• Société - Tranches de vies

    Les thèmes de l'émission

    • l'évolution des mentalités
    • la virilité et la violence
    • les hommes parasite
    • le sararîman et le système éducatif
    • la mode chez les filles de Shibuya
    • le dépeuplement de certains villages
    • les hommes de 25 ans non mariés


    Commentaires de:

    • Takeshi Kitano : Réalisateur / Vedette TV
    • Rika Kayama : Psychiatre
    • Shuichi Kato : Philosophe
    • Shungiku Uchida : Ecrivain / Auteur de mangas
    • Shintaro Ishihara : Gouverneur de Tôkyô

    Suite à l'éclatement de la bulle financière et à la récession qui suivit, le Japon est depuis près d'une décennie plongé dans une crise sociale, économique et nationale.
    Si le pays se relève lentement, il est aussi en profonde mutation. En effet, dirigisme, discipline, sens de la collectivité, ce qui hier a fait sa force est aujourd'hui obsolète.
    Tous les repères forgés depuis l'après-guerre s'écroulent et l'on cherche de nouvelles valeurs.
    Société en plein désarroi où la famille, le couple, l'école, le travail sont sérieusement remis en cause. Le Japon est en plein mouvement.

    L'EVOLUTION DES MENTALITES

    Société en pleine mutation perdant ses repères traditionnels tout en se raccrochant à des nouvelles valeurs.

    Pour Takeshi Kitano, autrefois la société était homogène, on pouvait résoudre les problèmes sans s'adresser aux autorités. Dans les vieux quartiers, on connaissait les voisins, les querelles se réglaient entre soi et l'on n'appelait pas la Police.

    Maintenant, la société est devenue anonyme. On habite de grands ensembles et l'on ne connaît plus ses voisins. C'est pourquoi il faut faire intervenir la Police.

    Les personnes de ma génération assistent à une curieuse évolution. Autrefois, les gens avaient de la pudeur, on se sentait gêné d'aller à la Police pour une brouille.

    Maintenant, on dit qu'il ne faut pas avoir honte mais simplement défendre son droit. Ceci entraîne, comme aux U.S.A., des procédures judiciaires pour des affaires qui paraissent incroyables. Autrefois, il y avait des choses qu'il fallait savoir sinon on avait honte. Nous sommes devenus une société plutôt insensible.

    Shintaro Ishihara a différentes opinions sur la manière dont les gens forment des valeurs spirituelles.

    Mais la Constitution que les Etats-Unis ont dicté au Japon a radicalement modifié la conscience des Japonais. Maintenant, les Japonais pensent qu'ils n'ont pas à assumer de responsabilités pour eux-mêmes.

    L'Etat n'assume pas de responsabilité pour sa propre politique de défense. Personne n'assume de responsabilités. Au Japon, Bureaucrates et Politiques n'ont aucun sentiment de responsabilité.

    D'après Takeshi Kitano, seule la religion pourrait changer quelque chose mais on peut se demander si les japonais ont une religion. Les gens d'ici ne semblent pas en avoir.

    L'artère commerçante Omote Sando à Tôkyô était à l'origine un chemin de pèlerinage vers le Sanctuaire Meiji (où l'on vénère l'Empereur Meiji). A présent, on appelle cette artère Les Champs-Elysées et les gens se disputent à propos de la mise en place de sapins de Noël. Un tel débat n'aurait pas lieu d'être. Ce symbole chrétien n'a pas sa place ici. C'est stupide d'en discuter. Les japonais ne voient pas où est le problème.

    C'est un pays étrange parce que nous n'avons pas de religion. D'autre part, les japonais déifient tout ce qu'ils peuvent et ils pensent que Les Dieux vivent dans les arbres ou les pierres et l'on trouve ici aussi bien des Chrétiens que des Bouddhistes. Mais il n'y a pas de véritable fondement.

    LA VIRILITÉ ET LA VIOLENCE

    Les propos de Rika Kayama sont les suivants : "Autrefois, la virilité consistait à se montrer fort. La virilité des Yakusas émane de leur violence. La virilité a un rapport avec la violence".

