage aucune trace d’effort, pas plus d’ailleurs que le moindre signe de satisfaction pour avoir réussi cet exploit. Goldfinger fit un signe et l’homme revint vers eux.
- Il peut faire la même chose avec les pieds, dit Goldfinger. Bon-à-tout, la cheminée.
La cheminée était assez haute. Elle dépassait de 15 bons centimètres le sommet du chapeau melon du Coréen.
- Garch a har ? fit l’homme en regardant Goldfinger.
- Oui, enlève ton chapeau et ton veston, dit Goldfinger. (Et, se tournant vers BondLe pauvre type est quasi muet. Je suis seul à le comprendre.
Bond se dit qu’une sorte d’esclave dont on était le seul à pouvoir comprendre le langage devait être extrêmement utile.
Bon-à-tout avait enlevé son chapeau et son veston et les avait soigneusement posés sur le sol. Il retroussa son pantalon jusqu’aux genoux et écarta les jambes dans la position d’attente du judoka. Une charge d’éléphant ne l’aurait probablement pas fait bouger d’un centimètre.
- Vous feriez bien de vous reculer un peu, monsieur Bond, dit Goldfinger, en se déplaçant lui-même pour laisser la voie libre à son domestique.
Le Coréen ne se trouvait qu’à trois pas de la cheminée, et Bond se demandait comment il allait faire pour atteindre l’épaisse bordure de bois qui entourait la cheminée et qui se trouvait à une hauteur respectable. Il regardait, fasciné. A présent le regard de l’Asiatique était fixé avec intensité sur l’objectif à atteindre. Quiconque devait subir pareil regard n’avait plus qu’à se laisser glisser sur les genoux et à attendre la mort.
Goldfinger leva la main. On pouvait voir les orteils du Coréen se recroqueviller dans ses chaussures de cuir souple. L’homme s’accroupit lentement en prenant une profonde inspiration et, brusquement, il fit un bond fantastique. En pleine ascension, il claqua ses pieds l’un contre l’autre, comme un danseur de ballet, mais bien plus haut. Son corps bascula sur le côté et son pied droit se détendit comme un piston. Il y eut un craquement. Le Coréen retomba gracieusement sur les mains, se reçut en pliant les bras et, d’une pirouette, se remit sur ses pieds.
Bon-à-tout attendit les ordres, mais cette fois, on put discerner une certaine fierté dans ses yeux, lorsqu’il fixa la bordure de la cheminée, qui avait été entamée par le coup de pied.
Bond regarda le Coréen avec ébahissement. Il y avait à peine deux nuits que notre agent secret avait encore revu son manuel de combat à mains nues. Tout ce qui y était écrit ne signifiait rien, absolument rien, à côté de ce qu’il venait de voir. Ce n’était pas un homme fait de chair et d’os qu’il avait en face de lui, mais probablement l’animal sauvage le plus redoutable qui se trouvât à la surface de la terre. Il n’en restait pas moins vrai qu’il fallait absolument rendre hommage à ce spécimen, à la fois unique et terrifiant, de l’espèce humaine. Il tendit la main.
- Doucement, Bon-à-tout, doucement, dit Goldfinger, d’une voix aussi tranchante qu’une lame de rasoir.
Le Coréen courba la tête et prit la main de Bond. Il garda les doigts tendus et n’exerça qu’une légère pression du pouce sur la main de Bond, qui eut l’impression de serrer un morceau de bois dur. Puis le monstre se dirigea vers son veston et son chapeau.
- Excusez mon intervention, monsieur Bond, et croyez que j’apprécie beaucoup votre geste, dit Goldfinger. Malheureusement, Bon-à-tout, ne connaît pas sa force, surtout après un exercice de ce genre. Ses mains sont comme des étaux. Il aurait pu vous broyer la main sans même s’en apercevoir.
Bon-à-tout attendait les ordres de son maître.
- Beau travail, Bon-à-tout ! Je suis heureux de constater que tu t’entraînes toujours.
(…)
- Pourquoi porte-t-il toujours un chapeau ? demanda Bond.
- Bon-à-tout… Le chapeau !
Le Coréen, qui venait d’atteindre la porte de service, revint vers eux. Lorsqu’il fut à mi-distance, il prit son chapeau par le bord et, d’un geste brusque et d’une violence inouïe, le heurta contre le panneau que lui avait désigné Goldfinger. Un « bang » sonore résonna dans le hall.
