• Les superstitions au Japon



    Religion et superstition ?

    Le coup d’œil journalier que les japonais lancent en direction du calendrier n’a pas pour unique but de s’assurer de la date d’un rendez-vous. Il sert aussi à interroger le ciel : sommes-nous aujourd’hui butsumetsu 「仏滅」ou taian 「大安」 ?

    Si le vendredi 13 ne nuit à aucune affaire, il n’en va pas de même durant butsumetsu, jour de la célébration de la mort de Bouddha. Le mieux serait alors de n’entreprendre que peu de voyages, de remettre à plus tard les lunes de miel, et de ne se rendre que prudemment dans les love hôtels. Mais sans doute peut-on se rattraper durant le taian. Ce jour-là, le calendrier lunaire sino-japonais annonce une conjoncture favorable, les hôtels sont pris d’assaut et les mariages sont légion.
    Bien que depuis leur tendre enfance, les japonais aient appris à ne souffler mot à propos des esprits, il y a moult possibilités de s’adresser aux forces du destin, et s’il le faut, de les influencer. Les talismans sont nombreux qui permettent, le jour de la mort du Bouddha, de se protéger. Les diseuses de bonne aventure que l’on retrouve à tous les coins de rue, sont quant à elles, particulièrement prisées lorsque les affaires vont mal. Et, si la situation dans laquelle on se trouve est critique, il faut se rendre au temple Shintô le plus proche. Là, toutes sortent d’amulettes et autres « gris-gris » vous attendent. Et dans les cas désespérés, on fera carrément appel au savoir-faire des prêtres shinto.

    Si en fait peu de japonais s’intéressent aux questions religieuses, l’animisme, le shamanisme, le shintoïsme ancestral remplissent le vide spirituel, s’appuyant en cela sur l’amour que le peuple porte à la tradition et aux rites.
    Durant les fêtes de nouvel an, les dieux attendent leurs tributs. A partir de décembre, la télévision distille les annonces de bon augure de la part des temples les plus célèbres où on se rue en masse le 1er janvier. Ce jour là, les dieux sont au rendez-vous. Le 4 janvier, la nation tout entière suit le décompte : quatre millions de pèlerins au temple Meiji à Tôkyô, trois millions au Kawasaki-daishi, et à peine quelques milliers de moins au Hachimangû de Kamakura, petite ville côtière à une heure du centre de Tôkyô. Les commandos de policiers équipés de puissants mégaphones canalisent la foule du mieux qu’ils peuvent et laissent à peine le temps à chacun de s’acquitter de son obole, et le 15 janvier, c’est au tour d’une armée d’employés de banque, munis de gants et de masques de protection, d’effectuer pour les temples le décompte des dons. Heureux celui qui a pu s’acquitter de son obole à un temple célèbre, car l ‘événement couvert par la télévision attirera l’attention des dieux. Quant au gouvernement, il cherche sa chance à Ise où la déesse du soleil Amaterasu, mère de la lignée des empereurs, éclaires les voies difficiles de la politique.
    Après le nouvel an, les visiteurs sont plus rares, mais on assiste à une nouvelle pointe quand approchent les examens d’entrée à l’université : parents mais surtout élèves se rendent alors massivement dans les temples afin d’inscrire leurs vœux sur les petites tablettes en bois (Ema) : « S’il vous plaît, faites que je réussisse l’entrée à l’université de Keio », peut-on lire sur l’un des milliers de ces ex-voto. Lors du festival Obon en été, les âmes des morts reviennent, et les vivants se rendent dans leurs familles pour les célébrer : ces revenants peuvent semer la panique et la télévision, qui s’en fera l’écho à travers les dorama, assurera à tout le monde des frissons garantis durant les nuits chaudes d’été.

