Le moment où la beauté s'efface
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le 26/04/2013 à 07h37 (9653 Lectures)
Au Japon, le mois dernier, se terminait la période du Ohanami. Hanami signifie "le spectacle des fleurs" et le O, honorifique, précise qu'au Japon on ne rigole pas avec la tradition. Car s'il y a bien une tradition solidement ancrée dans les habitudes des Japonais c'est ce spectacle des cerisiers en fleur. Vers la fin du mois de mars, on l'attend, on guette les branches. A la télévision, une page de météo spéciale suit la progression, sur la carte du Japon, du front de floraison qui monte du sud vers le nord. Et quand la vague arrive, la vague blanche et rose, tout le monde se précipite avec son tonneau de saké et ses poissons grillés sur la moindre pelouse, chacun sous son cerisier.
Malheur à celui qui arrive en retard, le coin de pelouse se dispute très cher, on a de la chance si on trouve l'ombre d'un arbre, d'un cerisier je ne vous en parle même pas. Pourtant le cerisier est bien l'arbre le plus répandu dans les rues de Tôkyô. Et pourquoi le cerisier, me direz-vous ? D'abord, et c'est sans doute la raison véritable, parce que c'est un très bel arbre. Et parce que les fleurs poussent aux branches des cerisiers bien avant les feuilles. Ainsi, le spectacle des pétales blanches et roses sur le bois noir donne un contraste splendide. Les Japonais sont très sensibles à la nature et aux saisons, les principaux jours fériés correspondent à ces époques (équinoxes et solstices) et l'arrivée des fleurs de cerisier est une vraie fête, celle du retour de la nature, des plantes et même des insectes au coeur de Tôkyô.Mais la tradition ajoute une autre dimension à la fête du Ohanami. Car les cerisiers ont une particularité, celle de perdre leurs pétales, au premier vent, en une neige blanche et rose sur les épaules des passants. Cet instant est éphémère, quelques jours, quelques heures à peine, et c'est ce qui le rend beau. Et une marche sur la promenade des philosophes, à Kyôtô, sous les pétales de fleur, même au milieu d'une foule dense, est un spectacle inoubliable.Ce qui nous amène à la minute érudite : de l'importance de l'éphémère dans l'esthétique japonaise.
"La beauté n'apparaît véritablement qu'à l'instant où elle fane."C'est tout le paradoxe du Japon où la beauté réside à la fois dans l'éternel du mont Fuji et dans l'instant des pétales de cerisier. Il y a de la nostalgie bien sûr dans ce moment où se forme déjà le souvenir d'un bonheur qui disparaît. Mais une nostalgie positive puisque c'est le printemps qui s'annonce et que, de toute façon, on sait bien que l'année prochaine tout recommence. Un éphémère qui dure l'éternité...
A propos de l'auteur : je m'appelle Jean-Philippe Depotte, je suis romancier. J'ai vécu avec ma famille quatre ans à Tôkyô. A l'occasion de la publication de mon quatrième roman "le Chemin des dieux", chez Denoël, j'ai décidé de raconter mes impressions japonaises dans ce blog.
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