- Le fond du chapeau est fait d’un alliage spécial extra-léger, mais extrêmement solide, dit Goldfinger en souriant. Comme vous pouvez l’imaginer, un tel couvre-chef sert à la fois de casque protecteur et d’arme surprise. Car, n’en doutez pas, le coup qu’il vient de porter contre le panneau aurait suffi à briser le crâne de n’importe quel homme.
- Formidable, dit Bond. Vous avez là un serviteur vraiment très utile.
Bon-à-tout disparut et un bruit de gong se fit entendre.
- Ah, le dîner est servi. Mettons-nous à table.
Goldfinger se dirigea vers un panneau de bois, à droite de la cheminée, pressa un bouton, et le panneau glissa pour les laisser passer. La petite salle à manger était très luxueuse, brillamment éclairée par un lustre central et par des bougies disposées tout autour de la table. Ils prirent place l’un en face de l’autre. Deux serveurs asiatiques apportèrent les plats. Le premier se composait d’une sorte de ratatouille de riz au curry.
(…)
- Pour en revenir à votre chauffeur, je dois avouer qu’il m’a terriblement impressionné. D’où vient cette extraordinaire méthode de combat ? Est-ce une spécialité coréenne ?
Goldfinger s’essuya la bouche et fit claquer ses doigts. Les deux serveurs débarrassèrent la table et apportèrent du canard rôti, avec une bouteille de Mouton-Rothschild 1947 pour Bond.
- Avez-vous jamais entendu parler du karaté ?… Non ?… Eh bien, Bon-à-tout est un des trois pratiquants de ce sport, dont il est ceinture noire. Le karaté est une variété de judo et il est au judo ce que la fusée est au planeur.
- J’ai eu l’occasion de m’en apercevoir !
- Et encore, cher monsieur, la démonstration a-t-elle été réduite à sa plus simple expression ! Je peux vous garantir que si Bon-a-tout devait vous porter un coup et un seul, dont il a la spécialité, vous seriez un homme mort.
Goldfinger s’interrompit pour boire une gorgée d’eau.
- Voyez-vous, monsieur Bond, le karaté est fondé sur une théorie qui enseigne que le corps humain possède trente-sept points vulnérables. Ils ne sont évidemment vulnérables que pour un expert en karaté, dont le tranchant des mains, le bout des doigts, des orteils et les côtés des pieds sont recouverts d’une corne plus résistante et plus souple que n’importe quel os. Bon-à-tout passe tous les jours une heure à s’entraîner, en frappant sur des sacs remplis de riz non décortiqué. Il passe une autre heure à faire de la culture physique, bien plus sévère que celle de tous les gymnastes du monde.
- Et quand s’entraîne-t-il avec le chapeau melon ? dit Bond, en essayant de ne pas se montrer trop ironique.
- Je ne le lui ai jamais demandé, répliqua Goldfinger le plus sérieusement du monde. Mais je crois qu’on peut faire confiance à Bon-à-tout pour s’assurer que tous les éléments de son autodéfense sont toujours parfaitement au point. Vous me demandiez d’où le karaté était originaire. Eh bien, de Chine, où des prêtres errants étaient devenus une proie facile pour les bandits de grand chemin. Leur religion leur interdisait de porter des armes, et c’est ainsi qu’ils mirent au point ce système d’autodéfense. Les habitants d’Okinawa l’ont transformé, pour en faire ce qu’il est à l’heure actuelle, le jour où les Japonais leur défendirent d’être armés. Ils choisirent cinq parties du corps avec lesquelles il était possible de frapper un adversaire : le poing, le tranchant de la main, le bout des doigts, le talon et les épaules. Ils travaillèrent ces différentes parties, jusqu’à ce qu’elles fussent recouvertes d’une corne. Celui qui donne un coup en karaté ne ressent absolument rien au moment où il frappe. Il est étonnant de voir ce que Bon-à-tout arrive à faire. Par exemple, je l’ai vu frapper une brique sans ressentir la moindre douleur à la main. Et il peut faire de même avec ses pieds.
- De telles démonstrations doivent vous coûter cher en réparations dans la maison, dit Bond en buvant une gorgée de vin.
- J’ai décidé de ne plus habiter cette maison très longtemps et je me suis dit qu’une telle démonstration vous amuserait. »