    "De nos jours, la virilité consiste à traiter la femme sur un pied d'égalité, à s'assister mutuellement pour fonder une famille. Mais beaucoup d'hommes n'ont pas encore compris cela".

    L'exemple du boxeur Hironari Oshima est cité. Cet homme de 24 ans et le numéro 3 des Poids Légers au Japon. Ce boxeur est un ancien yakusa. Il pensait qu'être fort signifiait être un yakusa.

    Après son emprisonnement, il a décidé de changer de vie en devenant boxeur.

    Il a subi une opération pour faire enlever les tatouages qu'il avait sur le buste. La Fédération de Boxe lui refusait sa licence en raison de ses tatouages.

    Depuis, il boxe mais ne va pas en prison lorsqu'il met un adversaire KO et il gagne bien sa vie.

    Sa philosophie est la suivante : "je veux être fort et j'ai toujours pensé qu'un homme doit être fort". Pour lui, la force réside dans la violence.

    Mais Shuichi Kato pense que les japonais ne discutent pas beaucoup. Même au Parlement, il n'y a pas de vraies discussions. Les japonais ne débattent pas car ils n'aiment pas la discussion. Ils n'y sont pas exercés et n'y excellent pas, donc ils ne règlent pas les divergences d'opinion par la discussion. Au lieu de cela, il existe 2 comportement sociaux extrêmes :

    - la politesse :

    les japonais sont extrêmement polis, c'est le stéréotype bien connu (pour les étrangers, la politesse japonaise paraît exagérée). On reste poli et l'on ne dit pas grand chose même si l'on n'est pas du même avis. On garde son avis pour soi tout en restant courtois au lieu d'exprimer son opinion et discuter ;

    - la violence :

    ne pas s'exprimer engendre l'insatisfaction intérieure et l'on finit par avoir recours à la violence.

    Dans le cas d'un accident de la circulation : on ne passera pas en justice. Une indemnité sera payée et l'affaire sera réglée. Il n'y aura aucune discussion pour savoir qui est dans son droit. Il en est ainsi dans la plupart des cas lorsque l'accident n'est pas trop grave. On verse un peu d'argent et l'on se réconcilie.

    Si le problème ne peut être réglé ainsi, on en vient à la violence et l'on sort le couteau ou l'on se tabasse copieusement. Les journaux relatent fréquemment ce type d'évènement. Les gens réagissent donc de manière extrême.

    LES HOMMES PARASITE

    Les hommes qui vivent en parasite au Japon sont de plus en plus nombreux.

    L'homme fait les courses, le ménage (tâche pour laquelle sa femme lui donne un peu d'argent de poche). Au début, c'est une solution temporaire mais à force de mener cette vie on finit par y prendre goût. L'homme mange à sa faim et il est tranquille. Il aide physiquement et moralement sa compagne.

    Pendant ce temps, la femme travaille. C'est souvent une femme engagée dans une carrière professionnelle qui souhaite acquérir une qualification pour monter sa propre société.

    Elle hésite à se marier car ne souhaite pas entretenir son ami toute sa vie.

    Elle garde le contrôle financier en donnant à son ami l'argent pour les courses, son argent de poche et garde toujours sur elle son livret d'épargne pour ne pas se trouvée démunie du jour au lendemain par son compagnon.

    Certaines envient cette situation car elles triment toute la journée et rentrent épuisées mais c'est une relation non basée sur la confiance dans laquelle chacun profite de l'autre. Au bout du compte, certaines femmes auront payé maison, voitures, ordinateurs avec leur argent et se retrouveront démunies en cas de divorce (c'est le cas de cette écrivain - auteur de Bd dont le mari est resté 15 ans sans travailler).

    Selon Rika Kayama, les hommes parasite ne sont pas les seuls coupables. Le problème vient des femmes qui entretiennent des parasites.

    Les femmes japonaises sont relativement libérales mais beaucoup n'ont pas assez confiance en elles et ont peur.

    Les hommes comme les femmes japonaises en général ne sont pas très surs d'eux.

    Les parasites exploitent habilement le psychisme des femmes qui ne sont pas assez sures d'elles. Un parasite fera croire à sa partenaire que sans elle il aurait complètement sombré et qu'elle est la seule au monde qui le comprenne et le protège.

