• L'histoire du Bôgu - 3



    De Nakamura Tamio
    Traduit du Kendo World Magazine par David D’hose [Naginata]
    Kendo World Magazine, Vol. 1 Issue 1, 2001

    Le Bôgu de l’école Jikishinkage-ryu

    Après ce petit aperçu de l’évolution du bôgu dans la tradition du Jikishinkage-ryu, je voudrais essayer de déterminer à quoi il ressemblait. Je vous ai déjà dit, qu’à ma connaissance il ne reste pas de bôgu authentique de l’école Jikishinkage-ryu. Cependant il est possible de s’en faire une idée générale grâce aux illustrations du livre de Tominaga Kengo : Sho-Ryuha Budogu-Zue (Illustration d’Armures protectrices de différents arts martiaux) publié en 1931.


    En regardant attentivement cette illustration on constate que le « men » était constitué d’une grille de bambou et ne possédait pas de protection de la gorge (tsuki-dare).


    Le « do » était composé de lattes de bambou liées entre elles, les « kote » couvraient les poignets et les avant-bras, et le « shinai » était un fukuro-shinai. Si nous comparons ces illustrations avec l’armure du Shinkage-ryu. Ce type de bôgu ressemble probablement beaucoup à celui développé par Naganuma Kunisato (l'héritier de la tradition du Jikishinkage-ryu), troisième fils de Yamada Heizaemon.


    On constate que les différences principales sont : l’absence de protection au-dessus du « men » et surtout l’absence de do.

    Raffinements

    Durant la période s’étendant entre 1751-1764, à peu près 50 ans après le bôgu de l’école Shinkage-ryu, Nakanishi Chuzo Tsugutake de l’école Itto-ryu engageait des combats uchikomi-geiko avec des « men » en métal et des armures de bambou. Le Nakanishi Koresuke's Itto-ryu Heiho Toho Kigen (traité concernant l’école Itto-ryu, édité en 1861) fait état de : ‘Le Clan Nakanishi commença à utiliser le shinai pour l’entraînement à la Horeki (1751-1764).' Dans le Shirai Toru's Heiho Michishirabe (édition de 1834) on explique comment Tsugutake, après la mort de son père, excella dans l’art du kenjutsu en étendant ses activités et en expérimentant l’entraînement au shinai plutôt que de se contenter de méthodes d’entraînements plus traditionnelles.

    La raison pour laquelle Nakanishi Chuzo Tsugutake s’entraîna en utilisant le shinai dans des uchikomi-geiko est répertoriée dans un texte écrit dans une lettre en réponse de Yamaga Takayoshi du clan Tsugaru de l’école Itto-ryu le 12eme mois de l’année 1775. La lettre posait 11 questions à Nakanishi Tsugutake, concernant le pour et le contre de l’utilisation du shinai. Les réponses à ces questions sont clairement répertoriées dans le Itto-ryu Gokui. Nakanishi était encouragé par l’intérêt de Yamaga, et il répondit aux questions, mais se garda de faire tout commentaire sur le shinai avant le troisième jour du premier mois de l’année qui suivit. Yamaga demanda à son mentor Ono Tadao, chef de l’école Onoha-Itto-ryu la même question concernant le combat avec un bokuto et le combat avec le shinai, à quoi il répondit, ‘ l’entraînement au shinai est insupportablement indulgent et n’est rien d’autre qu’un jeu pour les enfants’. Si cela sert à quelque chose, c’est bien à éviter la profondeur d’un vrai combat’. En opposition à ceci, Nakanishi rétorqua qu’il s’agissait d’un malentendu concernant les objectifs du groupe de Nakanishi de l’utilisation du shinai pour l’entraînement. Ce point de contentieux, concernant l’utilisation du shinai au cours d’entraînements en opposition à la pratique pur du kata, ne sera pas seulement un problème majeur de l’école Itto-ryu, mais sera également chaudement débattu dans beaucoup d’autres arts martiaux traditionnels. Et c’est à partir de cette époque que l’on observe de grandes tendances d’entraînements à se diriger vers le shinai, comme au kendo moderne, au détriment des katas traditionnels à lames réelles ou au bokuto.
    En ce qui concerne les changements apportés au Bôgu à la fin du 18ème siècle, il y a une référence dans Zokukoken Koon's Nisho Gogo no Ben (édition de 1794), qui décrit ce type d’équipement à cette époque. L’armure ainsi nommée, n’était rien d’autre alors que des pièces de cuir bourrées de cotons et des morceaux de bambous liés entre eux. Dans le traité sur le kenjutsu de Yamazaki Toshihide (kenjutsu Giron - édition de 1791), il est mentionné : « Il n’y a pas de meilleure façon de saisir les principes du combat qu’en mettant un men et des kote, et en s’entraînant avec un shinai sans crainte de se blesser ». Parallèlement dans le Kenjutsu Hiden Dku Shugyo du même auteur (édition de 1800) , on peut lire : « Tout d’abord, les deux pratiquant doivent se munir d’un men, de kote et d’une protection de corps en bambou pour éviter de se blesser ».
    Ces extraits nous indiquent que l’utilisation d’armures de protections pour l’entraînement était assez répandue à cette époque. L’armure représentée dans le Hokusai Manga ( 1808 ) ci-dessous est assez représentative du bôgu utilisé à cette époque.


