• Comment les français voient-ils les japonais?

    Cet article, en date du mois de novembre 2000, est le résultat d'une étude menée auprès d'une vingtaine de français de statut différent (employés, agents de maîtrise, cadres).
    Réalisé par Christine Donato.

    • Introduction
    • L'homme japonais
    • Les jeunes filles
    • Les mères de famille japonaises
    • Les adolescents japonais
    • Présence japonaise dans le monde


    Introduction :

    Généralement, le japonais auquel pense le français est le touriste japonais. Ce dernier, souvent en groupe, le bob ou la casquette sur la tête ne manquera pas de faire de nombreuses photographies lors de son périple en France. Appareil photo ou caméra au poing, Il est toujours prêt à bondir pour faire la photo "scoop".
    Les groupes de touristes nippons qui débarquent dans une ville ne louperont pas un recoin de la ville. Par exemple, lors de la Fête des Gardians le 1er mai à Arles ; on ne sait pas comment ils ont eu vent de la manifestation mais on ne pourra pas marcher dans une rue d'Arles sans rencontrer un japonais.
    Les français voient les japonais comme des personnes petites, discrètes, sages, calmes, sereines, souriantes, curieuses, rigoureuses, précises, raffinées, très polies et respectueuses. L'un de nos compatriotes les qualifie de " touristes les plus intelligents ".
    Les japonais sont considérés comme des individus intéressants et à la personnalité très contrastée. En effet, ils sont à la fois très attachés à la tradition et à la modernité (avec un réseau de communication et de transport très en avance ; des villes animées à n'importe quelle heure du jour et de la nuit), tout en en subissant les retombées de cette modernité avec de gros problèmes de pollution.
    Certains français les appréhendent à travers des images vues dans des reportages télévisés (îles surpeuplées, personnes vivant à l'étroit dans des petits logements, japonais dans les rues en vélo, société de consommation subissant la diffusion de publicités sur écrans géants, tremblements de terre …) ou à travers des images plus " poétiques " (pagodes, cerisiers, jardins, Mont Fuji, Geishas…).
    Finalement, les français ne connaissent pas très bien ces japonais qui habitent très loin de chez nous et ils les confondent souvent avec les chinois.
    Voyons plus en détail qui est cette population en perpétuelle mobilité.

    L'homme japonais :

    Le businessman, souvent en train de courir l'attaché-case à la main pour rejoindre sa firme high-tech, n'a pas une minute à lui. Dévoué corps et âme pour son entreprise, tel le " kamikaze ", il puisera jusqu'à ses dernières ressources, en digne " samourai " (ce mot signifie celui qui sert), pour aider son entreprise.
    Nota : le mot " kamikaze " a plusieurs significations :
    - la première : évoque le vent-divin (kami : divin et vent : kaze) qui décima la flotte mongole qui lança une armada sur l'Archipel en 1300 ;
    - la deuxième : fait allusion aux pilotes d'avion qui lançaient leurs appareils remplis de bombes sur les navires américains lors de la seconde guerre mondiale.
    Les japonais dans le monde du travail sont mis à rude épreuve. Leurs entreprises, dont les noms sont connus dans presque tous les secteurs d'activités, sont largement en avance sur l'Europe au niveau de la technologie.
    Les japonais créent les produits de demain (le Memory Stick-Walkman de la taille d'un paquet de chewing-gum ; le robot-concierge qui nettoie les sols et sert de vigile ; le téléphone portable i-mode se connectant à Internet ; le plus léger lecteur de DVD ; le robot qui se déplace, parle, reconnaît le visage humain et effectue certaines tâches domestiques ; le micro-ondes qui télécharge les recettes de cuisine à partir d'Internet pour n'avoir plus qu'à lire sur l'écran du micro-ondes…).
    Les hommes japonais qui produisent ces machines sont presque devenus eux-mêmes des robots.
    On parle depuis quelques années du phénomène " karoshi " (la mort par excès de travail) qui touche principalement les Cadres de 40 à 50 ans. Le nombre de décès par an, en raison du surmenage au travail, était estimé à 10 000 en 1995.
    Les nippons vivent dans la cellule entreprise depuis le matin jusque tard le soir. La journée se termine fréquemment par un détour au bar ou au " karaoke " (qui signifie orchestre vide et qui prit naissance à Kôbe en 1972) avec les collègues " sararîman " (salariés). Une amie dont le mari est journaliste voit peu son mari dans la journée (il part avant 7 heures le matin et rentre après minuit le soir). Ce type d'horaire semble fréquent. L'absence du mari ou du père est une chose quasi-habituelle. Les enfants ne voient presque pas leur père. C'est le schéma : l'homme au travail, la femme à la maison ou dans les boutiques.
    Les japonais ont un sens de l'observation nettement supérieur aux européens. Les industriels français sont vigilants lorsque des japonais arrivent dans l'entreprise car ils sont connus comme étant les champions de la collecte d'informations.
    Toutefois, l'image que l'on avait d'eux il y a 20 ans a évolué.
    En effet, auparavant on les appréhendait comme des personnes agressives (voulant envahir les marchés européens en imposant leurs marques automobiles). Les touristes asiatiques rencontrés à Paris étaient principalement japonais.
    Maintenant, ils passent inaperçus. Dans le métro, on ne rencontre pas uniquement des asiatiques de nationalité japonaise mais chinoise, coréenne…

