• Cette nature qui inspire les arts martiaux



    Il est remarquable de voir comment en Chine, et au Japon la connaissance de la nature, ou mieux des lois naturelles, pendant des millénaires, s'est fondue dans un tout où religion, vie, philosophie, exercices, arts martiaux, médecine, peinture, architecture, s'interpénètrent intimement au point d'être tous complémentaires l'un de l'autre.
    « L'homme étant l'émanation de la nature universelle, toute connaissance vient et retourne à la nature, qui est pour tous les hommes, le livre commun. »
    Je cherche ici à mettre en évidence cette relation vis-à-vis des arts martiaux par le biais de faits et d’histoire liés aux arts martiaux. Le Bushido ne dit-il pas : Respecter la règle "de la tige et des branches": l'oublier, c'est ne jamais parvenir à comprendre ce qu'est la vertu.


    Le mystique
    :

    Le Shinto, religion animiste, est l’âme de l’esprit nippon. Au travers de ce culte, le Japonais et par extension l’artiste martial vénère son environnement naturel, et apprend à vivre en harmonie avec celui-ci. L’entité Japon, terre des kamis, investit la vie de chaque individu. Et la mort nécessaire de chaque individu, ou son sacrifice pour son entité, est un hommage aux dieux. Si bien que le Japon n’a pas de destin personnel. C’est la manière d’assumer le réel qui crée le destin. « Pour être un saint au Japon, dit un grand prêtre Shinto, Yamakage, il faut avoir une grande influence sur la vie réelle. »


    La source du temple Katori ne fut elle pas la révélation à Iisaza Choisai de la puissance du sanctuaire Katori où il décida de se consacrer à l’étude des techniques martiales.
    Le Bouddhisme Zen est en parfaite adéquation avec la philosophie Shinto et apporte au Japonais une notion supplémentaire de méditation. Les maîtres Japonais pratiquèrent beaucoup la méditation avant la pratique de leur art. Si l’on conçoit que la vie de l’homme est semblable à une corde nouée, le Zen propose à l’homme non pas d’ajouter de nouveaux nœuds, c’est-à-dire d’accroître ses liens de connaissances ou de pouvoirs divers, mais au contraire de défaire la corde de tous les nœuds, de la restituer en quelque sorte droite et lisse, telle qu’elle était à son origine. C’est pourquoi le Vide Zen est le contraire du néant. Le sens de bouddhiste que le Zen donne à l’homme signifie que tout existe déjà en nous-mêmes et qu’il suffit d’écarter toutes les causes qui obscurcissent la vraie connaissance pour renouer le contact avec cette connaissance.
    Et quelle meilleure façon de méditer qu’au sein de la nature ou face a un jardin. Le lien Zen-Nature est évident pour nous tous, je pense.

    La force
    :

    Pour prouver sa force et affronter le maître, le jeune combattant fougueux s’empara d’une planche et la brisa. Le vieil homme, nullement impressionné proposa au jeune homme d’essayer sur un morceau de bambou. « Le maître le détruit d’un seul coup » déclara-t-il. Le jeune homme eut beau y mettre toute sa force, il ne parvint pas à briser le bambou. Il repartit s’entraîner et revint deux ans plus tard. Fier de lui, il demanda une audience et brisa le morceau de bambou devant le vieil homme. Celui-ci confus lui dit : « je m’excuse de n’avoir pas été clair, je parlait de le détruire a l’aide de la voix. » Cette anecdote et beaucoup d’autres reprises dans de nombreux contes d’arts martiaux prouvent que les capacités physiques du bambou étaient bien connues des pratiquants d’arts martiaux.
    Comment ne pas évoquer le Tameshigiri, ou le test de coupe. Ceux ci étaient et sont encore réalisés entre autre sur une botte de paille renfermant une ou deux tiges de bambou.


    Le médecin Shirobei Akiyama était parti en Chine pour étudier la médecine, l'acupuncture et quelques prises de Shuai-Chiao, la lutte chinoise.

    De retour au Japon, il s'installe près de Nagasaki et se met à enseigner ce qu'il avait appris. Pour lutter contre la maladie, il emploie de puissants remèdes. Dans sa pratique de la lutte, il utilise beaucoup sa force. Mais devant une maladie délicate ou trop forte, ses remèdes sont sans effets. Contre un adversaire trop puissant, ses techniques restent inefficaces.

    Un à un ses élèves l'abandonnent. Shirobei, découragé, remet en question les principes de sa méthode. Pour y voir plus clair, il décide de se retirer dans un petit temple et de s'imposer une méditation de cent jours.

    Pendant ses heures de méditation, il bute contre la même question, sans pouvoir y répondre:

    "Opposer la force à la force, n'est pas une solution, car la force est battue par une force plus forte. Alors, comment faire?"

    Or, un matin, dans le jardin du temple où il se promène, alors qu'il neige, il reçoit enfin la réponse tant attendue après avoir entendu les craquements d'une branche de cerisier qui cassa net sous le poids de la neige, il aperçoit un saule au bord de la rivière. Les branches souples du saule ploient sous la neige jusqu'à ce qu'elles se libèrent de leur fardeau. Elles reprennent alors leur place, intactes.


