• Geisha

    Deux parties sur cette page:
    1ère partie: Extraits du roman " GEISHA " par Arthur Golden (édition JC Lattès).
    2ème partie: Interview de la célèbre Geisha : Madame NAKAMURA Kiharu
    Propos recueillis lors de l'émission " Métropolis " sur la 5ème chaîne le 12 juillet 1997.
    Remerciements à Christine Donato.

    1ère partie:

    INTRODUCTION :

    Sous la forme des mémoires d'une célèbre Geisha de Kyôto, ce roman traite de l'univers secret et étonnant des Geishas. Univers où les apparences font loi, où les femmes sont faites pour charmer et où l'amour doit être méprisé comme une illusion.
    L'héroïne est une petite fille de 9 ans, aux superbes yeux gris bleu, vendue par son père, un modeste pêcheur, à une maison de Geishas. Ainsi commence l'histoire de Sayuri dans le Japon des années trente.

    C'est à travers son regard d'enfant que l'on découvrira Gion, le quartier du plaisir à Kyôto (ou Heian-Kyo : capitale de la paix et de la tranquillité de 794 à 1195) avec ses temples resplendissants, ses théâtres raffinés. C'est à travers l'initiation de Sayuri que l'on apprendra l'art d'être Geisha, les rites de la danse et de la musique, les cérémonies de l'habillage, de la coiffure et du thé, comment il sied de servir le saké en dévoilant à peine son poignet, comment surtout il faut savoir attirer l'attention des hommes et déjouer la jalousie des rivales.

    Née sous le signe de l'eau, n'agissant jamais sans consulter son almanach (pour voir si le jour est faste ou néfaste), Chyo (Sayuri) franchira épreuve sur épreuve et survivra à la seconde guerre mondiale qui détruisit le quartier de Gion.


    1. LA VIE DANS " L'OKIYA " :

    L'âge " légal " pour prétendre au métier de Geisha est trois ans et 3 jours.
    C'est à cet âge qu'une petite fille pourra se voir confiée à une " Okiya ".
    Les Geishas vivent à plusieurs dans une maison que l'on appelle " Okiya ". Dans cette maison cohabitent les responsables de l'Okiya, les apprenties-geishas (ou " maikos ") et les geishas (ou " geikos "). L'héroïne loge dans l'Okiya Nitta de Gion.
    Toute geisha appartenant à une Okiya est recensée au Bureau d'Enregistrement de Gion.
    Dans l'Okiya , il existe une hiérarchie et certaines règles à respecter pour la vie en communauté. Citons par exemple une règle tacite selon laquelle les dernières Geishas arrivées rangent leurs chaussures tout en haut des casiers comme sur une échelle.
    Les Geishas sont encore plus superstitieuses que les pêcheurs. Une Geisha ne sortira pas le soir de l'Okiya sans que l'on ait fait jaillir des étincelles dans son dos pour lui porter chance. Ce rituel consiste à se placer derrière la Geisha en frottant une espèce de silex et une pierre rectangulaire, comme celles qu'utilisent les pêcheurs pour aiguiser leur couteaux.

    2. LA " PANOPLIE " DE LA GEISHA :

    a) Le kimono :

    Le kimono constitue l'élément essentiel de la garde robe. Les kimonos enveloppés dans des papiers de soie sont rangés dans un petit local. Dans ce local se trouvent des étagères sur lesquelles des boîtes en laque rouge sont empilées le long du mur jusqu'au plafond, formant 2 remparts entre lesquels on peut à peine passer. A chaque extrémité du local, il y a des bouches d'aération avec des lattes très fines. Sur chaque boîte des idéogrammes indiquent à qui appartient le kimono. Les Geishas redoutent les incendies en raison de la valeur de certains kimonos. Ainsi, les kimonos les plus précieux sont stockés dans un coffre, à la banque.
    Tous les kimonos sont de la même longueur, quelle que soit la femme qui les porte. Aussi doit-on replier le tissu sous l'obi - excepté pour les très grandes femmes -.
    Il est rare qu'une geisha prête les kimonos de sa collection personnelle.
    Citons au passage le célèbre créateur de kimonos de l'époque : Arashino. Le plus cher des kimonos coûtait largement plus que le revenu annuel d'un paysan.

