• La religion, 3ème élément du jardin japonais



    La religion dans l’environnement japonais :

    Ce point est important car la religion, encore très influente, n’a cessé d’être source de créations tant artistiques, qu’architecturales et bien sûr dans la création des jardins.
    Il est assez ardu de dresser séparément le portrait des religions pratiquées dans l’archipel tant elles font l’objet d’une interpénétration quasi perpétuelle. On peut cependant distinguer deux tendances ou orientations qui auront une influence marquante sur les jardins, mais il faut bien garder à l’esprit qu’elles se chevauchent, c’est à dire que le Japonais priera autant dans un temple Shinto que dans un temple Bouddhiste.

    A . Le Shintoïsme

    Ce terme désigne, dans son acceptation la plus ancienne et la plus générale, la religion qui, née dans le peuple japonais et entretenu par lui, n’a ni fondateur, ni dogme, et se compose essentiellement d’un ensemble de pratiques et de rites reposant sur une vision panthéiste du monde. Au-delà des diverses écoles et théories particulières qui jalonnent son histoire, et malgré l’absence de la philosophie et de théologie unifiées et instituées, le shinto se présente avant tout comme un système de valeurs, un mode de pensées et de comportements qui imprègnent profondément tous les aspects de la vie japonaise. Selon cette religion, les kamis, manifestations divines, s’incarnent dans tout ce qui est.


    Ce culte occupe une grande place dans les croyances de la population. Ainsi, dans les communautés locales, non urbaines, sont vénérés sous des noms et des formes multiples les dieux de la montagne (yama no kami) de la rizière (ta no kami), de l’eau (suijin), du feu (hi no kami), du sol (chi no kami), des frontières ( sai no kami) et, dans les localités du bord de la mer (kaijin, ryujin).
    Chacun de ces dieux est plus particulièrement lié à un ou plusieurs domaines des activités humaines. Le dieu de la montagne, considéré comme résidant dans l’une des montagnes ou collines de la localité, est une figure dominante.
    Pour les paysans, le dieu de la montagne se transforme en celui de la rizière au début du printemps, au moment où les travaux agricoles recommencent, descendant des monts par le véhicule de l’eau, elle-même divinisée, puis retrouve sa nature originelle en automne après les moissons.

    Tous ces dieux, par essence, sont considérés comme n’ayant pas de formes propres mais pouvant s’incarner dans toutes sortes d’êtres, en particulier animal. Ainsi, le dieu de la montagne pourra se manifester sous la forme d’un singe, d’un sanglier, d’une biche, d’un serpent ; celui de l’eau sous celle d’un serpent mais aussi d’un dragon, de même que celui de la mer. Mais il réside plus couramment dans une pierre, un marbre.
    Ces derniers détails nous permettent de mieux comprendre la symbolique que peuvent prendre certaines constituantes du jardin.

    B . Le Bouddhisme Zen

    Cette importante branche du bouddhisme a exercé une influence prépondérante sur le développement de la culture japonaise depuis le milieu du XIII ème siècle jusqu'à nos jours. Eisai (1141-1215), auteur d’un « Manuel pour la conservation de la santé par le thé » et Dogen (1200-1253), initiateur de la pratique Zanzen, cette recherche du vide parfait, sont le plus souvent cités comme les initiateurs du zen.


    Religion ou, plus précisément, « pratique » religieuse, éthique, arts, théâtre no, cérémonie du thé, ikebana, architecture, littérature, calligraphie, peinture, arts appliqués de toute nature… et jardins, ont été jusqu'à nos jours influencés et profondément imprégnés par le zen.
    On considère que chaque forme d’activité créatrice inspirée ou modifiée par le zen est caractérisée par sept « traits » aisément décelables et dont chacun peut occuper une place prépondérante dans un art.

    1. L’asymétrie représente l’équilibre maîtrisé. La beauté réelle apparaît lorsqu’on a dépassé l’aspect de régularité, de perfection, d’exactitude, lorsqu’ils ont été réellement rompus.
    2. La simplicité récusée à toute obédience à une école ou à un style. C’est la beauté naïve, sans apprêt (épanouie) dans un état de lucidité déliée, sans objectif particulier.
    3. L’austérité, la simplicité noble évoquée par la marque du temps qui passe, le vieillissement, la patine. La beauté apparaît lorsque la chose devient essence seule ou noyau essentiel, comme un vieux pin solide et majestueux.
    4. Le naturel évoque l’absence de contrainte, la spontanéité. L’identification totale de la pensée avec l’objet. La volonté créatrice donne naturellement son libre cours.
    5. La subtilité. L’essence de l’expression artistique ne doit pas être largement dispensée. L’œuvre doit préserver une part de son mystère. Sa « richesse » voilée représente le contenu inépuisable de l’absence totale.
    6. La récusation de toute attache. C’est l’auto libération sans dépendance, l’activité joyeuse du moi sans forme. L’œuvre doit se détacher du monde terrestre pour atteindre au cosmique. En un mot, ce doit être un état de création idéal.
    7. La sérénité favorisant un état sans bruit et sans agitation. Que notre substance soit tranquille, quelque soit le bruit ou le mouvement environnant (d’après Hisamatu Shin ichi, maître zen cité par Masumi Shibara, « Les maîtres du zen »).

