Bonjour!
AAAH, j'ai bien flippé cette semaine. Pas à cause des centrales, mais à cause d'une
livraison à faire aujourd'hui et je me suis demandé jusqu'au dernier moment si je
pourrais... Je viens de l'envoyer!
Avant d'en remettre une couche à propos des centrales nucléaires, disons tout de
suite que je suis plutôt anti que pro nucléaire. Pas carrément sectaire, mais disons
75% anti.
Je dois aussi préciser que mes souvenirs en matière de technologie nucléaire sont un
peu émoussés. Il y a donc probablement des erreurs, mais je crois que le fond de
mon raisonnement se tient. Et vu tous les fantasmes qui sont débités sur la toile, il
vaut mieux remettre un coup les pendules à l'heure, le tout basé non pas sur des
fantasmes et des conjectures, mais sur de la physique
Je pense que cette fois on a eu chaud, mais que le pire est passé. Ce qui reste
maintenant, c'est du détail. On verra dans quelques jours si le scénario catastrophe,
qui met la planète ébullition (plus encore que le coeur des centrales) arrivera, mais
je pense qu'il n'arrivera pas, je pense que j'ai raison, sans pour cela pouvoir
être suspecté d'addiction aux bisounours (que je ne connais par ailleurs que par
ouï-dire)
Je résume dès maintenant pour ceux qui auraient la flemme de tout lire:
le problème des coeurs est à mon avis réglé définitivement, ils n'ont pas fondu
complètement, donc y'a pas de trou dans la coquille. Tout l'enjeu est maintenant
dans les piscines, et si on arrive à remettre de l'eau pour éviter que les tubes de
pastilles de MOX soient exposés (elles ne le sont pas encore, à mon avis) ben on
pourra ne plus en parler du tout et se concentrer sur les réfugiés.
Donc afin d'apporter une autre voix que le délire catastrophiste des medias, voici
pourquoi je ne flippe pas. Pensées en vrac:
- Cette centrale, du point de vue technologie, n'a absolument rien à voir avec une
centrale graphite - gaz comme celle de Tchernobyl. Une centrale graphite - gaz a
tendance à s'emballer alors qu'une centrale à eau a tendance à s'arrêter, comme
c'est je pense déjà le cas.
- Maintenant, le gros du travail se concentre non plus sur les coeurs qui sont pour
ainsi dire éteints, mais sur les piscines qui peuvent poser des problèmes si le
combustible venait à être exposé. Le seul danger restant, à mon avis, c'est non pas
qu'une piscine se mette à bouillir, ce qui me semble bien improbable avec du
combustible usagé, mais qu'il y ait une fissure et qu'elle se retrouve à sec.
Si c'est à sec ou du moins partiellement découvert, on peut effectivement se
retrouver avec des rejets dans l'atmosphère vu que les réacteurs éventrés baillent
comme sénateurs en séance.
- Rappelons qu'à Tchernobyl, ce ne furent pas des éternuements timorés de dragon
asthmatique: il y a a eu fission / emballement / explosion, envoyant des centaines de
kilos d'immondices à 5 km de hauteur dans l'atmosphère. puis brassage du tout par
les vents et distribution gratuite partout. Le plutonium est toxique chimiquement,
même à très petites doses, de l'ordre du microgramme si mes souvenirs sont bons.
Donc Tchernobyl, du point de vue quantité de matériel radioactif largué dans
l'atmosphère, je ne crois pas qu'on puisse imaginer pire.
Nous n'en sommes pas encore là, et nous n'en serons jamais là! Il n'y a pas eu
réaction de criticité / emballement / explosion nucléaire, mais explosion
chimique seulement. Le plutonium est bien resté dans la centrale. Et c'est assez
peu volatil. Notons que pour l'instant, il n'y a pas de nuage radioactif à proprement
parler, tout au plus de légères émissions de produits radioactifs. Rappelons aussi
que radiation ne veut pas dire nuage radioactif.
Il y a des radiations (intenses) près de la centrale, mais il n'y a pas encore de nuage
parce que cela supposerait un rejet massif de sous-produits de fission.
Rappelons que les radiations ne sont pas des rejets mais des rayonnements.
C'est donc local, et ça part en ligne droite, alors qu'un nuage radioactif est un nuage
qui circule au gré des vents, qui contient des particules radioactives qui, elles,
émettent des radiations.
Rappelons aussi une fois de plus (comme disait mon prof de physique en spé,
enseigner, c'est répéter)... que la situation actuelle, même dans le pire des cas n'a
RIEN à voir avec Tchernobyl.
Et pour les sceptiques vis-à-vis de la science, rappelons au passage que Tchenrnobyl
est à 100 bornes de Kiev, et que Kiev est très vivable.
- Ce qui se passe dans un cas comme Fukushima: Quand une centrale se met en
sécurité, la fission de l'uranium et du plutonium s'arrêtent pour ainsi dire
instantanément.
- Ben pourquoi qu'é s'arrête pô alors ?
Ah, il y en a un qui suit! En cassant les atomes d'uranium, la fission a généré tout un
tas de saloperies, des atomes plus petits mais instables qui continuent à se
désintégrer en particules plus stables / plus petites en libérant beaucoup d'énergie, ce
qui fait qu'il faut continuer à refroidir le système. Ce dégagement de chaleur résiduel,
très fort au départ, diminue très vite, et de façon exponentielle.