    Sous le kimono, la geisha porte une combinaison :
    - " Ro " (en gaze de soie légère, pour l'été),
    - ou " Hitoe " (non doublée pour l'automne).

    Quand une geisha danse sur scène ou marche dans la rue, il lui arrive de soulever légèrement le bas de son kimono de la main gauche afin de se mouvoir plus facilement. Sa combinaison apparaît, dans la partie comprise entre sa cheville et le dessous de ses genoux. Ainsi, le motif et le tissu de la combinaison doivent-ils rappeler ceux du kimono. Le col de la combinaison dépasse, comme le col de chemise d'un homme qui porte un costume. Chaque jour, un col de soie est cousu sur la combinaison, le lendemain ce col est décousu puis lavé.

    b) Le " Obi " :

    Le " obi ", ceinture le kimono. C'est le noeud qui s'attache dans le dos. Un obi peut mesurer trois mètres cinquante de long, sur cinquante centimètres de large. Enroulé autour de la taille, il va du sternum au nombril. Divers rembourrages sont indispensables pour donner au noeud la forme adéquate.
    La différence entre une Geisha et une prostituée réside dans le port du " Obi ". Le obi chez une prostituée s'attache devant. Une femme qui doit ôter puis remettre son obi toute la soirée, ne peut prendre le temps de le rattacher chaque fois dans son dos.
    Les jeunes filles geishas s'habillent de façon plus sophistiqué que les femmes geishas : des couleurs plus vives, des tissus plus voyants, un obi plus long. Une femme mûre portera son obi noué dans le dos " en noeud de tambour " (en forme de boîte), que l'on réalise avec une petite longueur de tissu. Une fille de moins de vingt ans, portera un obi spectaculaire et une apprentie geisha un obi en forme de traîne ou " darari boi ", noué au niveau des omoplates et dont les extrémités traînent presque par terre.
    Quand une apprentie geisha marche dans la rue vous ne verrez que son obi, il couvre la majeure partie de son dos. C'est le poids du obi qui rend son port difficile.

    c) La coiffure :

    Le " Wareshinobu " : le chignon ou pêche fendue.
    La Geisha se fait coiffer une fois par semaine. Le coiffeur graisse les cheveux avec de l'huile de camélia pour leur donner un bel éclat puis cire la chevelure, ensuite en fait un gros chignon de la forme d'une pelote à épingles. Sur l'arrière cette pelote est fendue en deux parties égales. D'où le nom de pêche fendue, donné à cette coiffure. Pour faire ce chignon, on enroule les cheveux autour d'un morceau de tissu, sur l'arrière, à l'endroit où le chignon est fendu, on voit le tissu. Ce peut être n'importe quelle étoffe, de n'importe quelle couleur. Mais pour une maiko - du moins après une certaine étape dans sa vie (le mizuage) - c'est de la soie rouge. Quand une apprentie geisha est prête pour son mizuage, elle offre des " ekubo " (gâteau de riz signifiant fossette ayant un petit creux sur le dessus avec un minuscule cercle rouge au centre).
    La plupart des innocentes n'ont pas idée de la façon dont ces coiffures en " pêche fendue " sont provocantes ! Imaginez, vous marchez dans la rue derrière une jeune geisha et vous voyez cette pêche sur la tête avec cette fente rouge. Qu'est-ce-qui vous viendrait à l'esprit ? Si cela n'évoque rien, alors servez-vous de votre imagination !
    La geisha doit apprendre à dormir dans une position particulière pour ne pas se décoiffer. L'oreiller de la geisha, appelé " Takamakura " ressemble à un petit banc, avec un support rembourré avec de la balle de blé pour le cou. Ce n'est pas tant un oreiller qu'un support pour la nuque. C'est le seul moyen pour une Geisha de garder sa coiffure intacte en dormant.

