• L'histoire du Bôgu - 2



    De Nakamura Tamio
    Traduit du Kendo World Magazine par David D’hose [Naginata]
    Kendo World Magazine, Vol. 1 Issue 1, 2001

    Bôgu utilisé en Sojutsu (combat de lances)

    La question qui se posa alors est : du kenjutsu ou du sojutsu, quelle discipline utilisa la première une armure d’entraînement? Dans le Shimokawa Ushio's Kendo no Hattatsu (L’évolution du Kendo) il est fait état des différences entre les techniques du kenjutsu (surtout des coupes) et le sojutsu (surtout piqué), et on y tente aussi de percevoir lequel des deux est le plus dangereux. Il semble logique que des éléments d’armures tel que le do et le tare sont sans doutes nés pour protéger des frappes du sojutsu et furent ensuite repris par le kenjutsu.

    Au début de l’époque Edo, beaucoup d’écoles d’arts martiaux se spécialisèrent dans l’utilisation d’armes particulières. Cependant elles ne pouvaient ignorer l’utilisation des autres armes. Ainsi, une école spécialisée dans la pratique du sojutsu se devait d’apprendre à gérer un combat contre une personne armée d’un sabre. Ce fait rend toutes conclusions difficiles quant à la création du bôgu pour le sojutsu et seulement ensuite la reprise de celui-ci par les pratiquants de kenjutsu.
    Je laisse le débat concernant la parité du bôgu au sojutsu ou au kenjutsu ouvert, et vais me pencher plus en détails sur l’évolution du bôgu utilisé en sojutsu comparé à celui utilisé en kenjutsu.
    En ce qui concerne la première illustration, j’ai précisé que le « men » utilisé semblait être en bambou et ne possédait ni protection sur le dessus de la tête ni à la gorge. Le combattant n’utilise pas non plus de « kote » à cette époque ce qui se vérifie dans d’autres illustrations de Hishikawa.
    Cependant, sur les illustrations de Kashibuchi Arinori's Geijutsu Buko-ron ( 1768 ), représentant le bôgu utilisé par les pratiquants de sojutsu de l’école Masaki-ryu sojutsu, l’armure est d’un style amélioré. Le « men » possède ici des protections à la gorge et au-dessus de la tête ; sans parler de la grille protégeant le visage qui est en métal. Le « tare » est attaché au « do » de bambou et on distingue des protections aux bras et à la taille.


    Ainsi en l’espace d’un siècle, nous constatons un bon dans l’évolution du « men » ; Il est plus robuste de par sa grille en métal, et procure une meilleure protection à la gorge et à la tête grâce à de larges pattes. Ces évolutions sont vérifiables dans un texte décrivant l’équipement utilisé dans l’école Fuden-ryu, écrit à la fin de l’époque Edo. Il confirme que le « tsuki-dare » était fait de bambou et de cuir, et avait la même largeur que le « men ».


    Ce texte possède aussi des illustrations de « kote » (protections poignets), qui étaient probablement utilisés pour des combats contre kenjutsu, et des « sune » (protections jambes) utilisés, plus que probablement lors de combats contre naginata. Ceci tend à prouver aussi que beaucoup d’entraînements de sojutsu n’étaient pas basés sur des combats de yari contre yari, mais aussi yari contre un adversaire utilisant une multitude d’armes différentes (isshu-jiai), et que l’évolution du bôgu fut influencée par de telles possibilités. Ceci fut probablement dû à l’engouement que l’on portait, à l’époque, aux tournois entre écoles (taryu-jiai).


    Quoiqu’il en soit, d’autres textes révèlent que l’utilisation du tsuki-dare n’était pas universelle au sein des écoles et ce même en 1812, comme l’évoque l’illustration ci-dessus. On y voit un entraînement de sojutsu avec des « men » sans « tsuki-dare », et un « do » de cuir au Dojo de Nisshinkan.
    Cette image particulière dépeint l’une des trois écoles actives de sojutsu du clan Kaitsu (Ouchi-ryu, Hozoin-ryu, Isshi-ryu), bien qu’il soit difficile de dire laquelle. Ce que nous savons c’est que l’entraînement s’y faisait en armure et avec des « yari » d’entraînements (sans pointe).
    En regardant toutes les images de plus près, vous remarquerez que pour la plupart, les « kote » ne sont pas présents. Ceci est probablement dû au fait que l’entraînement aux « yari » se faisait à mains nues, et que l’usage des « kote » n’était pas requis initialement pour cet art ; en tous cas il ne le fut pas avant la période Bakumatsu (1850).
    Comme nous allons le voir plus loin, les « kote » furent probablement intégrés dans la pratique du sojutsu au contact du kenjutsu, où ils étaient utilisés depuis le début de l’époque Edo.
    De toutes évidences, les deux disciplines s’inspirèrent l’une de l’autre pour améliorer le bôgu afin que progressivement il atteigne la forme qu’on lui connaît actuellement.