Je ne me souviens plus des chiffres, mais vu qu'on on dit qu'il faut 1 jour pour arrêter
une centrale, il doit rester au plus quelques % de la puissance d'origine (ce qui fait
tout de même une poignée de mégawatts). Puis au bout de 2 jours, quelques % de
ces quelques %, et ainsi de suite. Donc il est primordial de refroidir le coeur au début
des opérations d'arrêt pour éviter la fusion, mais après, c'est nettement moins
crucial.
- La radioactivité diminue rapidement. À titre indicatif, la radioactivité qui a empêché
hier les hélicos d'arroser était dans les 500 mSv/h, et elle était à 80 aujourd'hui. Au
stade actuel, même si le coeur n'a plus d'eau, il n'y a plus suffisamment de puissance
pour faire de gros dégâts. Je ne sais même pas si les pastilles ou les barres de
régulation pourraient encore fondre même dans le cas où il n'y aurait plus du tout
d'eau. Notons le problème cornéilen d'une centrale: il ne peut pas y avoir fission s'il
n'y a pas d'eau (les neutrons ont besoin d'être ralentis et l'eau est un très bon
ralentisseur), mais il est impossible d'arrêter une centrale sans dommages en
l'absence d'eau. L'eau est donc nécessaire pour arrêter dans de bonnes conditions,
mais elle est aussi nécessaire à la fission.
Corollaire: même si l'eau disparaissait maintenant, IL NE POURRAIT PLUS Y AVOIR
FISSION / REDEMARRAGE / EMBALLEMENT!!!
- Il n'y aurait une vraie fusion (qui perce l'enceinte de confinement par le bas) que si
rien n'avait été fait. Mais tout a été fait pour éviter le pire. La grande idée a été
d'injecter de l'eau de mer plutôt que d'attendre que le coeur fonde. Ils auraient
dû le faire dès le départ au lieu de penser à sauver le réacteur. Profit quand tu nous
tiens... Bref, du point de vue de la fusion des coeurs, on est maintenant en sécurité.
On peut donc laisser quimper le matos en matant un coup de temps en temps par le
trou de la serrure.
- Rappelons que la piscine, plutôt que de refroidir, sert surtout à terminer les
réactions des sous-produits de fission jusqu'à ce que le tout arrive à un état stable,
transportable. Ça prend généralement pas mal de temps. Mais en tout cas, il n'y a pas
une puissance démente dans la piscine, ce qui fait que je ne crois pas à une possible
ébullition. Le niveau baisse par évaporation, et il y a beaucoup de vapeur qui sort
comme il en sort beaucoup aussi dans les sources thermales pourtant loin de
l'ébullition. Surtout par temps froid. Mais en tout cas, les limites de temps pour agir
sont beaucoup moins critiques maintenant.
Un coup de chapeau aux techniciens qui, bien que nuls à chier en communication (à
en juger par les conférences de presse quotidiennes) n'ont pas quitté le navire et
continuent encore en ce moment au péril de leur vie à usiner dans l'ombre alors que
les radiations sont encore importantes. Je pense que ceci restera un accident
modérément grave vu l'ampleur (6 réacteurs potentiels). Ce ne sont que mes
pronostics.
Et pour ajouter un petit couplet anti-nucléaire à ce qui est écrit ci-dessus et qui pour
l'instant peut sembler outrancièrement optimiste ou pro-nucléaire:
Je pense que pour le prix d'une centrale (1), on pourrait réaliser des kilomètres
carrés de panneaux solaires. Plus on en produirait, plus les coûts baisseraient, et plus
on pourrait en produire encore moins cher.
Pour le prix d'une deuxième, on pourrait faire des centaines d'éoliennes verticales à
très bon rendement, robustes et capable de surmonter les pires tempêtes et donc
facilement installables en mer, et de plus suffisamment imposantes pour que les
mouettes ne se scraffent pas la tronche dedans quand elles rentrent bourrées.
Pour le prix d'une troisième, on pourrait investir dans de la recherche pour fabriquer
des batteries bien plus performantes, rechargeables non plus 1000 fois comme le nec
plus ultra actuel, mais 10 000 fois, 50 000 fois ou ad vitam comme les condensateurs.
Ou alors investir dans la recherche de nouveaux matériaux à forte constante
diélectrique pour pouvoir faire des condensateurs suffisamment petits pour stocker
plein d'énergie.
Et pour le prix d'une quatrième centrale, on pourrait fabriquer des dizaines de tonnes
de ces batteries. L'électronique pour mutualiser un réseau électrique distribué? Elle
existe déjà.
Je vous laisse continuer avec les technologies que vous jugerez adéquates pour ce
qu'il serait possible de faire avec le prix d'une cinquième centrale.
Et puis en cas de raz-de-marée, on pourrait se concentrer sur la reconstruction et
l'aide aux réfugiés au lieu d'être obligés de gaspiller des milliards pour réparer les
conneries.
(1) Quand je parle du prix d'une centrale, c'est évidemment le prix total qui comprend
non seulement les murs et les fourneaux, mais aussi les frais de fonctionnement,
d'enrichissement, de retraitement, de dépollution, de stockage de déchets, etc...
Bon, c'est tout pour aujourd'hui. N'oubliez pas le guide!
Pascal