• L'histoire du Bôgu - 1



    De : Nakamura Tamio
    Traduit du « Kendo World Magazine » par David D’hose [Naginata]
    Kendo World Magazine, Vol. 1 Issue 1, 2001

    Avant de commencer voici quelques précisions concernant les termes utilisés dans cet article :
    Tenue du Kendôka:
    Keiko Gi ou Kendô Gi (veste)
    Hakama 「 袴  (pantalon large)
    Tenugi (serviette)

    Bôgu (armure) :
    Men  「 面 」  (casque)
    Kote  「 小手 」  (gants)
    Dô  「  胴  (plastron)
    Tare   垂  (protection du bas du corps)


    Actuellement, le terme officiel japonais utilisé pour l’armure de Kendo n’est pas bôgu mais kendô-gu, bien que le terme bôgu soit encore le plus communément utilisé; c’est la raison pour laquelle, je l’utiliserai dans cet article.
    Avant de plonger dans l’histoire du bôgu/kendô-gu, je vais expliquer un peu plus ces deux termes et comment on en est venu à les utiliser.
    Origines des termes bôgu et kendô-gu
    Il n’y a actuellement aucune mention du terme bôgu répertoriée à l’époque Edo (1600-1867). D’autres expressions tel que dogu, bugu, take-gusoku,… étaient utilisées pour faire référence à l’armure de protection servant aux entraînements. La première utilisation du terme bôgu fut celle faite par les militaires de l’époque Meiji (1868-1912), lorsque l’armée japonaise fut repensée sur le modèle français.
    En 1884 De Villaret, un conseiller militaire français, fut invité à enseigner l’art de l’escrime (française) et des techniques de combat à la baïonnette aux forces armées japonaises. En 1889, après avoir accomplit sa mission et quitté l’archipel, des réformes majeures furent entreprises au sein des forces armées ; et les méthodes officielles des hommes d’épées de l’armée japonaise furent décrites dans le livre du Kenjutsu (Kenjutsu Kyohan). Celui ci était divisé en sections couvrant le kenjutsu, le gunto-jutsu (le sabre) et le bôgu (la baïonnette). Le texte stipulait que l’équipement du Jû-kenjutsu comprenait deux types d’éléments : l’arme et le bôgu Plus précisément : « le bôgu se composait du men , du do (avec le tare attaché à celui-ci), des protections d’épaules et des kote », ce qui en fait la première référence connue au terme bôgu. Il semble que lorsque les soldats japonais commencèrent l’entraînement au kenjutsu et au du à la mode française, le terme bôgu fut un raccourci utilisé pour bo-shin-yoo-gu (équipement de protection du corps).
    Le texte du livre du Kenjutsu fut revu trois fois, et s’orienta progressivement vers l’équipement et les techniques japonaises traditionnelles. Après la troisième révision en 1915, l’armure portée dans les entraînements du style distinctif d'armées kenjutsu utilisait un do avec un tare attaché, mais il était encore toléré d'utiliser l'armure non militaire conventionnelle du type de celle utilisée dans les cercles de kendo. Finalement le terme bôgu qui faisait référence à la base de l’armure utilisée par les forces armées en kenjutsu, fut repris pour l’armure de kendo. C’est vraisemblablement à partir de 1920, que le terme bôgu fut utilisé en kendo pour faire référence à l’armure. Cette tendance a continué dans la période immédiate d’après guerre, lorsque le kendo fut bannit pour plusieurs années par le GHQ, et remplacé par une variante moins agressive, ‘sportifiée’, appelée shinai-kyogi, qui utilisait une version profondément revue de l’armure mais toujours appelée bôgu
    La « All Japan Kendo Federation » fut fondée en 1952. Elle établit les règles officielles de tournois et dans la section consacrée à l’équipement, elle évoquait le bôgu qui se composait du men, des kote, du do et du tare. Ceci établit de manière officielle les termes du jargon du kendo.
    Toutefois, rares sont les dictionnaires et encyclopédies de l’époque, qui font mention de ce terme, ce qui indique qu’il n’était pas communément utilisé par la population et cela ne sera pas le cas avant le milieux des années soixante, lorsque des dictionnaires de référence comme le Kojien (deuxième édition) définissent le bôgu comme « l’équipement de protection composé du men do tare kote utilisé en kendo ». Ce terme fut aussi utilisé plus tard pour l’équipement d’escrime occidentale.
    En 1979 les règles de combat « shiai » et d’arbitrage « shimpan » de kendo furent revues en profondeur, et l’article 4 de celles ci fait état du « kendô-gu qui se compose du men, du do, des kote et du tare. » Depuis cette révision, le terme bôgu fut officiellement remplacé par le kendô-gu Et en 1995 le terme keiko-gi fut remplace par kendô-gi.
    Ainsi le terme faisant référence à l’armure en kenjutsu, évolua de du à bôgu et enfin kendô-gu. Parlons maintenant de l’évolution de cette armure.
    L’émergence du Bôgu

    Jusqu’à aujourd’hui, on estimait de manière générale l’arrivée du premier bôgu entre 1751 et 1772. Mais il est incorrect de parler d’apparition soudaine du bôgu à un moment précis de l’histoire. Déjà entre 1661 et 1681, une multitude d’écoles d’arts martiaux furent créées, et ce furent elles qui explorèrent en premier, les différentes façons de s’entraîner en se protégeant au moyen de pièces d’armures de protection.
    A partir d’ici, je vais vous présenter quelques documents de cette époque, qui décrivent l’évolution de ces armures d’entraînement. Malheureusement ces genres de preuve sont rares, ce qui rend difficile la présentation d’images précises. Cependant, le célèbre Yamaga Soko, militaire, Confucéen et homme de lettres, nous a laissé quelques références intéressantes concernant l’utilisation d’armures de protection au début de la période Edo. : « En ce qui concerne le bénéfice du système d’entraînement du kenjutsu avec un shinai, les pratiquants ont l’habitude de porter l’armure, avec un masque de protection de fer, et sont en mesure d’engager des combats vigoureux sans craindre de se blesser ».
    Au deuxième mois de 1663, Kamiya Denshin Yoriharu , le chef du Jikishin-ryu, fait référence à l’utilisation d’un équipement de protection dans un essai destiné à Osawa Tomoemon : « Lors d’entraînements menés dans d’autres écoles, les armures légères gagnent à s’enrichir d’autres éléments, dont un masque de protection. Dans le Jikishin-ryu, toutefois, nous ne demandons pas que de tels équipements soient utilisés. » On peut en déduire que plusieurs écoles autres que Jikishin utilisaient déjà des équipements de protection à l’entraînement au début de l’époque Edo.
    En 1682, un ensemble d’illustrations de Hishikawa Moronobu appelé Chiyo no Tomozuru, dépeignent deux jeunes guerriers maniant des « yari » (lances) d’entraînement (sans lame) engagés dans un concours avec un autre jeune guerrier équipé d’un men, do-tare et d’une naginata.


    Cette illustration fut probablement réalisée autour de la fin du 17siècle. Curieusement, le type de bôgu dépeint est un men sans les pattes de protections latérales et au dessus de la tête. Il n’a pas non plus de nodo-dare (protection de la gorge). Le men n’est rien d’autre qu’une grille protégeant le visage et semble être réalisé en bambou. Le tare est attaché au do (do-tare), et semble également réalisé en bambou comme ceux qui seront créés bien plus tard. D’autre dessins de ce genre, fait par Hishikawa autour de 1684, peuvent être trouvés à Ukiyotsuzuki, ce qui nous prouve une fois de plus que l’usage d’armures d’entraînement était déjà très répandu au début de l’époque Edo.