    Bôgu utilisé en Kenjutsu (combat de sabre)

    En ce qui concerne les types d’armures de protection utilisées en kenjutsu, Shimokawa fait état dans son « Kendo no Hattatsu » qu’à l’école Jikishinkage-ryu, Yamada Heizaemon Mitsunori (1639-1716) se lamentait que beaucoup de pratiquants se concentrant trop sur l’apprentissage des katas au détriment de l’esprit de combat. Dès lors, il imagina un système d’entraînement qui permettrait aux pratiquants d’attaquer de toute leur force sans danger de souffrances ou de blessures importantes.
    Son troisième fils, Naganuma Shirozaemon Kunisato (1688-1767), acheva cette tâche entre 1711et 1716.

    Je vais prendre la théorie de Shimokawa comme base pour me plonger dans l’évolution du bôgu utilisé en kenjutsu.
    L’école Jikishinkage-ryu a commencé avec Sugimoto Bizen-no-Kami Masamoto et se nommait alors Shinkage-ryu. Le 5ème héritier de la tradition, Kamiya Denshinsai Sadamitsu changea le nom en Jikishin-ryu. Ce nom fut prolongé en Jikishin Seitoha par le 6ème maître, Takahashi Danjozaemon Shigeharu et enfin Yamada Heizaemon Mitsunori, le 7ème maître de l’école changea son nom en Jikishinkage-ryu.

    Selon le « Heiho Denki Chukai », un manuscrit de l’ecole Jikishinkage-ryu, Yamada Heizaemon fut gravement blessé à l’age de 18 ans au cours d’un combat avec bokuto. Il arreta la pratique du kenjutsu jusqu'à l’age de 32 ans lorsqu’il fut en contact avec l’enseignement de l’ecole de Takahashi Danjozaemon ou des masques faciaux et des gants de protections étaient utilisés afin de permettre un affrontement sans risque de blessure. Il ne perdit pas plus de temps et devint étudiant de cette école, et à l’age de 46 ans il obtint une licence de professeur (menkyô). Cela date de 1684, mais il est évident que l’école de Takahashi Danjozaemon utilisait le bôgu depuis un certain nombre d’années déjà. Cependant ce bôgu ne se composait que d’un masque et de gants, et aucun élément ressemblant à un « do » n’était utilise. Une autre école dans le nord, la Sagawa Shinkage-ryu, utilisait seulement des masques et gants de protection lors d’entraînements. Cependant, ceci indique que toutes les écoles liées à la ligne de la Shinkage-ryu utilisaient le « fukuro-shinai » (prototype du shinai moderne) ainsi que le « men » et le « kote ».


    Sur ce dessin de Suzuki Shozo's Sendai Fuzoku-shi (1927), nous voyons un pratiquant de l’école Shinkage-ryu utilisant un « fukuro-shinai » et paré d’un « men » et de « kote ».
    Ainsi, il constate : “Comme le tronc n’était protégé que par la mince étoffe du kimono que l’un portait, l’autre apprend la signification de la douleur après avoir été touché à ce point vulnérable, lors d’un keiko ! »
    Le professeur de Takahashi Danjozaemon, Kamiya Denshinsai, décréta que « Lorsque l’on combattait dans le cadre d’un concours contre une autre école, il fallait toujours utiliser un bokuto L’utilisation du shinai était strictement prohibée. » Il était un fervent défenseur de la pratique des katas, et ce ne fut pas avant l’époque de Takahashi Danjozaemon que le bôgu devint la norme et non l’exception.
    Dans le texte « Heiho Zakki », de Yamada Heizaemon, il écrit : « pour réellement atteindre une compréhension du combat mortel, il est nécessaire que les deux personnes qui s’affrontent lors d’un combat d’entraînement audacieux et sans retenue portent le men et les kote ainsi que d’autres pièces d’armures protectrices car par la confusion rencontrée ils se forgent un esprit combatif.» Ce passage particulier se réfère aux uchikomi-geiko, (entraînements avec des attaques au shinai), que Heizaemon recommandait de manière évidente au cours de ses dernières années. Heizaemon mourut en 1716, période qui correspond avec l’affirmation de Shimokawa que le bôgu était déjà bien amélioré à cette époque.

    De plus, l’épitaphe de la tombe de Naganuma Shirozaemon Kunisato (1688-1767), l'héritier de la tradition du Jikishinkage-ryu, troisième fils de Yamada Heizaemon, dit que ses exploits incluent l’amélioration du bokuto et du shinai, et le raffinement de l’armure par l’ajout d’une grille de métal au men et d’épaisses protections de coton aux kote. Kunisato hérita de la tradition de son père Heizaemon en 1708, et tous deux travaillèrent dur à l’amélioration du bôgu jusqu'à la mort de Heizaemon
    Selon ces écrits, il semble prudent de conclure que les améliorations apportées au men et aux kote utilisés à l’école Shinkage-ryu, et l’apport du do pour protéger le tronc furent des innovations de Yamada Heizemon et de son fils Naganuma Kunisato autour de 1711-1716.