• Les pilotes kamikaze - Une jeunesse sacrifiée

    Propos compulsés par Christine Donato et recueillis lors du documentaire « KAMIKAZE» ( diffusé sur Arte en avril 2001 Documentaire de Klaus Scherer )(Allemagne, année 2000).

    • Définition
    • La situation en 1944
    • Une nouvelle stratégie
    • Des gamins au "casse-pipe"
    • Témoignages d'ex-kamikaze
    • Le déshonneur des revenants
    • Le comité d'adieu
    • Témoignages de marins américains
    • La tactique des fleurs de cerisiers
    • La capitulation
    • Conclusion


    Définition:

    Kamikaze, le dictionnaire donne pour ce mot, la définition suivante :
    Signifie «vent divin».
    Avion-suicide, piloté par un volontaire (au Japon, en 1944-1945).
    Par extension, personne d’une grande témérité.
    Adjectif: qui tient du suicide.

    La situation en 1944:

    En 1944, le Japon est presque vaincu, l’essentiel de sa flotte est coulée. Les sous-marins américains ont réussi à couper la métropole des ressources de l’Asie et la progression des bases insulaires et des porte-avions américains permet de pilonner Tokyo et Osaka par vagues quotidiennes de bombardiers.
    L’Empereur Hiro Hito et l’armée, qui lui obéit, se préparent à négocier mais veulent bluffer leur adversaire en le persuadant qu’un assaut direct sur l’archipel nippon se solderait par un terrible massacre réciproque.
    C’est la raison de l’épouvantable politique du sacrifice humain qui est requise des jeunes soldats et des civils japonais dans les îles conquises par les marins jusqu’à Okinawa comme dans le ciel où ces jeunes pilotes sont engagés dans ces missions sacrificielles contre les porte-avions américains.
    Comme dans beaucoup de sociétés traditionnelles, le sacrifice d’un jeune à la survie du groupe a une légitimité bien ancrée.
    Au Japon, c’est le Confucianisme, d’origine chinoise, qui autorise ce genre de démarche où un homme de qualité peut exposer sa vie pour le salut des siens et de sa famille en particulier.
    Mais Confucius est ici détourné de son sens d’origine car le choix du sacrifice doit être strictement individuel et la patrie, comme le dirait Confucius même, même en guerre n’est pas une famille.
    A l’automne 1944, les militaires japonais commencent à envisager l’idée d’une défaite. Les pilotes japonais sont en position d’infériorité dans la guerre du Pacifique. Les américains parlent alors de tirs de dindons.
    Chaque base japonaise détruite par l’ennemi permet à celui-ci de progresser vers les Philippines alors occupées par le Japon et vers Tokyo.
    Les américains progressent d’île en île, c’est la technique du « saute-mouton »
    L’armée japonaise a besoin de trouver à tout prix une idée, une arme efficace pour atteindre le noyau dur de la flotte ennemie, c’est à dire les porte-avions.
    Une nouvelle stratégie est adoptée : l’attaque des porte-avions américains par les pilotes Kamikazes.
    A cette époque, les Commandants de Compagnies japonaises donnent à leurs pilotes un ordre étrange. Ils leurs expliquent qu’il s’agit d’une stratégie nouvelle qui nécessite qu’aucun pilote ne revienne du combat. Chacun doit donc réfléchir s’il est prêt à suivre la stratégie suivante :
    S’attacher une bombe sur le ventre en faisant piquer son avion sur un bâtiment ennemi et se tuer en faisant exploser la bombe
    Les avions pouvaient porter jusqu’à 800 kg de bombes, ils avaient peu d’essence donc aucun retour n’était possible.
    Les espoirs des japonais semblent se concrétiser et cette nouvelle tactique est présentée comme un succès à Tokyo à ceci près que le nombre des objectifs atteints est mensonger et les pilotes n’en seront pas informés.
    L’allégresse est publique mais le deuil reste secret comme l’exige la tradition japonaise.
    Après le décès d’un pilote, on venait féliciter les parents de la mort de leur enfant.
    La côte sud du Japon près de Kagoshima était la dernière vision du pays qu’avaient les pilotes en s’éloignant, quelques heures de vol plus tard, ils étaient morts.
    Le 24 octobre 1944 au soir, la nuit sera calme mais à 2 heures du matin, après le lever du soleil, les américains subissent leur première attaque « kamikaze ». Un pétrolier transformé en porte-avion est le premier bateau coulé, il perd 16 hommes ce jour-là.

