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Sujet : Interview de Yuasa Makoto

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    Par défaut Interview de Yuasa Makoto

    Bonjour

    Je me permets ici de reproduire un article paru dans le journal
    OVNI du 2.3.2009

    YUASA MAKOTO, RESPONSABLE DU RÉSEAU CONTRE LA PAUVRETÉ

    Vous parlez souvent de "société toboggan" (suberidai shakai). Pourriez-vous l'expliciter et nous parler du Réseau contre la pauvreté que vous dirigez ?
    Y. M. : S'il existait vraiment une protection sociale à trois niveaux (aide publique, assurance sociale et assurance chômage), cela permettrait aux personnes en difficultés d'y faire face et de continuer à vivre. Or cette protection sociale s'est révélée inefficace. Même si l'on travaille, on ne peut pas vivre normalement. On n'est pas couvert par l'assurance-chômage et on n'est pas en mesure de recevoir des aides sociales. Voilà l'existence des travailleurs non réguliers. Dans ces conditions, la société ressemble à un toboggan. Une fois qu'on a commencé à glisser, on ne peut plus s'arrêter. C'est exactement la situation de la société japonaise actuellement. Une fois que l'on est en bas, il n'est pas facile de remonter en empruntant le toboggan. Pour résumer, cela signifie qu'il est extrêmement difficile dans notre société de repartir à zéro pour ceux qui ont échoué. Face à ce constat, nous avons créé le Réseau contre la pauvreté (hanhinkon nettowâku) dans le but de changer l'orientation de la société japonaise. L'organisation fonctionne sous la forme d'un réseau et regroupe des personnes qui travaillent dans divers domaines liés à la pauvreté. Devant l'aggravation de la situation dans les secteurs qui les intéressaient (SDF, protection sociale, syndicalisme, handicap, mères célibataires), ces hommes et ces femmes ont décidé, en 2007, de se réunir dans ce réseau.



    Vous avez récemment participé à la création du "village des intérimaires" (haken-mura) implanté dans le Parc de Hibiya à Tokyo.
    Y. M. : A la fin de chaque année, le nombre de personnes confrontées à l'exclusion ne cesse d'augmenter. Ces nouveaux SDF n'ont aucune idée du mode de vie dans les rues et se retrouvent exposés à des dangers bien réels. A cette période de l'année, les administrations ne travaillent pas. La plupart des entreprises sont fermées. En d'autres termes, la machine sociale est à l'arrêt. Compte tenu de cela, on se rassemble pour négocier le "passage à la nouvelle année". C'est en effet un moment important au cours duquel il faut soutenir le plus possible ceux qui en ont besoin. Depuis 2002, je m'étais un peu éloigné de cette activité de soutien direct aux personnes dans la rue. J'y suis revenu, cette année, à la demande de syndicalistes et face à la situation très difficile à laquelle doivent faire face les travailleurs intérimaires (haken).

    En France, on considère le Japon comme un pays égalitaire. Or il semble qu'il devient de plus en plus inégalitaire.
    Y. M. : On le doit à la destruction des trois niveaux de protection sociale. En arrière plan, on retrouve le néo-libéralisme et la mondialisation dominée par des entreprises multinationales. Le néo-libéralisme est responsable de la disparition du modèle japonais de l'emploi. Il jouait un rôle dans la protection sociale mais c'est désormais terminé. Sous la pression du néo-libéralisme, on a réduit la protection sociale de l'Etat tout en allégeant les charges des entreprises. Dans ces conditions, il est normal que certaines personnes ne puissent pas s'en sortir si les entreprises et l'Etat ne remplissent pas leur fonction dans le domaine de la protection sociale. Les couches moyennes ne sont pas épargnées par l'accroissement de la pauvreté, car elles sont tirées vers le bas.
    Cela signifie-t-il que n'importe qui peut être confronté à la pauvreté ?
    Y. M. : C'est un peu exagéré d'affirmer que n'importe qui peut sombrer dans la pauvreté. Heureusement que pour la plupart des gens, ce n'est pas si facile de devenir pauvre. Ça se passe par étape. Un employé qui travaille dans une entreprise de premier ordre trouvera un emploi dans une société moins importante s'il est licencié. Si le salarié de cette société moins importante subit le même sort, il ira dans une entreprise plus petite. Ainsi de suite jusqu'à atteindre le fond et la pauvreté. Par ailleurs, comme le système de protection sociale fonctionne très mal en dehors du marché du travail, il suffit d'être en dehors de ce marché du travail pour que n'importe qui puisse devenir pauvre. En ce sens, l'essentiel est de savoir si l'on fait partie ou non du marché du travail.