    Les jeunes filles et les mères de famille japonaises
    :

    On les imagine avec leur " kimono ". La traduction littérale de ce mot signifie "vêtir" et "chose". Toutefois ce vêtement traditionnel n'est porté que lors des grandes occasions (en raison de son port contraignant et de son coût onéreux). Il est depuis de nombreuses années remplacé par le vêtement de type occidental.
    Les français ont fréquemment l'image de la femme Geisha à l'esprit sans savoir réellement qui elle est. Pour information, une fois dans sa vie, toute femme (qu'elle soit japonaise, européenne ou d'une autre nationalité) peut devenir geisha.
    La situation de la femme japonaise autrefois n'était pas enviable. En effet, l'ascension du Mont Fuji était interdite aux femmes. Le Mont Fuji étant considéré comme le domaine des Dieux, seules les âmes pures pouvaient en gravir les flancs. C'est en 1867 que cet interdit fut levé.

    Les jeunes filles japonaises :

    Souvent joyeuses lorsqu'elles se promènent en petits groupes dans la rue, elles sont en effet de nature assez joviale.

    Elles ont des petites manies totalement différentes des européennes :
    - par exemple, pour dire je ("watashi wa"), elles se touchent le bout du nez avec l'index ;
    - lorsqu'elles mangent, elles masqueront leur bouche avec leur main pour ne pas montrer qu'elles parlent la bouche pleine ;
    - lorsqu'elles rient, elles mettent leur main devant leur bouche (leur dentition est particulière avec une implantation des dents spécifique, les dents sont souvent implantées de travers et la lèvre supérieure a tendance à remonter) ;
    - elles ont toujours le dos bien droit sur leur chaise et ne sont pas avachies comme les françaises ;
    - en disant " itadakimasu " (bon appétit), elles baisseront la tête vers leurs mains jointes.
    Au premier abord, elles semblent timides, effarouchées et candides mais après quelques gorgées de vin il n'y paraît plus.
    La première impression que donnent ces jeunes filles qui viennent étudier en France est une impression de liberté. Certaines arrivent en France et ne sont pas encore majeures dans leur pays. L'âge de la majorité dans l'Archipel est 20 ans.
    Ce sentiment de liberté provient certainement de la coupure avec le groupe.
    Des valeurs comme la discipline, l'uniformité et l'esprit d'équipe sont restées sur le sol nippon.
    Des habitudes comme le port de l'uniforme, l'entretien de l'établissement par les élèves sont oubliées.
    Tous ces repères absents, créent une sorte de choc culturel qui ne les déstabilisera pas très longtemps. Elles adopteront rapidement un nouveau mode de vie.

    Les mères de famille japonaises
    :

    La plupart arrêtent leur activité professionnelle pour se consacrer à l'éducation des enfants mais elles reprennent ultérieurement un emploi. En effet, elles ne souhaitent plus passer l'essentiel de leur vie aux tâches domestiques.
    Elles ont en charge l'éducation des enfants et le budget de la famille. Elles ressentent un devoir d'assistance envers leur mari. C'est le cas de Machiko, la femme du sumô Kotonowaka. Chaque jour, Machiko fait les courses au supermarché pour préparer un repas conséquent à son mari afin qu'il engraisse en bon sumô.
    Certaines se sont mariées suite à un "o-miai " : mariage arrangé par un ami, parent ou employeur. Au Japon, si l'on est pas marié à 25 ans, on est considéré comme "hors norme".
    Les mères de famille d'un même quartier vivent dans une sorte de petite communauté dans laquelle tout le monde se connaît.
    Mais la loi dictée par le groupe peut aller très loin. Par exemple, toute nouvelle mère de famille désireuse de se faire accepter dans le groupe, et avant la naissance de son enfant, doit se rendre chaque jour dans le jardin public pour se faire accepter des autres mères. Cette "acceptation" des autres déterminera sa vie et celle de ses enfants dans le quartier.
    Il arrive qu'une chef de groupe prenne la tête de la communauté et prenne comme tête de turc une mère de famille qu'elle tolère mal dans son groupe. Citons ce fait divers dans le quartier Otowa à Tôkyô qui coûta la vie, début 2000, à une enfant de 2 ans. Une mère qui subissait depuis longtemps les brimades de la part de la mère de cette petite fille s'est vengé sur l'enfant. Au Japon, si l'on est brimé, on est obligé de continuer à être ensemble pour garder l'amitié des autres et ne pas se retrouvé exclu. Ce phénomène social de brimades est appelé "ijime".
    On devient japonais au cours de sa vie mais on ne naît pas japonais. La personne est modelée et transformée en membre du groupe. L'individualisme met en porte-à-faux par rapport au restant de la société.
    Que ce soit au foyer ou dans l'entreprise, les femmes ou jeunes femmes japonaises sont souvent regardées comme des citoyennes en retrait car quelque peu méprisées. Dans l'entreprise certaines occupent un emploi de " fleur de bureau " (elles servent, le thé, le café…).
    Depuis quelques années les femmes japonaises réagissent et commencent à accéder à des emplois et des situations davantage " honorables ". Grâce à des associations, la situation bouge et elles comptent se faire entendre.
    Le nouveau Gouverneur d'Osaka, Fusae Ota, est une femme.