    Les parasites profitent d'un manque d'assurance des femmes, ces dernières ne brisent pas cela et croient qu'elles sont les seules à pouvoir protéger cet homme.

    Takeshi Kitano signale le nombre important de suicides : environ 30 000 par an : 1/3 des suicides est du à une raison liée à la restructuration de l'économie.

    Il semble que ce le suicide concerne aussi les gens qui refusent de vivrent en parasite. Ils sont beaucoup trop fières pour se faire entretenir par leur femme après avoir été licencié.

    Au Japon, les hommes sont fières de nourrir leur femme et ainsi lui permettre de ne pas travailler.

    Certains licenciés passent leur journée dans le parc en complet veston par ce qu'il ne veulent pas que leur famille apprenne leur licenciement. Ils prennent des crédits et versent chaque mois sur leur compte une somme correspondant à leur ancien salaire jusqu'à ce que cela n'aille plus.

    Vu sous cet angle, les hommes qui restent à la maison sont très courageux.

    LE SARARIMAN ET LE SYSTEME EDUCATIF

    "J'ai travaillé comme un fou pour mon entreprise, j'ai fait augmenter le chiffre d'affaires et je suis viré. Je ne comprends pas".

    C'est le type de phrase souvent prononcé par les hommes japonais de 50 ans.

    Le taux de chômage a atteint le niveau historique de 4,9 % avec 2 millions de licenciements en juillet 1999.

    L'emploi à vie n'existe plus mais les salariés n'y sont pas habitués.

    Les hommes japonais de 50 ans quémandent du travail à leurs anciens clients et parfois doivent changer d'activité (on passe par exemple d'un travail de cadre dans le bâtiment à un poste de vendeur de carte de golf avec une baisse considérable de salaire). Il faut faire face à de nombreuses dépenses (un loyer élevé, des enfants encore en âge de scolarité...).

    Ceux qui après 50 ans n'ont plus de travail peuvent se retrouvent dans la rue après avoir quitté leur famille.

    Le stress d'une nouvelle vie et d'une remise en cause peut aller jusqu'au suicide.

    Le problème vient du fait que les tâches confiées sont faites de responsabilités et d'initiatives personnelles.

    Un élève japonais parti étudier à Harvard dira : "à Harvard, j'ai appris que l'on obtient le respect si l'on s'impose un défi et que l'on construit quelque chose soi-même. Pour moi, cette prise de conscience fut un choc culturel".

    Certains pensent "qu'il faut élaborer un nouveau système éducatif qui favorise le développement personnel des enfants. Aujourd'hui encore l'individualité est réprimée et l'on construit des êtres stéréotypés. Tous les enfants sont des génies, tous ont du talent, on ne peut pas les rendre tous pareils par l'éducation".

    Les élèves qui échouent à l'école se retrouvent hors du système et sont placés dans les écoles de "la dernière chance". L'un d'eux dira "quand j'étais au collège, j'étais bon élève et je n'arrêtais pas de bûcher pour préparer l'examen d'entrée au lycée. L'examen passé, au lycée, il fallait encore travailler. Je n'en pouvais plus, j'ai pété les plombs. J'ai abandonné. J'en ai parlé à ma mère qui m'a envoyé dans cette école ici".

    Ce type d'école rassemble des enfants de tout le pays. Ils sont considérés comme des délinquants ou scolairement en difficulté (problème avec des professeurs, mise à l'écart par les autres élèves, ils ne s'entendent plus avec leurs parents, ils subissent des brimades ou l'insécurité...). Les Professeurs de cette structure se mettent à leur porté pour ne pas les effaroucher. La salle des Professeurs est toujours ouverte pour faciliter la communication.

    Les chiffres sur l'absentéisme parlent d'eux-mêmes :

    en 1999 : 130 000 jeunes manquent l'école et 100 000 ont arrêté leurs études. La plupart deviendront des délinquants.

    LES FILLES DE SHIBUYA

    Les collégiennes désorientées sont de plus en plus nombreuses. Elles recherchent un plaisir immédiat et consacrent toute leur énergie à la mode et aux distractions. On les rencontre surtout dans le quartier de Shibuya à Tôkyô.