    Pensez-vous que la société japonaise puisse changer ?
    Le changement est possible, mais ce n'est pas évident. Le Japon est un pays où le degré de dépendance à l'égard des salaires est très élevé et où l'identité des individus est très liée à leur travail. Voilà pourquoi, en l'absence d'une protection sociale digne de ce nom et face à l'affaiblissement du marché du travail, les jeunes prennent conscience aujourd'hui des difficultés de l'existence (ikizurasa). Toutefois, cela n'est pas reconnu par le reste de la société. C'est lié à la mentalité du travail à tout prix qui s'est forgée après la guerre au Japon et qu'il n'est pas facile de remettre en cause. Néanmoins, chez les jeunes, on sent que cet état d'esprit est en train de s'affaiblir.

    Que pensez-vous de la politique gouvernementale ?
    La politique du gouvernement en faveur de l'emploi peut être jugée dans une certaine mesure comme une politique de lutte contre la pauvreté, mais à aucun moment la question de la pauvreté n'y est clairement abordée. Car pour le gouvernement japonais, "le Japon est le pays développé où la pauvreté est la moins patente". Pourtant la pauvreté est une question qui concerne tous les domaines de la vie. Une fois déterminé un index de la pauvreté, il faut donc fixer des objectifs pour la réduire, en adoptant des mesures dans des secteurs aussi divers que l'éducation, le logement ou l'emploi.
    Propos recueillis par Claude Leblanc
    N en 1969, Yuasa Makoto est à la tête du Réseau contre la pauvreté qui réunit un ensemble d'acteurs décidés à enrayer le phénomème de la paupérisation au Japon. Il a notamment publié Hanhinkon - Suberidai shakai kara dasshutsu [Contre la pauvreté - En finir avec la société toboggan] paru chez Iwanami Shoten en 2008.