    Les adolescents japonais
    :

    Ils ressemblent de plus en plus aux adolescents d'Europe.
    Mais au lycée ou au collège, la tenue est stricte :
    Pour les filles : c'est la jupe bleue avec la veste assortie à boutons dorés, le chemisier blanc, les chaussures noires et les chaussettes blanches. L'hiver, les demoiselles rajouteront un manteau bleu et un foulard.
    Pour les garçons : c'est la veste bleue ou noire à boutons dorés, le pantalon assorti, la chemise blanche, les chaussures noires et les chaussettes blanches.
    Les compétitions scolaires et les courses aux examens rythment la vie des jeunes japonais. Les concours d'entrée permettent d'accéder aux lycées. La préparation aux concours d'entrée dans un bon collège ou lycée est un objectif primordial. Les boîtes à concours qui sont des écoles privées ou parallèles (juku et yôkibo) préparent les élèves aux examens d'entrée. Ce type d'établissement est fréquenté après les cours. Il ne faut pas échouer et se retrouver " ronin ".

    Nota : le terme " ronin " a deux significations :
    - la première, fait référence à un élève qui a échoué à un examen,
    - la seconde, d'origine plus ancienne, évoque le samourai errant qui a perdu son maître.

    Les adolescents japonais peuvent être extravagants à l'extrême dès qu'ils sortent de l'école.
    Le week-end, certains adolescents se déguisent et vont dans le quartier de Harajaku. A cet endroit, on retrouve des groupes de jeunes rockers appelés " Takenokozobu " (gang des pousses de bambou) qui se trémoussent tout l'après-midi en écoutant fort de la musique.
    Les piercings, les pantalons flottants, les cheveux en bataille ou teints, les habits rose bonbon pour les filles (façon Hello Kitty), sans oublier le portable sont choses courantes. L'essentiel est d'être " torendu " (tendance). Celui qui ne recevra aucun appel sur son portable sera considéré comme un laissé-pour-compte.
    Les ados ont tendance à se rebeller, à préférer l'immédiat au long terme et l'individualité au groupe tout en se détachant de la culture traditionnelle.
    Lorsqu'ils rentrent de l'école, ils font leurs devoirs, regardent la télévision, lisent des mangas, jouent aux jeux vidéo ou utilisent Internet. Le virtuel fait place au réel. Les adolescents japonais sont sous l'emprise des images. Les scènes d'émeutes lors de la sortie de la Play Station 2 de Sony à Tôkyô montrent l'éternel engouement pour les jeux (précédemment, 50 millions de Play Station 1 ont été vendus). Les jeux vidéos ont l'avantage d'être disponibles à tout moment (203 millions de jeux vidéo sur CD ont été achetés, ce qui représente un chiffre d'affaire de 31 milliards de francs).

    " L'arubaito " (le petit boulot) après l'école est fréquent pour avoir un peu d'argent de poche.

    A la maison, la communication est de plus en plus rare et la démission des parents est de plus en plus fréquente. L'absence du père explique peut-être cela.
    Parfois, dans certains foyers, les parents ne maîtrisent plus leurs enfants et l'on arrive à des situations inimaginables. En début d'année : deux adolescentes ont tué leur mère à coup de pied et de poing car elle n'avait pas préparé le repas.
    Peut-être penserez-vous : " ce type d'incident peut aussi se produire chez nous ! ". Alors je répondrai " Mochiron " (" bien sûr "). " Bien sûr oui " ou " bien sûr non " ? Ah, l'ambiguïté japonaise ! …

    La présence des japonais en France et dans le monde :

    Les japonais en France étaient au nombre de 22 000 en 1999 (chiffre approximatif, contre 6 500 français au Japon).
    Les japonais résident en moyenne 3 ans en France et sont à 90 % regroupés en région parisienne.
    Ils sont d'abord employeurs ensuite chercheurs et étudiants.
    Moins de 15 % d'entre eux affirment vouloir rester sur le sol français.
    C'est au Etats-Unis et au Brésil que l'on rencontre le plus de japonais.