« Autant les « vrais croyants » du Pentagone que les faucons de Tokyo veulent que le parapluie nucléaire soit basé sur le concept de « dissuasion élargie » par laquelle les forces américaines ripostent au moyen d’armes de ce type à n’importe quelle attaque, qu’elle soit menée par des vecteurs nucléaires, chimiques, biologiques ou conventionnels. Cette doctrine exprime une ligne dure à l’égard de la Chine et de la Corée du Nord, défendue par le Parti libéral-démocrate (PLD), qui a dirigé le Japon durant les cinq dernières décennies.

L’alternance politique d’août 2009 modifie la situation, le Parti démocrate (PD) partageant plutôt la vision de M. Obama telle qu’elle s’est exprimée à Prague. Le ministre des affaires étrangères Okada Katsuya a plusieurs fois manifesté ce soutien. Lors de la présentation du cabinet, le 16 septembre 2009, il s’est demandé « si les pays qui déclarent leur volonté d’utiliser les armes nucléaires en premier ont encore le droit de parler de non-prolifération nucléaire ». Le 16 octobre, au cours d’une rencontre avec le ministre américain de la défense Robert Gates, M. Okada a émis le souhait de discuter de la question. M. Gates a évité le sujet, mais, lors d’une conférence de presse, il a exprimé le besoin d’une « dissuasion flexible ». Le même jour, à Kyoto, M. Okada a souligné une contradiction dans la politique passée de son pays. « Jusqu’ici, a-t-il noté, le gouvernement japonais a dit aux Etats-Unis : “Nous ne voulons pas que vous excluiez l’emploi en premier parce que cela affaiblirait la force de dissuasion nucléaire.” Le Japon n’est pas cohérent quand il appelle au désarmement nucléaire dans le monde tout en exigeant le droit à l’emploi en premier pour lui-même (4). » Répondant aux critiques, M. Okada a déclaré que, si Washington renonçait à l’emploi en premier, « cela ne signifierait pas que le Japon serait à l’extérieur du parapluie. Dans l’éventualité malheureuse où le Japon subirait une attaque nucléaire, nous n’excluons pas une réponse de ce type ».



M. Okada a également scandalisé des faucons, tant à Tokyo qu’à Washington, en déclarant, à propos de la menace de la Corée du Nord, que « des armes conventionnelles suffisent pour y faire face » et qu’une « zone dénucléarisée en Asie du Nord-Est » serait souhaitable. Certes, le premier ministre Hatoyama Yukio s’est montré plus circonspect que M. Okada, et il n’est pas certain que le ministre des affaires étrangères exprime l’opinion de M. Ozawa Ichiro, le dirigeant de son parti, plus belliciste. Des divisions profondes traversent cette formation comme la société dans son ensemble. Un grand nombre de faucons, qui privilégient la dissuasion élargie, sont aussi partisans d’une force nucléaire japonaise indépendante, et ils se saisiraient volontiers d’une divergence avec l’administration Obama pour renforcer leurs arguments.

Aucun va-t-en-guerre à Washington ne prend au sérieux ni M. Okada ni M. Guido Westerwelle, le ministre des affaires étrangères allemand, qui a appelé à plusieurs reprises au retrait des armes nucléaires tactiques américaines de son territoire. Ils regardent les deux hommes comme des figures politiques provisoires qui seront tôt ou tard rejetées. Alors président du conseil de planification politique du département d’Etat dans l’administration de M. William Clinton, M. Morton H. Halperin nous avait confié qu’un haut fonctionnaire de son ministère avait balayé ces déclarations politiques en affirmant : « Ce n’est pas le vrai gouvernement allemand. » Une attitude similaire s’exprime à propos des nouveaux dirigeants japonais. »


Lire Le dilemme nucléaire du président Barack Obama, par Selig S. Harrison, sur le site du Monde Diplomatique.