    Ces éléments sont indissociables.

    Il est évident que selon les époques, les créateurs, les interprètes, des modifications ont pu apparaître dans la répartition quantitative de chacun des « traits».

    Bouddhisme et Shintoïsme sont sans conteste les religions les plus pratiquées au Japon. Elles se fondent même dans une sorte d’hybride appelé Ryobu, mêlant a la fois les deux types de croyances. La religion est également un point important de l’identité japonaise, qui a fortement influencé les jardins au cours des siècles.

    Aperçu historique :

    Il est évident que la religion Bouddhiste a eu une influence majeure sur les jardins japonais et que celle ci s’est perpétrée au travers du jardin zen. Ainsi les 7 préceptes de l’art zen, que nous avons vu auparavant, ont profondément marqué les arts en général, mais aussi les jardins. L’asymétrie qui est le premier de ces préceptes, est probablement celui qui a le plus influencé l’art des jardins. Selon la conception japonaise, il n’était pas nécessaire d’opérer un « retour à la nature », pour atteindre le « paradis », il s’agissait plutôt d’entrer dans une nature créée par l’homme, c’est à dire précisément un jardin. Ainsi, derrière de nombreux éléments du jardin, tel que certaines îles, se cachent une symbolique importante du paradis de l’ouest (Amida). La triade de pierres qui a également profondément marqué l’architecture des jardins japonais trouve aussi son origine dans des croyances bouddhistes.


    Le jardin représente un lieu propice à la méditation au sein de la nature, dans le cadre d’exercices religieux, de recherche de l’extase.
    Dans le shintoïsme, nous rencontrons le culte de l’inimitable dans la nature avec le go-shintai, le « siège d’une divinité ».


    Le go-shintai sera soit un rocher d’une forme inhabituelle, soit un arbre travaillé depuis des siècles par les intempéries, ce sera une montagne étrangement déchiquetée ou encore une cascade imposante par sa forme ou sa taille. Nous avons déjà évoqué l’amour des japonais pour les pierres ou les rochers sobres et bruts ou le culte des mégalithes dans les anciens sanctuaires shintoïstes. Dans la pratique religieuse du shintoïsme, les pierres regardées comme des objets de culte étaient souvent sacralisées au moyen d’une corde nouée (shimenawa), destinée à les faire reconnaître comme telles.


    Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’influence shintoïste sur les jardins

    La religion dans le Sakutei-ki

    Celui-ci définit clairement l’utilisation qu’on peut faire des trois pierres représentant la trinité bouddhique ainsi que les multiples influences de cette religion sur l’art des jardins.

    « Si l’endroit est vieux et qu’il existe une pierre apportant des maléfices, il est dit qu’une influence peut être dissipée en plaçant, mêlée à d’autres, une pierre dont la couleur subjugue l’aspect du caillou menaçant. Autrement, placer ensemble les pierres de la trinité bouddhique (sanzonseki) atténue le pouvoir de la pierre maléfique ».

    Outre cela il est aussi fait allusion a des utilisations de la géomancie pour concevoir les jardins. Ainsi le Nord symbolisé par la tortue noir est l’endroit idéal pour une représentation de montagne alors que son opposé le Sud, symbolisé par le Phœnix rouge serait le meilleur endroit pour accueillir un étang. Une rivière s’écoulera du Nord Est au Sud Est dans la zone représentée par le dragon bleue et l’ouest, représentée par le tigre blanc sera la façade de la maison. La ville de Kyoto fut construite selon ces principes de géomancie hérités de Chine.