    Chez les lycéennes, la grande mode est de porter des vêtements de couleurs vives, se teindre les cheveux, avoir des paillettes sur les yeux, des bagues et des faux ongles, des bottes à talons de 20 centimètres et le visage ultra bronzé.

    Un grave problème est apparu chez les lycéennes : c'est la prostitution. Elles savent que c'est illégal mais ont besoin d'argent pour faire face à leurs dépenses diverses.

    Le livre de Romi Inoue traite de ce sujet et signale que les torts sont partagés entre les lycéennes et les clients. Certaines lycéennes ont des parents qui ne s'occupent pas d'elles et se sentent isolées. D'autres, ont des parents qui ne leur donnent pas assez d'argent ou qui ne peuvent pas donner d'argent de poche. A ce jour, 4 % des lycéennes se prostituent.

    Rika Kayama, qui a discuté avec ces jeunes filles, a constaté que beaucoup de celles qui s'habillent de façon excentrique ont une façon de penser très conservatrice. Les collégiennes pensent avoir une valeur à cause de leur jeunesse et considèrent qu'elles ne vaudront rien plus tard quand elles ne seront plus jeunes.

    Elles ont le même schéma mental que les femmes du Japon traditionnel. L'expression employée par certaines actrices de Takarazuka ou certaines catcheuses est 'intai' (se retirer), ce qui signifie qu'après 25 ans elles cessent toute activité.

    Quant à Suichi Kato, il estime que la mode au Japon vient de l'Occident et surtout des États-Unis. Il existe une sorte d'américanisation. Cela se retrouve dans le langage avec les 'katakana'. La plupart des mots transcrits en 'katakana' sont d'origine américaine.

    Les Japonais n'ont pas le culte de l'Amérique mais ils s'y intéressent beaucoup.

    UN VILLAGE SE MEURT

    Le dépeuplement des zones rurales est un phénomène récent au Japon. La famille a éclaté. Certaines personnes âgées se retrouvent seules dans des villages sans un seul magasin. Leurs enfants sont partis vivre en ville. La seule distraction de ces personnes âgées est la télévision.

    Au Japon, 1 000 communes sont considérées comme dépeuplées ; 1/3 de ces communes sont des villages d'agriculteurs.

    Il n'y a pas d'alternative sociale à l'ancienne collectivité et aucune aide dit Suichi Kato. Le Japon est en retard par rapport à l'Europe sur le plan de la protection sociale. Les groupes se désagrègent et l'aide sociale ne se développe que lentement.

    D'après Rika Kayama, on prend conscience qu'il faut mieux traiter les vieilles personnes mais les gens ne savent pas vraiment comment s'y prendre. Beaucoup de jeunes japonais jugent les vieux "mignons".

    Takeshi Kitano signale que certains envoient leurs parents dans des cliniques, la clinique prescrit des médicaments. Plus elle en prescrit, plus elle gagne d'argent. Aucune autorité ne contrôle cela.

    Quand un vieil homme meurt pour des raisons inconnues, la famille ne s'émeut pas et dit avec un sourire aux lèvres "merci beaucoup" (enfin nous en sommes débarrassés)

    CATHERINETTE AU MASCULIN

    Les hommes non mariés n'hésitent pas à suivre des stages et s'exercer "à la drague" lors des "simulations de rencontre". Ceci leur permet de prendre confiance et de moins se négliger.

    A une époque, si on faisait de bonnes études, on trouvait un emploi intéressant et bien payé à vie. Un homme qui avait un bon revenu n'avait pas besoin de s'occuper de lui-même. Les femmes de son entourage s'occupaient de cela. Les hommes trouvaient à se marier sans problème s'ils se laissaient faire.

    L'avis de Rika Kayama est que ces hommes ont grandi avec l'échelles des valeurs ultra simplifiée de la société de concurrence mais ce sont des personnes psychologiquement immatures. Elles ont appris à apprendre mais ont peur que les autres puissent toucher le côté humain en eux et les blesser. Ces personnes sont incroyablement sensibles.

    Propos recueillis lors du documentaire "Japon - Tranches de vie" diffusé le 25 mai 2000 sur ARTE.
    Compulsés et envoyés par Christine Donato.