    Kami :
    Dans les cultes Shintô, la religion originelle des japonais, le mot kami sert à désigner tous les esprits divins, considérés comme « supérieurs » à la condition humaine. D’après la tradition, ils seraient au nombre de 88 millions (chiffre indiquant l’infinité). La mythologie du Shintô distingue plusieurs sortes de kami, ceux qui sont réputés « célestes » (Amatsu-kami) comme Amaterasu Ômikami, et ceux qui sont qualifiés de « terrestres » (Kunitsu-kami) comme, par exemple Ôkuninushi no Mikoto. Sont également parfois considérés comme kami les êtres d’exception, ainsi divinisés après leur mort, comme Sugawara no Michizane ou Ôjin Tenno. Par extension, on donne le titre de kami à une personne qui est considérée comme exceptionnelle, soit par son talent, soit par ses œuvres. Par ailleurs, les kami, qui sont normalement vénérés (non adorés) dans des sanctuaires, peuvent habiter des sites naturels, rochers, montagnes, fleuves, le vent, la pluie, le feu, les animaux, les ancêtres, etc. et protègent montagnes (yama no kami), champs (ta no kami) ou chemins (sae no kami). Ces « kami terrestre » demeurent donc dans le monde, alors que les « kami célestes » ne s’occupent guère des affaires humaines et demeurent dans les « hautes plaines du ciel » (takamagahara). En général, les kami de tous ordres sont bienveillants, à la condition toutefois d’être régulièrement honorés. Cependant, certains peuvent être des esprits vengeurs (goryô) qu’il faut apaiser (tatari) par des offrandes et des rites propitiatoires. Chaque kami possède en effet une « force agissante » (tama) qui se décompose en aramitama ou aspect brutal, et en nigimitama ou aspect bienveillant. A partir du XVIIIe siècle et l’apparition des sectes bouddhiques ésotériques du Tendai et du Shingon, on eut tendance à associer les divinités bouddhiques (hotoke) aux kami, soit que l’on considérât que ces derniers étaient des « incarnations provisoires » des divinités bouddhiques (gongen), soit qu’ils fussent regardés comme des sortes de gardiens de la loi bouddhique.


    Les chiffres dans la superstition :

    Les chiffres 4 et 9.
    Le chiffre quatre (shi) est homophone du mot désignant la mort. C’est pourquoi les gens ne se donnent jamais de cadeaux qui contiennent quatre morceaux, et dans certains hôtels et hôpitaux, la chambre et l’étage numéro quatre n’existent pas.
    Il en est de même avec le chiffre neuf (ku) qui, lui, est homophone de la souffrance.

    Les âges critiques.
    Selon une croyance très répandue dans le peuple japonais, les années cruciales dans la vie d’un individu (yakudoshi), réputées dangereuses, particulièrement les 25e et 42e pour les hommes, 19e, 33e et 49e pour les femmes, et 61e et 70e pour les deux sexes. En réalité, cette croyance (comme d’ailleurs beaucoup d’autres du même genre) est seulement basée sur une similitude de sons entre des mots censés appelés le malheur et les chiffres des années incriminées.

    Astrologie et superstition

    Hinoeuma
    Un homme n’épousera pas une femme née l’année du « cheval de feu » (hinoeuma). Selon la superstition, les femmes nées sous ce signe tuent leur mari. C’est ainsi qu’en 1966, au lieu des 1,8 million de naissances de l’année précédente et des 1,9 de l’année suivante, il n’y en eut que 1,3 millions, preuve manifeste de la peur des parents de mettre au monde une fille qui ne trouverait pas de mari !
    Le calendrier traditionnel fait appel à deux séries de signes qui se combinent. La première est formée de cinq éléments (bois, feu, terre, métal, eau), ceux-ci étant eux-mêmes dédoublés en no e (" du frère aîné ") et no to (" du frère cadet "). La seconde série correspondant plus ou moins aux douze signes du zodiaque : ce sont le rat, le bœuf, le tigre, le lièvre, le dragon, le serpent, le cheval, le bélier, le singe, l’oiseau, le chien et le sanglier. Le " frère aîné du feu " (Hinoe) et le cheval (Uma) combinés donnent Hinoe-Uma, considéré comme calamiteux.
    L’année du « cheval de feu » revient tous les soixante ans.

    Hitsuji
    Dans la région du Kansai, une superstition analogue concerne les femmes : celles qui sont natives du bélier (hitsuji). Elles auront peu de chance de trouver un mari.
    Dans le roman « Quatre sœurs » de Tanizaki, on trouve le dicton suivant : « Ne permets pas à une femme de l’année du Bélier de se tenir à ta porte ».