    Des gamins dans un cockpit» que l’on envoie au «casse-pipe
    :

    A l’époque, à 16 ou 21 ans, ces pilotes Kamikaze étaient tous prêts à mourir dans une ultime mission pour épargner la défaite à leur vénéré Empereur.
    Le pilote Kamikaze est un sujet docile de l’Empire qui voit sa famille et sa patrie en péril. Il sait bien qu’un soldat peut tomber à tout moment au champs d’honneur. Ce commandement semblait totalement inadmissible en soi mais les pilotes ne pouvaient pas s’y dérober car il venait de leur propre armée.
    L’armée avait pris en main l’éducation des fils du Japon et tout particulièrement celle des pilotes Kamikaze. Les chefs militaires savaient que les pilotes étaient réticents et qu’il fallait endormir leur méfiance.
    L’armée a besoin de héros et sait en fabriquer le cas échéant. Le saké coule à flot et les rituels fleurissent. Les chefs militaires aiment à répéter que « la vie d’un individu est aussi légère qu’une plume » alors que la responsabilité du groupe pèse très lourd.
    On promet même aux Kamikaze qu’ils deviendront des Dieux s’ils s’acquittent avec courage de leur mission. On les présente comme des combattants plein de détermination même si bon nombre d’entre eux ne sont encore que des enfants à qui on a forcé la main.
    On les fait poser pour la postérité en mettant en scène des photos officielles qui n’étaient qu’illusion et quand le supérieur tendait le dernier verre de saké, il était le seul à sourire.
    Les pilotes sont d’abord recrutés par petits contingents puis par centaine ; à la fin, ils seront des milliers.
    Au début, certains ont peut être réussi à se dérober mais la majorité d’entre eux étaient contraints d’obéir.
    On attendait des pilotes qu’ils fassent bonne figure et la plupart le faisaient, gardant leurs états d’âme pour eux.
    La plupart des pilotes n’ont pas pu faire leurs adieux à leur famille.

    Plusieurs ex-pilotes Kamikazes témoignent
    :

    Kensuke KUNUKI :

    « Nous pensions mourir tôt ou tard ; j’ai juste eu l’impression que la date de ma mort avait été avancée ».
    Quand j’ai annoncé à mon père : « papa j’y vais », il a prononcé ces mots que personne n’avait le droit de dire : « pour nous japonais, cette guerre est déjà perdue ».
    « Mais un ordre c’est un ordre, surtout dans l’armée… Impossible d’y échapper, pourtant après mon départ, un de mes camarades aurait dit en pleurant qu’il ne voulait pas partir mais qu’il attendait son tour. Finalement, il est parti et il est mort dignement. »

    Shigeyoshi HAMAZANO :

    « C’est un pur mensonge je vous assure. Evidemment les cerveaux du QG se sont engagés devant l’Empereur à ne pas imposer ce genre de mission à qui que ce soit et à n’engager que des volontaires mais cette histoire est une belle hypocrisie ».

    Kenichiro ONUKI :

    « Si vous refusez de vous porter volontaire, le Chef vous convoque et vous demande pourquoi. Vous lui répondez : j’ai été engagé pour devenir pilote et non pour me suicider en me jetant sur l’ennemi avec une bombe, je m’y refuse. Mais alors vous subissez une telle pression que vous finissez par vous engager par écrit et à vous porter volontaire ».

    « J’avais perdu tout appétit, je ne faisais que boire du saké du matin au soir, je ne pouvais pas avaler de nourriture, pas même les meilleurs plats, j’avais l’estomac complètement noué, il n’y avait que le saké qui arrivait à me faire oublier ».

    Le déshonneur de ceux qui reviennent

    Dans la tradition militaire japonaise, celui qui tenait à la vie passait pour un mauvais soldat. Les japonais préféraient sacrifier tous leurs hommes plutôt que de capituler.
    Ainsi, les phrases suivantes attendaient tout pilote Kamikaze revenu du combat :
    « De quel droit êtes-vous revenu ? ».
    « Vous déshonorez l’armée ».

    Les pilotes pensaient être remerciés et recevoir des paroles d’encouragement mais ils étaient traités comme des traîtres.
    Pour l’Etat-Major, les pilotes n’étaient plus que de la chaire à canon que l’on ne prenait plus la peine de former. On ne leur demandait plus d’heures de vol, la théorie était censée leur suffire.

    Le Comité d’Adieu aux Pilotes Kamikaze:
    Des écolières des environs étaient rassemblées pour saluer les pilotes sur le point de partir. Le gouvernement n’hésitait pas à dispenser d’école à cette occasion.
    Les fillettes agitaient des fleurs jusqu’à ce que les pilotes soient hors de vue.

    Chino KUWASHIRO était membre du Comité d’Adieu, elle explique :
    « On agitait un mouchoir pour saluer chaque départ jusqu’à ce que l’avion ait disparu au dessus de la montagne. Je n’étais qu’une enfant de 13 ou 14 ans mais je pleurais à chaque fois. Maintenant encore c’est plus fort que moi quand j’y repense.
    En partant, les pilotes nous faisaient signe de la main gauche car ils tenaient les commandes de l’autre ; quelques heures plus tard, ils allaient se jeter sur un bateau »
    .

    Reiko AKABANE était également membre du Comité d’Adieu, pour elle :
    « Cette émotion que je ressentais est difficile à expliquer. Je n’étais qu’une enfant mais je me demandais comment une chose pareille pouvait arriver à ces pauvres pilotes qui étaient encore si jeunes. Tout ce que je pouvais faire c’était penser à eux, si seulement ils pouvaient m’entendre ».
    Beaucoup de pilotes offraient des souvenirs aux fillettes : une poche, un morceau de ceinture, leur portefeuille. Ils disaient qu’ils n’en n’auraient plus besoin.