    et aussi

    UN TRÈS LOURD TRIBUT PAYÉ À LA MONDIALISATION

    Le 25 mars, les spectateurs français pourront enfin découvrir Tôkyô Sonata, le film de Kurosawa Kiyoshi dans lequel il dresse un formidable portrait de la société japonaise en proie au doute et en quête de nouveaux repères. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le message délivré par le réalisateur est plein d'optimisme. Comme il le dit si bien, "les jeunes Japonais sont aujourd'hui bien plus courageux que leurs aînés. Et même si leur idéal n'est pas le même que celui de leurs parents et s'il est différent de l'idéal que les adultes ont imaginé pour eux, je les sens très déterminés à se bâtir un avenir décent. J'ai confiance en eux". Cette déclaration d'amour envers la très jeune génération japonaise résume bien la philosophie de ce film que l'on devrait montrer à l'ensemble de la classe politique nippone qui semble bien éloignée des réalités. Car non seulement Tôkyô Sonata aborde les questions de la famille, de l'éducation, du chômage et du suicide, sujets récurrents dont les journaux ne cessent de parler à longueur d'années, mais cette œuvre soulève une autre question fondamentale pour l'avenir du Japon : son rapport à la mondialisation.
    C'est le fil rouge du film. Tout commence par le licenciement d'un cadre modèle dont le service est délocalisé en Chine. La décision le révolte, mais il s'y plie. Dans cette économie mondialisée où les frontières (kokkyô en japonais) tendent à disparaître pour permettre la libre circulation des marchandises et des capitaux, rien de plus normal. Pour le Japon, qui a fondé son modèle économique sur les exportations, c'est le prix à payer. Tant que le système fonctionne, peu de voix s'élèvent pour le remettre en cause. Ceux qui en sont exclus se comportent comme s'ils en faisaient encore partie, comme le montre avec justesse Kurosawa Kiyoshi. Le cadre licencié continue à mener sa vie de salaryman. Il part tous les matins pour son travail qu'il a pourtant perdu et fait semblant de croire qu'il pourra un jour retrouver sa place dans le système. Mais il doit se faire une raison, la mondialisation a triomphé du modèle japonais.
    Les entreprises japonaises en ont profité. Débarrassées des frontières, elles ont pu se développer dans ce monde globalisé où l'être humain est assimilé à un produit. Lorsqu'il ne fait plus l'affaire, on le remplace sans ménagement par un autre. Kurosawa Kiyoshi nous montre que ce système n'est pas viable sur le long terme, car l'individu n'est pas un objet et la désagrégation de la société sous l'influence de la mondialisation finit par se heurter à des résistances. A tel point que le réalisateur crée dans son film une frontière. Il s'agit d'une frontière toute symbolique, mais elle est matérialisée par une ligne qui sépare les chambres des enfants du reste de la maison et par les caractères kokkyô tracés sur un vieil écran de télévision. Pour le réalisateur, elle symbolise le rapport au monde. Dans cette famille japonaise ordinaire, les parents subissent les effets de la mondialisation et de l'autre côté de la frontière, c'est-à-dire du côté des enfants, on a choisi de ne pas la subir. L'aîné va au bout de la logique de mondialisation, en s'engageant dans l'armée américaine qui combat au Moyen-Orient. Le plus jeune résiste. Il rejette le diktat, venu de l'autre côté de la frontière, lui interdisant de prendre des leçons de piano. Cette passion pour la musique et sa motivation à pratiquer le piano, y compris sur un petit instrument de plastique déniché dans une poubelle, traduisent avec force la possibilité d'un autre avenir que celui imposé par le système en place.
    En créant cette frontière physique dans son film, Kurosawa montre que l'utopie d'un monde sans frontière peut s'avérer funeste. Un constat qui rappelle celui dressé en 1921 par les deux géographes français Jean Brunhes et Camille Vallaux. "Il n'y a pas de sujet qui revienne plus souvent sous la plume des utopistes humanitaires que la suppression des frontières. Soit leur suppression pure et simple, soit par l'établissement d'un fédéralisme universel qui les rendrait inoffensives. Il est bien tentant de soutenir que les frontières ont été inventées par les hommes d'Etat et les militaires pour opprimer les peuples", écrivaient-ils. La crise financière venue des Etats-Unis, chantres de la mondialisation, confirme douloureusement ces propos. Il n'est donc pas étonnant que la question des frontières et du protectionnisme refasse surface actuellement et suscite de nombreux débats. Voilà pourquoi j'encourage tous mes amis qu'ils soient Japonais ou Français à voir Tôkyô Sonata, un film qui souligne la nécessité d'entretenir des repères, la frontière en faisant partie, pour que les hommes ne se retrouvent pas totalement déboussolés et incapables de réagir.
    Claude Leblanc
    Dans le parc de Hibiya, Tokyo, des exclus du système se sont regroupés dans un village de tentes en décembre 2008 et janvier 2009.

    HISTOIRE
    Inauguré le 1er juin 1903, le parc de Hibiya (Hibiya Kôen) fut le premier parc à l'occidental ouvert dans la capitale japonaise. Au lendemain de la victoire nippone sur la Russie en 1905, des milliers de personnes participent à une manifestation contre le traité de paix pour le rejeter. La police la réprime alors violemment, laissant derrière elle 17 morts et plus de 500 blessés. Ce ne sera malheureusement pas la seule fois où le sang coulera dans ce parc. En 1960, Asanuma Inejirô, leader du Parti socialiste, qui s'oppose au renouvellement du Traité de sécurité entre les Etats-Unis et le Japon, y est poignardé par un jeune militant d'extrême droite.
    Près de cinquante ans plus tard, on continue à s'y rassembler pour protester. Lieu de rendez-vous des amoureux et des salariés fatigués qui viennent y faire une pause, comme le raconte si bien Yoshida Shûichi dans son roman Park Life (éd. Philippe Picquier, 2007), le parc de Hibiya est aussi l'endroit où vivent une cinquantaine de SDF. C'est la raison pour laquelle ceux qui se sentent rejetés par la société en ces temps de crise ont choisi d'y installer un village de tentes à la fin de l'année 2008 pour sensibiliser l'opinion publique et les responsables politiques. Depuis sa création, le parc de Hibiya reste étroitement associé à l'histoire politique et sociale du Japon.
    Dernière modification de asagiri, 02/03/2009 à 16h27
    波 鳥 空 

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