    d) Le maquillage :
    Un bâtonnet de paulownia séché sert à dessiner les sourcils.
    Une crème jaune pâle (à base de déjections de rossignol) est utilisée comme crème pour le visage, cette décoction est sensée régénérer la peau.
    Un morceau de cire est malaxé, puis appliqué sur le visage, le cou et la poitrine.
    Des bâtonnets de pigments sont employés pour appliquer du rouge sur les joues.
    Le rouge pour les lèvres : à cette époque, la mode était de maquiller seulement la lèvre inférieure qui ainsi paraissait plus pulpeuse.
    La décoration de la nuque est très importante. Au Japon, un cou dénudé est très érotique. Si le mâle occidental fait une fixation sur les jambes des femmes, le Japonais regarde d'abord leur gorge et leur nuque, raison pour laquelle les geishas portent des kimonos décolletés dans le dos. On voit l'arête de leurs premières vertèbres dorsales. Une Japonaise qui découvre sa nuque, c'est un peu comme une parisienne en minijupe. Sur la nuque, on dessine un motif appelé " sansbon-ashi " - trois jambes -. On a l'impression de regarder la peau nue à travers les pointes effilées d'une clôture blanche.

    e) Les chaussures :
    La geisha chausse des " zori " ou des " okobo ".
    Les Zori sont des sandales en paille grossièrement tissés alors que ceux de la Geisha sont laqués.
    Les okobo sont des chaussures en bois, pointues, assez hautes, avec des lanières laquées.
    La geisha porte également des chaussettes blanches appelées " tabi ". Ces chaussettes se boutonnent sur le côté de la cheville pour en épouser parfaitement la forme.

    3. LE ROLE DE LA " GRANDE SŒUR " :

    Quand une fille est prête à devenir apprentie-Geisha, elle doit nouer une relation avec une Geisha plus expérimentée : la " Grande Sœur ". La Grande Sœur n'est pas forcément plus âgée que la future Geisha dont elle assure la formation. Il suffit qu'elle soit son aînée d'un jour.
    Lorsque 2 filles deviennent soeurs, elles procèdent à une cérémonie qui ressemble à celle d'un mariage.
    Après quoi, elles se considèrent comme parente et s'appellent " Grande Sœur " et " Petite Sœur ", comme dans une vraie famille.
    La Grande Sœur apprend à sa cadette comment réagir à une plaisanterie graveleuse : avec un subtil mélange de plaisir et d'embarras, lui dit quelle cire choisir comme base de maquillage. Mais son rôle va bien au-delà. Elle doit s'assurer que la novice saura attirer l'attention des gens qu'il lui serait utile de connaître. Ainsi, la grande sœur emmène la cadette dans Gion. Elle la présente aux maîtresses des maisons de thé qu'il lui serait bon de fréquenter, aux perruquiers, aux chefs des grands restaurants... Le soir, la Grande Sœur emmènera sa cadette dans les maisons de thé, pour la présenter à ses clients et autres protecteurs. L'uns d'entre eux finira probablement par devenir l'un de ses protecteurs, et par apprécier vivement sa compagnie. Si la Petite Sœur se conduit mal, la responsabilité retombe sur sa Grande Sœur. Une Geisha célèbre supportera tous ces aléas car lorsqu'une apprentie-geisha réussit, toute la communauté en profite. L'apprentie en bénéficie : elle peut payer ses dettes. Quant à la Grande Sœur, elle touche une part des honoraires de sa cadettes ainsi que les maîtresses des différentes maisons de thé que fréquente la jeune apprentie. Tout le quartier de Gion en profite car elle amène de nouveaux clients, qui font prospérer les affaires.
    La destinée de toute future Geisha est entre les mains de sa Grande Sœur. Une Geisha connue ne mettra pas sa réputation en péril en prenant une Petite Sœur qu'elle juge obtuse, ou susceptible de déplaire à ses protecteurs.

