Du Katakana au Franponais
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le 13/06/2013 à 11h42 (18021 Lectures)
Dans une phrase japonaise, en général, trois alphabets différents sont utilisés. Le premier, le principal, ce sont les Kanjis. En France, on les appelle les idéogrammes. Ce sont les caractères chinois. Il y en a des milliers. Il représentent le sens des mots (la racine).
Ensuite, viennent les Hiraganas. 46 caractères syllabiques. Leur rôle, en général, est d'apporter la grammaire à la phrase (pronoms, conjugaisons, etc.).
Et enfin, l'alphabet Katakana qui se charge de tout le reste. OK, mais c'est quoi le reste ? Ce sont (en gros) les néologismes et les mots étrangers.
Un jour, j'écoutais le discours d'un érudit comme notre beau pays sait en produire. Il racontait que le Katakana était l'alphabet par lequel les Japonais excluent les mots étrangers de leur langage. Sorte de bouclier contre les barbarismes (et la barbarie). L'érudit en question en déduisait une tonne de conclusions fort intéressantes à propos de la civilisation japonaise. Je vous laisse imaginer...
Mais en réalité, il se trompait sur toute la ligne. Le Japonais est une langue phonétiquement pauvre. Comprenez : il y a très peu de syllabes différentes, à peine cinquante. Les homonymes sont donc légion et un texte entièrement écrit en alphabet syllabique (disons, en hiraganas) serait incompréhensible. Aussi, l'alphabet utilisé donne une indication au lecteur : sens, grammaire ou mot nouveau ou étranger. Un mot issu de l'américain est écrit en katakana. C'est une façon de dire au lecteur : n'essayez pas de trouver un sens japonais ou grammatical à ces syllabes, prenez le mot comme il est, c'est un mot étranger. C'est un peu (toutes proportions gardées) le problème de l'écriture Texto, c'est-à-dire un français dépouillé de ses éléments grammaticaux et qui sous des airs de simplification rend, en réalité, le texte très pénible à lire.
Le Katakana, fort pratique, n'a donc rien d'un bouclier. Au contraire ! On est surpris, en apprenant le japonais, du nombre énorme d'anglicismes dans cette langue. L'académie française si allergique à l'anglais serait horrifiée ! Ainsi, au Japon, sans complexe, on digère les termes nouveaux et étrangers à la moulinette de l'alphabet syllabique. Et comme les phonèmes y sont peu nombreux, le mot étranger subit souvent quelques contorsions...
Marquise devient Marukizu, Billard devient Biâdo, Renoir devient Runoaru. Après quelques mois passé là-bas, on s'habitue...
Et puis, les Japonais s'approprient tellement facilement le vocabulaire étranger qu'ils en arrivent, ultime étape, à créer leurs propres néologismes français ou anglais. Un comble ! De là est né le Franponais, mélange subtil de français et de japonais. Le français c'est tellement chic !
A propos de l'auteur : je m'appelle Jean-Philippe Depotte, je suis romancier. J'ai vécu avec ma famille quatre ans à Tôkyô. A l'occasion de la publication de mon quatrième roman "le Chemin des dieux", chez Denoël, j'ai décidé de raconter mes impressions japonaises dans ce blog.
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