    Exemples Historiques d’interprétations religieuses
    :

    Le Tenryu-ji
    Situé à Kyoto, l’étang de ce jardin est conçu selon une vue centrale a partir de la terrasse de Dai Hojo. Topographiquement, de la partie centrale du Hojo, l’œil suit l’alignement des pierres de l’étang de l’Est vers l’Ouest en fonction de leur taille. Ces 15 pierres paraissent être l’organisation géomagnétique fondamentale et la corrélation spatiale entre l’étang et le Hojo. Là, c’est en se plaçant sur le seuil de la résidence qu’il faut contempler le jardin.. Par une série de modulations imperceptibles dans la disposition des arbres, dans la répartition des masses de verdure, des fleurs et des pierres, le regard est littéralement conduit de gauche à droite et du Nord au Sud. Les images s’enchaînent comme des variations d’un thème musical qui se présente sans cesse sous des aspects différents, bien que le jardin soit toujours identique à lui-même.


    Le Daisen in
    Ce jardin de Kyoto construit en 1509 est, lui aussi, riche en significations : ses trente-deux pierres forment un ensemble où chacune, individuellement ou en groupe, se réfèrent à une symbolique. L’élément central est la trinité bouddhique constituée de trois rochers. La triade bouddhique est surmontée d’un massif de camélias qui représente le paradis taoïste, le mont Horai. A gauche se trouvent deux îles tortues et à droite l’île grue. Ce ne sont là que quelques exemples des symboles que l’on peut rencontrer dans ce jardin.


    Le Kinkaku-ji
    L’étang du Kinkaku-ji à Kyoto est appuyé à la colline. Il devait représenter dans l’esprit de son concepteur Ashikaga Yoshimitsu, « les neuf montagnes et les huit mers » composant, autour du mont Shuminsen, l’organisation parfaite de l’univers bouddhique. Ce jardin étang évoque parfaitement la période Heian du XI siècle et ses visions paradisiaques.


    De nos jours.

    Bien que la symbolique des jardins d’antan n’aie pas survécu au renouveau des jardins publics, les nouveaux espaces créés par les paysagistes nippons gardent du passé cette empreinte culturelle et mythologique des cultes encore très présents dans la vie de tous les jours. En effet les cultes shinto et bouddhistes régissent encore de nombreux aspects de la vie des japonais, car, contrairement au christianisme (arrivé depuis peu là-bas), ils font partie intégrante de la vie du japonais et rythment l’année par des festivités locales ou nationales.

    Bien sûr le jardin zen a également eut une influence majeure sur les conceptions actuelles. Cet art tendant vers l’abstrait a logiquement trouvé sa place dans les courants minimalistes des arts de notre époque. Bien entendu les formes et les symboles du passé ont également trouvé une place dans l’art contemporain, et malgré le courant mondial de l’art, les conceptions japonaises gardent souvent une forte identité par cette référence perpétuelle à un passé riche de symboles. Ces symboles, qui guident les compositions de tout artiste, ne suscitent plus aujourd’hui autant l’intérêt des jeunes nippons qui souvent préfèrent se tourner vers d’autres cultures. Ce comportement est en fait commun à la plupart des pays industrialisés et il faut remarquer que les jardins japonais génèrent un engouement important dans nos pays. Même si ces symboles ne sont pas connut de tous, beaucoup d’européens apprécient les charmes du jardin zen et aimeraient en créer un chez eux. Dans la même optique, les jardins classiques de l’Europe passionnent également beaucoup de japonais, au point qu’ils en perdent parfois la notion et la symbolique même de leurs jardins. Il s’opère ainsi comme un gigantesque bouleversement esthétique et symbolique mondial de l’art des jardins. Apres tout, au cours des différentes civilisations, c’est souvent comme cela que l’art des jardins a évolué, jamais à une telle échelle, mais ce n’est qu’une question de technologie et de communication.

    Revenons aux symboles des jardins de l’archipel qui, deviennent souvent les centres d’intérêts de nouveaux jardins. Ainsi le jardin sec, les pierres, l’eau mais aussi les sculptures, les végétaux et la musique s’ajoutent à une liste encore longue d’éléments, apportant un coté symbolique mais aussi un certain mystère dans les nouvelles compositions nippones. Le Grand Mall Park à Yokohama impressionne le visiteur par sa composition sobre et ses sculptures énigmatiques. Il fait face au musée d’art moderne de la ville, et quand vient la nuit son sol s’illumine de vagues de lumière au son d’une musique pour le moins étrange. Les Japonais sont friands de tels endroits mettant en scène des éléments originaux et créant des ambiances particulières.


    Comment ne pas évoquer au même titre les compositions de bambous des artistes japonais comme Hiroshi Teshigahara qui n’a pas fini ses recherches de l’Ikebana en extérieur avec ses tunnels de bambous!


    Mais de plus en plus, la symbolique religieuse laisse la place a la philosophie du concepteur et a ses recherches personnelles. Les codifications d’un Sakutei-ki restent une référence historique qui subit les nouvelles interprétations des paysagistes devenus des artistes sans tabou.