    4. LE " DANNA " :

    Il arrive qu'une Geisha cède à un homme qu'elle trouve séduisant. Mais elles restera discrète car sa réputation et son aisance financière sont en jeu.
    Le " Danna ", s'il veut s'engager dans une longue liaison, sera prêt à faire une proposition honnête. Alors la Geisha acceptera un tel arrangement avec joie. On ne gagne vraiment de l'argent qu'en ayant un Danna.
    Si la Geisha se lie à un Danna, elle le fera par l'intermédiaire d'une cérémonie. Ce lien dure 6 mois, parfois davantage.
    Le Danna réglera une partie des dettes de la Geisha (qui rembourse son Okiya pour les frais engendrés depuis son arrivée à l'Okiya). Il rembourse une partie de ses dépenses (son maquillage, ses leçons, voire ses frais médicaux, sa taxe d'enregistrement, ses repas). Il lui paiera des bijoux, des kimonos et sponsorisera pour elle des spectacles de danses. Outre son entretien, qui lui coûtera des sommes folles, le " Danna " continuera à payer la Geisha à son tarif horaire (comme le font ses autres clients) chaque fois qu'il passera du temps avec elle. Parfois, il paiera davantage que le tarif habituel, afin de montrer sa bonne volonté. Mais il a également droit à certains " privilèges ".
    Quand une geisha arrive dans une maison de thé, la maîtresse de la maison allume un bâtonnet d'encens qui met environ une heure à se consumer. On appelle cela une " o-hana " ou " fleur ". Les honoraires de la geisha sont calculés selon le nombre de bâtons d'encens consumés au moment du départ.
    Le prix d'une o-hana est fixé par le Bureau d'Enregistrement de Gion. En 1930, une ohana coûtait le prix de 2 bouteilles de saké. Les geishas les plus cotées pouvaient réclamer une o-hana toutes les 5 minutes. Il restera à la geisha à peine plus de la moitié de ce qu'elle gagne, le reste partant chez l'habilleur, à l'okiya, à la maison de thé...

    6. LES ARTS PRATIQUES PAR LA GEISHA
    :

    De tous les arts pratiqués par la Geisha, la danse est le plus révéré. La danse et la cérémonie du thé sont des traditions d'une richesse incomparable. Toutes les Geishas doivent étudier la danse, mais seules les plus douées et les plus belles d'entre elles, se verront encouragées à se spécialiser dans cet art, plutôt que dans celui du chant, du shamisen, du " Tsutsumi ", de " l'okawa " ou du " Taiko " (tambour).
    Le shamisen, on l'appelle parfois la guitare japonaise, mais en fait c'est bien plus petit qu'une guitare. Cet instrument a un manche en bois, assez étroit, avec trois chevilles à l'extrémité. Le corps du shamisen est un petit coffre en bois, avec de la peau de chat tendue sur le dessus, comme un tambour. On peut démonter un shamisen, puis le glisser dans un sac, ou dans une boîte. C'est d'ailleurs ainsi qu'on le transporte.
    Au début des années vingt, le " Japan Travel Bureau " organisa sa première campagne publicitaire à l'échelle mondiale. Sur l'affiche, on voyait la pagode du temple Toji (au Sud-Est de Tôkyô), un cerisier et une jolie apprentie Geisha. Celle-ci souriait timide et gracieuse. Elle avait des traits délicats. Cette apprentie Geisha était la grande sœur de l'héroïne de ce livre. On vit cette affiche dans toutes les grandes capitales, avec le slogan " Venez visiter le Pays du Soleil Levant ", en anglais, en allemand, en français et en russe. Cette maiko de 16 ans se vit sollicitée par tous les hommes d'Etats en visite au Japon. Elle servit à boire à Charlie Chaplin et Hemingway.
    Une Geisha est avant tout une artiste, capable de se produire en public. Elle sert du saké aux hommes, jamais elle ne va chercher à manger. Sa servante la soigne si bien qu'elle sait à peine s'habiller seule ou ranger sa chambre.