« Chez les travailleurs et chez ceux qui connaissent bien le groupe, ce rappel de voitures n’a rien d’étonnant. Parmi eux, Kamata Satoshi, auteur de Toyota, l’usine du désespoir, enquête au vitriol sur le toyotisme, qui a connu un énorme succès en 1973 au Japon (mais aussi aux Etats-Unis et en France) et a été réédité en français l’an dernier (Demopolis, Paris, 2009). L’écrivain journaliste est archiconnu dans tout le pays pour ses enquêtes sociales détonantes et sa lutte contre les discriminations. Du reste, il nous reçoit dans le local de la Ligue de libération des Burakumin (descendants de la caste des parias du Japon féodal, vivant aujourd’hui dans des conditions épouvantables) pour évoquer Toyota qu’il a continué à suivre au cours des dernières décennies. « C’est toujours – et plus que jamais – l’usine du désespoir », assure–t-il, refusant d’avaliser la thèse du complot américain. Le « toyotisme » qu’il a décortiqué peut se résumer par le slogan « zéro stock, zéro défaut » – fruit d’un travail en équipe, d’une formation de qualité et de l’emploi à vie (au moins pour les usines du groupe), permettant de produire à flux tendus et d’améliorer la productivité. Le système, censé dépasser le taylorisme (où chaque salarié doit reproduire le même geste), entretenait une forte pression sur les travailleurs des usines Toyota aux salaires individualisés, et s’appuyait sur des sous-traitants ultra-flexibles et moins bien rémunérés. Kamata en décrit parfaitement les mécanismes et les conséquences sur les salariés.

« La question du rappel des voitures, déclare t-il, ne date pas du différent américano-japonais sur l’emplacement d’une des nombreuses bases américaines sur notre sol. Entre 2000 et 2005, plus de cinq millions de voitures Toyota ont été rappelées, soit 36 % de toutes les voitures reconnues défectueuses dans le monde – bien plus que la part du groupe dans les ventes mondiales. On constate même une accélération, puisque l’on parle de 8 à 9 millions de voitures rappelées pour l’exercice 2009-2010. » Kamata rappelle qu’à plusieurs reprises, des salariés et de petits syndicats, tel Zen Toyota Rodo, ont alerté sur les dangers que la direction de Toyota faisait courir aux automobilistes « en raison des conditions de fabrication. L’externalisation de la conception et donc la stérilisation des savoir-faire accumulés, la réduction de temps de mise au point des modèles nouveaux, l’augmentation du volume des tâches pour chaque salarié, l’intensification du travail ont conduit à la situation actuelle. Certes, le taux de profit de Toyota a grimpé de plus en plus vite [quatre milliards de dollars en 2009], mais les conditions de travail se sont dégradées. » »




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