    Cependant, en l’inspectant, on constatera encore l’absence de protection de gorge, tout comme c’était le cas pour le bôgu de l’école Jikishinkage-ryu (bôgu montré plus haut). Ceci semble indiqué que la technique du Tsuki n’était pas encore employée, et que la base de l’entraînement se résumait au men et au kote.
    Concernant la technique du tsuki, il y a une anecdote intéressante concernant Oishi Susumu du clan des Yanagigawa. Il utilisait à l’époque Era (1830-1844) un shinai particulièrement long mesurant 5-shaku 3-sun (environ 167cm) pour battre des escrimeurs renommés d’Edo grâce à ses attaques en tsuki et do. A peine l’eut-il fait que Oishi devint non seulement le maître de sa propre école shi Shinkage-ryu, mais tint aussi une licence d’enseignant de Oshima-ryu sojutsu (lance). Il semble avoir utilisé ses connaissances en sojutsu pour exploiter les points faibles du bôgu de kenjutsu. Plus tard, peut être à cause des exploits de Oishi, un shinai plus long fut adopté par tous. Comme le dépeignent certaines illustrations du bôgu de cette période dans le célèbre ouvrage sur le kendo de Takano Sasaburo, une protection de la gorge fut ajoutée au men afin de protéger cette cible un peu trop tendre.


    Tout ce qui est populaire à Edo le devient rapidement dans les provinces, ainsi, les protections de gorge sur le men, ne furent bientôt plus des exceptions. Par exemple, un set de bôgu fait main dans un petit village en 1836 en bambou mais avec une énorme protection pour la gorge.


    Un autre set d’armures, provenant du même village, fut réalisé avec un men en métal plutôt qu’en bambou et suggère qu’il y eut d’autres transitions dans les styles d’armures de cette époque. Nous constatons donc que les modifications tel que la grille de métal, la protection tsuki-dare, les protections de dessus de tête, et la protection supérieure du torse sur le do semblent être des adaptations pour le kenjutsu du bôgu utilisé en sojutsu.

    Désormais, les traditions de ces deux arts martiaux, vont utiliser les innovations de l’un et de l’autre pour améliorer le bôgu jusqu'à ce qu’ils utilisent un bôgu commun qui est celui utilisé de nos jours en kendo. Celui-ci est constitué d’un men avec tsuki-dare, de kote, d’un do et d’un tare. Depuis cette époque, de nombreux raffinements furent apportés à partir de la forme de base du bôgu à chacun de ses éléments. Mais la forme de base resta la même.

    Dans la ville animée de Edo, les quartier de Kajibashi, Atago, et Shitayakanari Kaido accueillirent de nombreux magasins spécialises dans la vente de bôgu et de shinai. Dans un journal de voyage de Muta Takaatsu ( Sho-Koku Kaireki Nichiroku) il est fait état d’une commande d’un do de cuir à un magasin de Nichikage-cho pour le prix de 1 ryo. On peut aussi apprendre de ce texte qu’un shinai coûtait 200 « mon », ce prix variait du reste de 200 à 270 mon. Dans les environs de la concentration de ces magasins on pouvait trouver le dojo de la Jikishinkage-ryu Naganuma , ce qui en faisait bien évidemment un bastion du kenjutsu.

    En outre, la raison pour laquelle Bakufu construisit l’académie militaire Kobusho dans cette zone fut d’une part pour la défense navale, à cause de la proximité de la mer mais aussi à cause du fait que l’endroit fourmillait de pratiquants de kenjutsu et de magasins de matériel.

    Il y a une charmante illustration dans le Ehon Azuma Asobi (1802)de Katsushika Hokusai, qui dépeint une scène dans un de ces magasins. D’un coup d’œil on peut voir un fukuro-shinai et des protections en bambou pendus au mur de ce qui semble être un magasin traditionnel d’armures. Par extension on peut déduire qu’ils étaient les premiers artisans qui ont construit nos bôgu contemporains.