    Cette vision illumine Shirobei. Il redécouvre les grands principes du Tao. Les sentences de Lao-Tseu lui reviennent en tête:

    Qui se plie sera redressé
    Qui s'incline restera entier

    Rien n'est plus souple que l'eau
    Mais pour vaincre le dur et le rigide
    Rien ne la surpasse

    La rigidité conduit à la mort
    La souplesse conduit à la vie

    Le médecin de Nagasaki réforme complètement son enseignement qui prend alors le nom de Yoshinryu, l'école du cœur de saule, l'art de la souplesse, qu'il apprendra à de nombreux élèves.

    La beauté éphémère:

    La beauté de la nature et des plantes toucha profondément les samouraïs au travers de la méditation zen et de la cérémonie du thé. Ainsi le samouraï s’identifia à la beauté éphémère des cerisiers en fleurs, ces fleurs somptueuses qui pourtant ne vivent pas plus d’une ou deux semaines. La fleur de cerisier devient à l’époque Heian, la fleur par excellence, au point d’être le 3ème sujet le plus repris dans les waka :

    Le parfum des fleurs de cerisiers est omniprésent,
    Comme s’il jaillissait du fond de l étang,
    Je ne me lasserai jamais de l’observer,
    Jusqu à la fin du monde

    Le Samouraï voit en la fugacité de la fleur de cerisier, toute la signification d’une vie. Fragile, éphémère, mais qui peut être d’une étonnante beauté quand le soleil l’éclair.
    "Hana wa sakuragi hito wa bushi" (De même que la fleur du cerisier est la fleur par excellence, le guerrier est l'homme par excellence.)


    Cela prend un caractère sacré, au travers de la méditation zen, où le vide est parfois ponctué par la fragile splendeur d’une fleur. Les représentations presque abstraites des jardins zen où la mousse devient la vie au milieu du néant.
    Le bonsaï, cette plante dont l’objectif est finalement de représenter la nature dans toute sa splendeur et bien sûr l’ikebana, développé à partir du rituel Bouddhiste de l'offrande de fleurs à l'esprit des morts, vient illuminer le « tokonoma » et relever le « sabi » de l’endroit. Alors que les premiers à l'enseigner et à l'apprendre furent les prêtres et les membres de la noblesse, I’ikebana fut considéré comme le divertissement préféré des samouraïs les plus endurcis.

    La Subtilité :

    La finesse des saisons a toujours émerveillé les Japonais, tout comme la subtilité radieuse des fleurs. Subtilité poétique de l’éphémère beauté d’une floraison particulièrement appréciée par les hommes d’armes. Comme ce présent que Sekishusai offrit à Denshishiro Yoshioka venu le défier, pour s’excuser de ne pouvoir le recevoir à cause d’un rhume: Une pivoine qu’il venait de couper pour son arrangement floral. Lorsque Denshishiro reçut le présent, il estima que le maître avait perdu la raison et renonça à le rencontrer.


    Mais un autre homme aperçut par hasard cette fleur. Sans comprendre pourquoi celle-ci l’intriguait autant, Myamoto Musashi fasciné par la tige trancha à nouveau celle ci. Et après un examen des deux coupes il estima ne pas être près à rencontrer l’auteur de la première coupe. Cet épisode romancé dans “La pierre et le sabre » de Eiji Yoshikawa évoque, pour moi, toute la subtilité qu’un maître utilise pour transmettre un message par la fragilité d’une fleur qui exprime pourtant tout son savoir.


    Le camélia fut l'emblème des guerriers japonais ; ses corolles ornèrent, au XIXe siècle, le corsage des femmes. En Orient, la polémique n'a pas cours. Au Japon, le mot «camélia» n'existe pas: on parle de « tsubaki ». Les samouraïs lui vouaient une grande admiration. Ils avaient fait de la fleur du tsubaki de Higo , un arbuste qui grandit au creux des forêts de la côte nord-ouest de Honshû, leur prestigieux emblème. «Ces fameux combattants l'ont choisie car elle possède un cœur généreux.»


    Sur une corolle simple, parfaitement ronde, s'accroche un épais disque d'étamines dorées et proéminentes. Et, quand on s'attarde sur les catalogues actuels répertoriant les espèces, on découvre les petits noms pleins de poésie légués par les violents guerriers: Tempête de neige parfumée, à l'odeur captivante et striée de carmin; Chemin de la grande porte, rose pâle; Faucon blanc, largement épanouie; Lumière de perle, lumineuse fleur saumonée. Au Japon, encore aujourd'hui, le camélia, tout comme la pivoine, s'offre en bouquets.


    Un jardin à l’ombre de jeunes cerisiers en fleur. Plus loin se dresse un arbre élevé d’où jaillissent des pousses d’un brun tendre, là ou les extrémités malléables de ses rameaux touchent au ciel, elles se voilent comme estompées par la brume. Cette agréable brume pénètre dans le jardin faisant osciller doucement les pétales rouges du camélia. Et puis. Et puis, la corolle du camélia se détache brusquement et tombe d’un seul coup et non pas pétale après pétale. Semblable à la tête coupée des samouraïs, geste ultime pour achever celui qui commet le suicide rituel.

    Enfin comment ne pas mentionner le Chrysanthème, la fleur impériale symbole de la puissance du pouvoir tellement souvent inspiratrice du samouraï.


    Sources : « Les Arts martiaux ou l’esprit des budo » de Michel Random aux editions Nathan
    « Les Contes des Arts Martiaux » ed : Albin Michel collection : Spiritualités vivantes
    « Fleur de Samourai » de Mathilde Trébucq