• Le Kirin au Japon



    En Chine, le « kirin » est un animal divin mythique au même titre que le phénix oriental, le dragon jaune et le cerf blanc. Selon la croyance populaire, ces animaux sont venus du ciel quand les empereurs et les hauts dignitaires gouvernaient de manière vertueuse et en paix.

    C’est Tô-nô-Chûjô qui aurait suggéré le développement de la connaissance des préceptes confucéens pour unifier le pays. Il enseignait alors que c’était le ciel qui contrôlait le monde et que les empereurs n’étaient pas des personnes ordinaires mais des émissaires envoyés par la providence.
    Il était alors très pratique pour les despotes de se référer à cette philosophie. A cette époque le kirin en Chine était considéré comme un animal divin de bon augure, envoyé par la providence.


    Kirin assis en bronze, corps couvert d’écailles
    43,5 cm – 18ème siècle

    Confucius et le kirin

    Dans le célèbre « Kakurin » de Confucius, une anecdote dit qu’un homme aurait attrapé un kirin et l’aurait offert à une autre personne. Confucius qui était chagriné par le fait que le kirin soit apparu à une époque ou la paix ne rêgnait pas dans le monde, termina alors « les Chroniques de Lu » par le mot « kakurin », arrêta d’écrire et mourut.

    Plus tard une autre légende dit que le kirin était apparue à la naissance même de Confucius.
    Il est cependant clair que le kirin est devenu indispensable à la « déification » de Confucius et qu’il a été étroitement lié à la propagation du Confucianisme.


    Netsuke : Tennin assis sur un kirin à deux cornes
    Fin 18ème siècle (hauteur : 6,6 cm)

    D’après le professeur Sokugawa Hiroshi de l’Université de Kyoto, l’apparition du mot « kirin » remonterait aux périodes de guerre du 5ème siècle av JC.

    La politique du gouvernement Tokugawa envers le Confucianisme

    Pour restaurer la paix dans le pays, après les longues périodes de guerre civile, le gouvernement Tokugawa a sélectionné des grands maîtres du confucianisme qui rapidement ont enseigné cette philosophie aux seigneurs locaux et au peuple et celle ci est alors devenue un des fondements fort du système féodal japonais.

    Dans les familles de samourai, les enfants, dès leur plus jeune âge étaient poussés à l’étude des principes du Confucianisme. C’est probablement à cette époque qu’ils ont trouvé l’image du kirin intéressante.

    Histoire du Kirin au Japon

    Des objets d’art portant des représentations de kirin peuvent être vu dans des galeries d’art. Les plus anciens de ces objets ont été importés de Chine. Il s’agit d’objets utilisés dans le culte Bouddhiste. On peut également voir des kirin sur des jeux de go ou sur des miroirs.

    L’objet le plus ancien créé au Japon est le « Chôjû Giga » (une caricature d’oiseaux et d’animaux probablement dessinée au 12ème siècle) qui se trouve au temple Kôzan-ji à Kyoto.
    Cette série de sumi-e présente des animaux comme des grenouilles ou des lapins prenant une forme humaine.

    Autre point intéressant : Oda Nobunaga qui était un grand général du 16ème siècle a choisit le kanji « rin » du mot « kirin » sur son sceau officiel. De même, Toyotomi Hideyoshi qui est arrivé au pouvoir à la mort de Nobunaga, a choisit le kirin pour orner ses palanquins préférés.

    A Nikkô au temple Tôshôgu qui a été érigé au milieu du 17ème siècle et qui est dédié à Tokugawa Ieyasu (1er shogun de la famille Tokugawa), on peut voir partout des dessins et des gravures de kirin.

    Comme on peut le constater avec ces différents exemples, les kirin qui apparaîssent sur les constructions, les ornements et les accessoires symbolisaient la gloire. Ce symbole était un moyen pratique de justifier la présence au pouvoir des dirigeants, surtout dans les périodes de doutes et d’incertitudes des gouvernements de Nobunaga et de Hideyoshi.

    En Chine, les hommes qui détenaient le pouvoir faisaient souvent ériger des statues de kirin, ou demandaient des représentations de kirin sur leur pierre tombale, de façon à convaincre la population qu’ils étaient ou avaient étés des personnages vertueux. Ce courant a également prévalu au Japon.

    Représentations de kirin à l’époque d’Edo

    Il est bien connu que les arts et l’artisanat, spécialement au Japon se sont développés pendant Edo (1603-1867). A cette époque, le Japon était encore plus que maintenant une société faite par des hommes pour les hommes.
    Comme tout le monde vivait paisiblement, même dans le domaine des guerriers et des armes, la création était plus portée sur la beauté et le raffinement des accessoires que sur les lames de sabres par exemple, bien qu’elles soient l’élément le plus important de l’arme.
    De la même manière, comme les armures, les casques et autres attirails de guerriers étaient plutôt utilisés dans des cérémonies qu’au combat, la décoration prenait encore plus d’importance.