    James TRULL et Bill SIMON, ex-Marins, racontent:

    « J’ai entendu un grand bruit de rafales, j’ai levé les yeux et j’ai vu cet avion qui piquait droit sur nous en tirant des salves qui tombaient dans l’eau. Nous avons considéré le piqué du pilote pour une erreur ou pire pour l’acte désespéré d’un fou ».

    « Le lendemain on a essuyé une nouvelle attaque, on a vu les avions faire mouche sur les bateaux autour de nous et l’on a compris que ce n’était pas accidentel, c’était vraiment intentionnel et cela a changé notre attitude car on pensait pour ainsi dire que la guerre était gagnée et que c’était fini. Je ne crois pas que les japonais auraient trouvé mieux que ces pilotes Kamikazes pour saper le moral des marins américains ».

    « C’était quelque chose de nouveau pour nous, on pensait que c’était dans la nature humaine de se maintenir en vie le plus longtemps possible, on n’arrivait pas à comprendre que quelqu’un puisse accepter de faire une chose pareille ».

    La tactique des "fleurs de cerisiers"
    :

    En janvier 1945 s’achève la bataille des Philippines au profit des américains. Le Japon avait tout misé sur les Kamikazes, il ne suffiront pas à le sauver.
    La seule façon d’arrêter les Kamikazes était de faire fonctionner sans relâche l’artillerie anti-aérienne américaine mais cela ne les arrêtait même pas et ils causaient de nombreux dégâts mais ceux-ci étaient réparables. Des navires ravitailleurs étaient envoyés sur place et la logistique de guerre américaine fonctionnait bien.
    Beaucoup d’unités de Kamikazes décident de changer de stratégie et de ne plus attaquer « en piqué » mais « à l’horizontale » ; non pas car ils manquent leur cible mais parce qu’ils doivent couler beaucoup plus de navires pour changer le cours de la guerre.
    Le pire reste à venir : le combat final au large des côtes japonaises.
    Avant la fin de la guerre, les japonais bourraient les bateaux d’explosifs pour des attaques Kamikaze contre les navires américains.
    Des sous-marins, commandés par des pilotes, étaient équipés d’une bombe à l’avant et étaient lancés à partir de navires ravitailleurs.
    Plus tard, les pilotes d’avion n’était plus assis dans un avion mais sur une bombe volante appelée « Fleur de cerisier ». L’avion était censé tomber du ciel comme des fleurs de cerisier. Cet avion était acheminé jusqu’à sa cible par des avions porteurs.
    En mars 1945, 25 % des pilotes se disaient volontaires pour les missions suicide.
    Mais la tactique des fleurs de cerisiers fit perdre 160 avions japonais en 3 jours et elle fut abandonnée.
    A la fin, les pilotes n’avaient plus d’avions, les derniers servaient à la défense au cœur du pays. Ainsi, un avion avec 2 ailes en toile servait à l’entraînement.
    On disait aux civils que l’ennemi, s’ils se rendaient, les rendrait en esclavage et tuerait leurs enfants. Malgré les appels diffusés par les hauts-parleurs américains en langue japonaise, beaucoup de civils se donnaient la mort dans leur cachette ou se jetaient dans le vide.
    Les soldats japonais ne se rendaient pas et lançaient des attaques banzai : ils se jetaient par troupes entières sur les mitrailleuses ennemies. Se sacrifier pour sa patrie était la preuve d’une grande vertu.

    La capitulation
    :

    En avril 1945, à Okinawa, il y eut peu de résistance. Tout était calme. Mais une des batailles les plus acharnées du Pacifique eut lieu.
    La terre, la mer et l’air serviront à défendre Okinawa.
    Mais après 2 mois de souffrance, l’Empereur annonce, suite au choc de la bombe atomique et l’entrée dans la guerre de la Russie, la capitulation en disant : « Nous devons supporter l’insupportable ».
    Le fanatisme des Kamikaze convaincra les derniers réticents à Washington d’utiliser l’arme atomique pour forcer à une capitulation déjà envisagée.
    Le 10 août 1945, au moment ou les derniers Kamikazes décollent encore, l’Empereur du Japon s’adressera à la radio à son peuple pour lui annoncer la défaite.

    Epilogue:

    Aucun supérieur militaire n’a eut à se justifier à la fin de la guerre.
    Ni les listes des pilotes présumés disparus ni celles des pilotes déclarés morts ne furent modifiées.
    Le Japon n’est pas encore prêt à digérer cette page délicate de son histoire. Les compatriotes ne veulent pas en entendre parler.
    Une cérémonie réunit chaque année les pilotes qui ont survécu à cette période noire de l’histoire parce qu’ils ont pu atterrir en catastrophe après le combat ou parce que la fin de la guerre leur a évité une mort certaine.

    Foi, obéissance, aveuglement ; où placer une limite entre victimes et bourreaux ?

    On peut trouver la réponse au mémorial de Yasukuni à Tokyo. Cet endroit est un lieu de pèlerinage pour les anciens combattants japonais et c’est dans ce lieu que les âmes des soldats disparus auraient trouvé le paix.