Désolé, je n'ai pas pu m'en empêcher

Source : lemonde.fr



La longue vie des clichés sur les vols intérieurs russes
LEMONDE.FR | 11.08.04 | 14h18
Les clichés sur les compagnies aériennes russes ont la vie dure, surtout lorsqu'ils sont périodiquement alimentés par le récit d'incidents aussi invraisemblables qu'extraordinaires. Comme celui qui a eu récemment lieu sur le vol 713 d'Aeroflot reliant Moscou à la ville sibérienne de Nijnivartovsk. Les trois stewards du vol, qui se sont révélés passablement imbibés d'alcool, ont sévèrement battu un passager qui, lui, réclamait simplement un soda. Cet incident, largement relayé par la presse russe, fut même décrit par la BBC comme un phénomène de "reverse rage". Normalement, il revient au personnel navigant des compagnies aériennes de devoir raisonner, voire de maîtriser par la force un passager ivre en cours du vol.

La réalité quotidienne des vols Aeroflot, notamment sur les lignes internationales, est heureusement fort différente. Un Paris-Moscou sur la compagnie russe ne diffère en rien aujourd'hui, à part peut-être des portions plus généreuses de saumon fumé, de son équivalent sur Air France. Sur les vols internationaux, Aeroflot n'utilise plus ses appareils de fabrication soviétique, jugés trop bruyants pour les aéroports occidentaux, mais des Boeing et des Airbus. La compagnie a également troqué son logo et ses sobres lignes d'antan contre un nouvel "habillage" des carlingues, plus moderne et fantaisiste. Des autocollants en anglais, apparus il y a quelques années, tentent même par l'humour d'en finir avec le mythe de l'hôtesse de l'air russe désagréable et renfrognée. "Pourquoi nous ne sourions pas ? Parce que nous travaillons dur pour vous rendre heureux sur Aeroflot". Les vols d'Aeroflot seraient-ils en passe de devenir aussi ennuyeux et banals que ceux des grandes compagnies occidentales ?

Sans aller jusqu'aux excès du vol 713 pour Nijnivartovsk, les vols internes de la compagnie et de ses filiales régionales réservent quelques surprises au passager non averti. A commencer par cette odeur particulière de la cabine, mélange de kérosène, d'humidité et de renfermé qui semble ne jamais s'effacer de la mémoire. Fauteuils larges mais défoncés, moquette élimée, immenses hublots circulaires : ici aucun souci de rentabilité, le rapport à l'espace reste celui du temps où prendre l'avion ne coûtait que quelques dizaines de roubles. Les mordus d'aviation ne manqueront pas de remarquer la ligne effilée du fuselage des Tupolev 134 et 154, surnommés les "chevaux de trait" des cieux russes, largement inspirée des bombardiers stratégiques du même constructeur. Sans parler des mastodontes d'Iliouchine (Il 86 et Il 96), capables de transporter plusieurs centaines de passagers sans escale sur plusieurs fuseaux horaires en bravant les pires intempéries. Des appareils "indestructibles" pilotés par des hommes d'exception capables de décoller et d'atterrir dans des conditions inimaginables pour leurs collègues occidentaux, se vantent les Russes. "Sur une piste gelée, si j'avais le choix, je préférerais que le pilote soit russe" affirme un familier de ces lignes.

Ici, comme on peut l'imaginer, le service à bord est réduit à son strict minimum et les passagers ne daignent même pas jeter un coup d'œil aux infâmes barquettes que l'on distribue parfois sur les vols intérieurs. Prévoyants, leurs cabas renferment saucisses, cornichons marinés, poisson séché et tranches de pain noir que l'on fait passer avec des rasades de vodka tiède, histoire de s'occuper lorsqu'on en a pour plus de huit heures de vol entre Vladivostok et Moscou. Quand apparaissent les lumières du "koltso", ou le périphérique de la capitale, il n'est pas rare qu'un passager débouche également une bouteille d'"igristoïé", ce mousseux dont l'appellation de "champagne soviétique" a curieusement survécu à l'effondrement de l'empire.

Alexandre Lévy
Ce n'est pas de la provocation gratuite, j'aimerais seulement connaître l'avis de ceux qui ne recommande généralement pas Aeroflot (sur la partie concernant les vols internationaux, bien sûr). A noter que cet article fait parti de la section "décalée" du site lemonde.fr