    Si on peut avoir l’impression que la paix régnait à cette époque, il n’en demeure pas moins qu’il y avait toujours de grandes distinctions de classes entre les samourai, les fermiers ou les marchands. Cela était bien visible dans les styles de coiffure, les accessoires ou les vêtements portés par tous ces hommes.
    Si l’un d’eux s’écartait de ces règles de conduite, il pouvait être condamné à mort et les exemples ne manquent pas de famille exécutées pour avoir enfreint les règles.
    Pour éviter les problèmes, les riches marchands rivalisaient entre eux dans le dandisme mais toujours de manière non ostentatoire.

    En 1789, le gouvernement publia même un décret interdisant aux samourai le port de vêtements trop luxueux, et alors qu’en Chine les dirigeants n’hésitaient pas à ériger des statues représentant un kirin, en signe de pouvoir, au Japon, ce sont les petits objets plus discrets qui ont été influencés par le kirin.

    Kirin et netsuke

    Comme nous venons de le voir, les petits accessoires comme les netsuke, représentaient souvent un kirin. Ces petits objets utiles de 3 à 15 cm étaient fabriqués en bois ou en ivoire et les connaisseurs auront remarqué que les netsuke en forme de kirin ont pour la plupart été créés entre le 17ème et le 19ème siècle, c'est-à-dire Edo.
    Comme cette période est assez longue, on remarque également que de nombreux netsuke peuvent représenter aussi Confucius en association avec le kirin.

    Des différences régionales

    Le Japon, pays de 370 000 km2 comprenait alors plus de 200 fiefs et chaque région contrôlait ses propres techniques de production pour chaque produit (artisanat ou agriculture) de manière à ce que leur savoir faire ne soit pas connu ailleurs.

    Même pour des petits accessoires comme les netsuke, chaque région développait ses propres techniques et son propre style et c’est ce qui explique que les représentations de netsuke ont été très différentes d’un lieu à l’autre.

    Par exemple, à Iwami (département de Shimane), on ne trouve aucun netsuke en forme de kirin, alors que cette région est particulièrement célèbre pour sa production de netsuke.

    • Osaka
      Pendant Edo, Osaka était une des trois grandes villes du Japon. Elle a beaucoup prospéré à cette époque dans le domaine de la distribution. On y comptait environ 380 000 habitants et plus de 100 « kurayashiki » (sorte de grands lieux de ventes).
      Avec la mode du tabac, la demande de netsuke a été croissante car portés à la ceinture, ils contre balançaient l’attirail du fumeur.

      Les caractéristiques de ces netsuke en forme de kirin sont les suivantes :
      o Les plus anciens avaient une forme simple représentant la moitié d’un homme et la moitié d’un kirin sur un « hinoki » (cyprès japonais)
      o 8 à 10 cm de haut, donc plus grands que la moyenne
      o Aucune signature en général
      o Style : kirin assis, les pattes arrières courbées et celles de devant droites, la tête retournée vers l’arrière et regardant vers le ciel
    • Kyoto
      Kyoto était la ville des empereurs à partir du 8ème siècle, et une ville religieuse avec de nombreux temples Bouddhistes. Vers le milieu du 18ème siècle, la population y était sensiblement la même qu’à Osaka.
      Des artisans en tous genres (bâtisseurs de temples, créateurs de vêtements ou d’objets d’art) se sont réunis dans cette ville et leur renommé a attiré des gens du pays tout entier.
      Des matériaux de la plus haute qualité, comme de l’ivoire importé ou du bois d’ébène y ont été utilisé pour la fabrication de netsuke. Comme ceux-ci sont petits, l’ivoire utilisé était souvent celui qui restait de la fabrication d’ustensiles pour le thé, d’instruments de musique ou de meubles.
      A Kyoto, les formes sont sophistiquées et le cou du kirin est particulièrement long comme sur cette photo.
      Les deux artisans les plus connus sont Tomotada (Izumiya Shichiuemon) et Masanao. Ce dernier a représenté le kirin de la même manière qu’en Chine avec le corps d’un cerf, la queue d’un bœuf, des sabots de chevaux et une seule corne sur la tête. On pense que cette représentation très « chinoise » est due à la présence nombreuse de confucianistes à Kyoto.



