« J'ai termine un dorama avec Kimura Takuya, Concerto (1997). Je suis toujours frappe par certains evenements dans les doramas. Imaginez un architecte de renom, qui dessine une bibliotheque prestigieuse et qui se voit retirer toute responsabilite sur l'ouvrage sur decision personnelle d'un entrepreneur. Le Japon ignorerait il les droits d'auteurs ? Les rapports sociaux seraient ils ignorant des legislations ? Ce qui est frappant dans les doramas est le degre d'acceptation. La police qui n'arrive qu'apres un carnage et n'arrete personne, les coupables qui attendrissent les policiers, les victimes prises a parti et suspectees de porter une part de responsabilite dans ce qui leur arrive... C'est un portrait sans complaisance (bien involontairement) sur les disfonctionnements de toute la societe que les doramas montrent a l'oeil de l'etranger. Une societe de lachete paree de bons sentiments suintants ou personne ne fait confiance a personne et ou les crimes des "dominants" s'amendent avec les annees et les regrets, au mepris total des victimes soumises. Il y a des fois, je me demande si les jeunes qui ne sortent pas de leur chambre (estimes entre 5 et 10%) ne sont pas les plus normaux. A l'ecole, l'intimidation commence tres tot. Brimades, bousculades, mepris : l'ijime (harcelement) est la norme dans une societe qui fait de la vie en groupe la base meme de l'identite des individus. [...]

Au Japon, un eleve victime d'ijime est ostracise. Kusai !, il pue... Shine !, creve... Vous imaginez, a sept ans, huit ans... Les informations regorgent de ces faits divers d'enfants assassines par d'autres enfants, d'enfants qui se suicident, parfois en groupe apres s'etre donne rendez vous sur un site internet... Les medias s'interrogent sur les moyens de proteger ces enfants, mais tres souvent l'ijime est vu comme une faiblesse de la part de celui qui en est victime, qui s'enferme alors encore plus dans sa honte. Un jour, il/elle ne peut plus aller a l'ecole, s'enferme a la maison dans une depression nerveuse d'adolescent (les pires), faisant porter le poids de la honte sur la famille entiere.

Bien entendu, ce n'est pas une categorie dominante au Japon, mais c'est un phenomene typiquement Japonais. En Europe, l'ijime frappe avant tout les jeunes homosexuels et n'est pas, heureusement, aussi socialement admis qu'au Japon. L'ijime, ici, se continue ici sous des formes divers dans l'age adulte. Le groupe fait pression sur celles et ceux qui ne sont pas maries. On ostracise les meres celibataires et les divorces (qui finissent par demissioner de leur entreprise tant la pression est alors insupportable : travail degradant, surtravail, blames, exclusion des activites du groupe, etc) ainsi que leurs enfants quand la situation s'ebruite parmi cette force sociale de la conservation, les "meres" (certaines ecoles demandent au parent de retirer leurs enfants pour ne pas ternir l'image de l'etablissement). La encore, bien entendu, les exceptions existent, mais ce penchant de la societe et du groupe de s'immiscer dans la vie des individus est le plus fort, meme dans une ville comme Tokyo. Ainsi, il y a 15 ans, une manager japonaise a Paribas Tokyo a ete menacee d'etre renvoyee apres qu'elle eut divorcee car, d'apres le directeur, Japonais, elle salissait l'image de la maison. Elle a pu heureusement obtenir une mutation a Londres, elle s'est remarie et... elle a remplace celui qui voulait la renvoyer. Sa chance etait de travailler pour une grande entreprise internationale.

La passivite des individus dans les doramas ne laisse de me surprendre. J'y vois un reflet, bien involontairement compose, d'une societe ou le plus fort domine le plus faible, ou le plus faible se sent responsable, voire coupable de sa situation et ou la masse intermediaire tente par tous les moyens de ne pas basculer dans le camps des plus faibles en acceptant les mariages arranges, les heures supplementaires non remunerees, les soirees karaoke avec le chef qui chante mal et le dernier metro manque, les enfants qu'on ne voit jamais parce que le chef veut qu'on aille aussi travailler le samedi, les ecoles de bachotage qui accueillent les eleves de 18 heures a 22 heures et coutent une fortune que les parents paient quand meme parce que si on ne le fait pas ni les voisins ni les camarades de classe ni les autres parents d'eleve ne les comprennent... » — Lu sur le blog de Suppaiku.