Assurément, Mme Bovary serait un Otaku
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le 17/06/2013 à 09h44 (30064 Lectures)
On a beaucoup ri des Otakus. Ces Japonais, jeunes ou moins jeunes, ces hommes en général (mais pas seulement), qui s'isolent dans un appartement minuscule, au milieu d'un capharnaüm d'idoles en plastique.
Le caractère japonais qui désigne l'Otaku signifie aussi la maison. La condition première de l'Otaku est donc l'enfermement. L'enfermement chez soi, mais aussi l'enfermement tout court.
Au Japon, il coexiste deux mondes. Le monde de l'intérieur (Uchi) et le monde de l'extérieur (Soto). Le monde de l'extérieur est le monde des apparences. Un monde de rôles et de conventions. Chacun doit y avoir sa place et la garder. A chaque chose, à chaque geste correspond un idéal : quel costume porter, quel bonjour prononcer, à qui je dois quelle formule de politesse. Ces normes sociales sont, pour qui les accepte, un confort immense, un monde uniforme et sans interrogation. Mais c'est un monde de façade et, en vérité, personne n'est dupe. L'adulte raisonnable sait bien ce qui se cache derrière les paravents.
Mais l'Otaku n'est pas un adulte raisonnable, il est encore un enfant. Et il ne comprend pas ces choses-là. L'Otaku, je pense, est une personne pour qui la réalité s'arrête aux paravents. Un Japonais tellement épris d'Idéal qu'il refuse la vérité triviale. Alors, il refuse l'extérieur (le Soto) et il s'enferme chez lui (l'Uchi) où il se recrée un monde parfait. Un monde de mangas et de jeux vidéos. Pas forcément un monde plus beau - on peut trouver du sexe, du trash et de la violence dans les animé - mais un monde qui obéit à des règles immuables. Un monde normé en profondeur et non pas seulement en apparence. Un extérieur idéal.
Ainsi, avec nos mots occidentaux, l'Otaku est un véritable Romantique. Il vit dans un monde de passions imaginaires, un monde plus beau, plus pur, peu importe ce qu'il met derrière ces mots. A propos de ses poupées en plastique, un Otaku disait : "pourquoi les filles dans le métro n'ont-elles jamais un regard aussi émouvant ? Ce sont elles les femmes sans âme !"
Alors madame Bovary, assurément, serait un Otaku.
A propos de l'auteur : je m'appelle Jean-Philippe Depotte, je suis romancier. J'ai vécu avec ma famille quatre ans à Tôkyô. A l'occasion de la publication de mon quatrième roman "le Chemin des dieux", chez Denoël, j'ai décidé de raconter mes impressions japonaises dans ce blog.
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