    Croyances diverses

    ● Dormir en direction du nord :
    Les japonais ne dorment jamais la tête au nord, parce qu’il n’y a que les corps des défunts qu’on expose et enterre de cette façon.
    ● Se couper les ongles le soir :
    Si on se coupe les ongles le soir, on ne sera pas avec ses parents lorsqu’ils mourront.
    ● Se coucher après avoir mangé :
    Si on se couche immédiatement après avoir mangé, on se verra transformé en vache…
    ● Siffler la nuit :
    Mieux vaut ne pas siffler durant la nuit, car on se fera attaquer par un serpent…
    ● Omikuji :
    Version japonaise des oracles vendus ailleurs en Asie. Il s'agit d'une boîte oblongue que l'on secoue jusqu'à ce qu'il en tombe un bâtonnet en bambou marqué d'un kanji ; on choisit ensuite le rouleau de papier correspondant au kanji, et on le lit. Si la prédiction est faste, on peut se réjouir ; si elle est néfaste, on doit accrocher le papier à une branche d'arbre pour que les kami conjurent le mauvais sort.
    ● Les baguettes :
    Il ne faut jamais pointer quelqu’un avec les baguettes ni les planter dans la nourriture, car ceci est un signe de deuil.
    ● Le chat noir :
    Comme en France, un chat noir qui traverse la rue devant vous, porte malheur.
    ● Un objet cassé :
    Un objet qui se casse signifie qu’il est arrivé malheur à son propriétaire, lorsqu’il s’agit d’un objet que l’on aime particulièrement.
    ● Le tonnerre :
    Lors d’un orage, pour éviter que la foudre nous tombe dessus, il nous faut dire les mots suivants : kuwabara kuwabara
    ● Porte-monnaie :
    D’après une superstition, si on place de la mue et de la peau de serpent à l’intérieur de son porte-monnaie, cela portera bonheur.
    ● Les femmes et le dôjô du sumô :
    Une superstition dénie aux femmes la possibilité de fouler, dans l’arène du sumô, le dôjô où s’affrontent les lutteurs car, pour le shintoïsme, ce serait un sacrilège.
    ● Inauguration des tunnels :
    Les femmes ne peuvent pas participer à l’inauguration de tunnels, susceptibles qu’elles seraient d’éveiller la jalousie de la déesse de la montagne.
    ● Kaso ou l’art de dessiner les plans de la maison :
    Les Anciens pensaient que le plan selon lequel était construite la maison influençait sur la fortune de son propriétaire. Beaucoup encore le croient aujourd’hui, et le fait de dire la bonne aventure en se basant sur les plans de l’habitat, s’appelle kaso.
    Ainsi, on appelle kimon l’entrée d’une maison située au nord-ouest. Autrefois, on pensait que le kimon faisait apparaître le monstre Oni et maintenant encore, de nombreux japonais répugnent à placer l’entrée dans cette direction.
    ● Jichinsai, rituel shintô :
    Les japonais célèbrent le Jichinsai pour apaiser l'Esprit de la Terre quand ils construisent un nouveau bâtiment (immeuble, maison particulière mais aussi infrastructures communes comme hôpitaux, aéroports...) ; durant cette cérémonie, kannushi, un prêtre Shintô prie pour sa réussite.
    Le Jichinsai est un rituel traditionnel dans la religion shintoïste, car on croit fermement que construire sans la permission préalable de l'Esprit causerait sa fureur et que de ce fait il détruirait ce qui a été érigé "clandestinement".

    Anecdote

    On raconte encore aujourd’hui, que, lorsque la deuxième plus importante maison de commerce du Japon, Mitsui, voulut construire, il y a de cela quelques années, des bâtiments au centre de Tôkyô, tout le monde — et même leurs adversaires — les prévint que le nouveau palais de verre allait se trouver à cheval sur un ancien lieu de supplice, ce qui ne manquerait pas de réveiller le courroux des esprits des condamnés. Mitsui passa outre et dès lors des dissensions ont surgi au sein de cette immense firme familiale. Mitsui se rendit alors à l’évidence et, depuis, les employés de la firme doivent se placer de telle sorte qu’ils tournent le dos à l’ancienne place de Grève, et ce, même le jour du Taian.

    Sources

    • Petit Dictionnaire du japon
      Christain Kessler
      Editions Desclée de Brouwer
    • Le Japon, dictionnaire et civilisation
      Louis Frédéric
      Editions Bouquins – Robert Laffont