• Les benshi



    Sans entrer dans les détails de l'histoire du cinéma japonais, on peut d'ores et déjà retenir que :
    * le cinéma fait son apparition au Japon en novembre 1896 avec le kinétoscope (inventé par Edison qui consiste à regarder une succession d'images à travers un oculaire),
    * En février 1897, c'est le cinématographe qui fait son apparition,
    * en juin 1897, ce sont les premières caméras qui sont importées de la société française Gaumont par le magasin d'appareils photo Konishi.
    Nous le savons tous, à l'origine, le cinéma était non seulement muet, mais aussi silencieux. Ce n'est que lorsque des fictions, même si elles ne dépassaient pas une minute, furent misent en scène que l'on ajouta de la musique grâce à un orchestre installé dans la salle. C'est lorsque ces fictions se développèrent et que des scenarii plus consistants furent mis en images que l'on contourna l'obstacle de l'aphonie des acteurs à l'aide d'intertitres. Ces derniers ne servaient d'ailleurs pas uniquement à porter à l'écran les paroles des acteurs, mais aussi à décrire des événements hors champs, ou des émotions.

    Les benshi :

    A cette époque, le cinématographe est considéré comme un spectacle. Et comme tout spectacle digne de ce nom, il se doit d'y avoir un animateur. C'est ainsi qu'apparaissent les benshi, dont le rôle consistait, outre d'animer la séance, de présenter le film et de commenter ce qui se passait à l'écran, en posant (avec plus ou moins de véracité) le contexte historique et culturel. Le benshi se tenait à côté de l'écran, sur une scène spécialement aménagée. Comme on peut le voir sur cette illustration.

    Lors de la première projection du cinématographe en 1897 à Kyoto, c’est un marchand forain qui fut recruté dans la rue. On l’habilla d’une redingote, lui expliqua brièvement ce qu’il devait faire et le tour était joué. Ce genre de “recrutement” n’était pas rare et donna des commentaires plutôt pittoresques. Par exemple, lors d’un film sur Napoléon, le forain s’exclamait : “C’est Napoléon ! Napoléon, c’est Napoléon !” ce qui déclenchait inévitablement, mais involontairement de la part du benshi, des rires moqueurs.

    D’autres benshi étaient moins incultes. Lors de la projection d’un court-métrage américains “le baiser de May Irwin et de John C. Rice”, un bonimenteur réputé pour son éloquence ,Hoteiken Ueda, expliqua que le baiser était une forme de salutation en occident, par crainte de la censure.
    En 1908, le film français “La fin du règne de Louis XVI - révolution” est interdit par la préfecture de police (ndlr : jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, le thème de la révolte populaire contre un monarque inquiétait les autorités japonaises). Cependant, l’importateur réussit à présenter le film sous le titre “Histoire extraordinaire de l’Amérique du Nord : le roi des grottes” en faisant expliquer par le benshi qu’il s’agissait de l’histoire d’un couple de bandits américains et des citoyens qui se soulèvent pour l’abattre.
    Le côté comique de l’activité des benshi était indispensable pour attirer le public vers cette nouvelle forme d’attraction.

    Parmi les plus célèbres, on peut citer Kyo Komada, qui était employé par une agence de communication en charge d’organiser les projections. Son talent et ses commentaires ponctués d’exagérations le rendirent très populaire au Japon.
    Saburo Somei, quant à lui, réussi à élever cette fonction à un niveau artistique. D’abord acteur de shinpa, il est d’abord recruté pour commenter des panoramas dans le quartier d’Asakusa. En 1906, ses commentaires rencontrent un grand succès et il est débauché par la première salle de cinéma du Japon (le Denkikan) et devient son benshi attitré.
    Somei, qui évite toute exagération et ne cherche pas à flatter le public, met l’accent sur les nuances tout en parlant d’un ton égal et cultivé. Au contraire de Komada, il invente un style que l’on qualifie d’objectif.

    En 1908, la société M. Pathé (qui contrairement à ce que laisse penser son nom, est une société 100% japonaise) filme une troupe de takarazuka (théâtre dont tous les rôles sont tenus par des femmes). Lors de la projection, l’idée vient de faire dire les dialogues par les actrices elles même. L’expérience rencontrant un certain succès, naît alors le métier d’imitateur. 5 ou 6 doubleurs se partagent les rôles et imitent chacun un acteur. Pour ces films là, il n’y a pas d’intertitres, seuls quelques mots poétiques ponctuent le changement d’acte ou de scène. En revanche, pour les films étrangers, livrés avec des intertitres, 1 seule personne (le benshi) dit l’ensemble des dialogues et y ajoute ses commentaires.

    La fin des benshi
    :

    En occident, le cinéma développe des expressions cinématographiques par l’intermédiaire du cadrage, du montage ou du jeu des acteurs. Du fait de la présence des doubleurs qui se plaisent à jouer comme les acteurs, le cinéma japonais se contente le plus souvent de faire du théâtre filmé plutôt que de développer des techniques spécifiquement cinématographiques.
    C’est au début des années 20 que les intellectuels, admirateurs des films occidentaux prônent la suppression des benshi. Quelques un de ces intellectuels se mettent alors à réaliser des films en utilisant ces techniques et les intertitres. On assiste alors à un déclin rapide de la profession.
    Mais certains benshi continuent malgré tout à exercer leur art. Certains benshi étaient tellement populaires qu’il n’était pas rare que le public vienne pour écouter le benshi, plus que pour voir le film.

    Tous les pays ont plus ou moins connus les commentateurs. Vers les années 10, ce métier disparaît partout sauf au Japon, dans ses colonies la Corée et Taïwan, et en Thaïlande. Au Japon, le métier disparaît entre 1931 et 1935, époque de la transition du cinéma muet au cinéma parlant. En Thaïlande, le métier disparaît bien plus tard, malgré le cinéma parlant. Lorsque des films étrangers sont projetés, on baissait le son et le benshi disait les dialogues en direct.