    Netsuke : kirin hurlant en ivoire attribué à Tomotada
    18ème siècle – Ecole de Kyoto – 12,1 cm

    • Tamba et Chûkyô
      Tamba et Chûkyô (Gifu, Nagoya et Ise) sont des régions assez éloignées de Kyoto et d’Osaka. Tamba est une vieille province qui se situe au nord de Kobe, et Gifu se trouve au nord de Nagoya.
      On peut identifier aujourd’hui des netsuke en forme de kirin créés par Tametaka (Nagoya) et Toyomasa (Tamba) qui ont été actifs au 18ème siècle.
      A Gifu, bien que Tomokazu fût un célèbre artisan de la région, aucun netsuke représentant un kirin n’a été référencé de lui. Pourtant on en a trouvé de Itan et de Ikkan qui faisaient tous les deux partie du même groupe de travail que lui. On pense cependant que Tomokazu en a très probablement fabriqués aussi
      Les caractéristiques de ces netsuke sont les suivantes :
      o matériaux : il ne s’agit pas d’ivoire mais de « tsuge » (buis).
      o Taille : moins de 5 cm ce qui implique que ces netsuke ont été produits après le décret de 1789 qui interdisait le port de vêtements ou d’accessoires luxueux
      o Forme : la tête du kirin est tournée et les 4 pattes sont pliées
    • Edo (Tokyo)
      Au 18ème siècle, Edo était la ville la plus peuplée du japon avec plus de 500 000 habitants.
      Alors que les samourai et les riches marchands étaient la colonne vertébrale de la culture à Kyoto et à Osaka, les portes drapeaux de la culture à Edo étaient plutôt les petits marchands et les personnes ordinaires. L’atmosphère culturel y était donc très différente.
      On trouve parfois des dessins de kirin sur des « manjû netsuke » en ivoire que l’on appelle « ryûsa » (voir ci-dessous).
      En général, ces netsuke ne sont pas signés.

    Les formes de kirin

    • La ou les cornes
      En Chine le kirin a une seule corne droite sur la tête et une petite bosse sur le dos. On pense que c’est pour ne pas infliger de blessure… le kirin étant un animal paisible à l’origine.
      Dans les netsuke, on pourra trouver beaucoup plus souvent des kirin à une corne qu’à deux cornes. On pensait alors qu’une forme irréelle (une corne droite) avait un sens plus mystérieux et plus sacré. Les kirin à deux cornes ont été beaucoup plus fréquents à partir du 12ème siècle et à Nagoya à partir du 19ème siècle.
      Dans tous les cas, la ou les cornes ne sont pas présentées de manière à effrayer.


    Netsuke : kirin à une corne en ivoire de Masanao (Ecole de Kyoto) 18ème siècle

    • Le corps
      Comme le mot « kirin » en kanji est formé à partir du mot « shika » (daim), le corps du kirin ressemble à celui du daim également. On peut tout de même retrouver des kirin très différents. Par exemple avec des parties empruntées au dragon : visage, moustache, écailles. Les netsuke en forme de kirin, principalement dans la région de Kyoto et d’Osaka, peuvent présenter trois types de corps différents : corps de daim, de dragon ou mélange des deux.
      Certains sont couverts de poils, d’autres d’écailles.
      Quelques vieilles créations à Osaka présentent des kirin avec un visage de dragon et un corps poilu.
      A Chûkyô, les plus anciens netsuke montraient un kirin avec des écailles et plus tard poilus, comme par exemple, ceux de Ichimin.
    • Les sabots
      Les sabots sont arrondis de façon à ne pas blesser ni à abîmer les plantes et ceci est une façon de plus de les distinguer d’autres animaux.
    • La queue
      Alors que les kirin avec un corps de daim ont une queue droite et longue, ceux en forme de dragon ont une queue plus courbée. Comme on retrouve une forte similitude avec les kirin fabriqués en chine, on pense qu’il s’agit seulement d’une recherche d’harmonie dans la forme.
      Cependant, à partir du 18ème siècle, on retrouve les deux types de queue aussi bien sur les corps de daim que sur ceux des dragons.
      Comme d’autres animaux mythiques tels le « shishi » (lion), le « hakutaku » (un animal capable de parler) ou le « baku » (mangeurs de cauchemars) avaient également des queues courbes, on pense que ce type de queue, au même titre que la corne unique, ajoute un côté sacré à ces animaux.



    Netsuke : le célèbre « Meinertzhagen »

    Ivoire -18ème siècle

    Sources

    Cet article est une traduction partielle et personnelle, d’un article paru dans le magazine d'art japonais Daruma, intitulé « Kirin – Legendary Divine Animals » écrit par Yoshida Yukari (Hiver 1997).
    Les photos présentées ici, proviennent également de cet article.