• Takao Furuno - Pionnier japonais du riz biologique



    Imaginez un monde ...
    Où une banque permet aux trois quarts de ses clients de se sortir de l'extrême pauvreté tout en étant parfaitement rentable...
    Où un hopital sogne gratuitement deux patients sur trois et fait des bénéfices...
    Où les agriculteurs sepassent de produits chimiques tout en augmentant leurs rendements...
    Où les emballages sont biodégradables et nourrissent la terre au lieu de la polluer...
    Où un entrepreneur de textile qui refuse les délocalisations parvient à doubler son chiffre d'affaires tout en payant ses employés deux fois le salaire minimum...
    Ce monde existe.
    Sylvain Darnil et Mathieu Le Roux l'ont exploré. Pendant quinze mois, ils ont parcouru la Planête à la recherche de ces entrepreneurs exceptionnels.



    Loin du fatalisme ambiant, ces hommes et ces femmes ont réussi à construire le monde dont ils rêvaient au lieu de subir celui qui existe. Ils relatent dans leur livre 80 hommes pour changer le Monde (livre de poche) 80 histoires dont une japonaise, celle de Takao Furuno, fondateur de Duck Rice, pionnier japonais du riz biologique.

    Défi : Transformer les pratiques agricoles pour préserver l'environnement, tout en garantissant des rendements élevés.
    Idées reçues : "Les rendements élevés impliquent obligatoirement des solutions contre-nature et l'utilistion de produits chimiques."
    Solution durable : Exploiter sans s'en priver les forces vives de la nature, à commencer par les canards.


    La hausse exponentielle de la population mondiale au cours des deux derniers siècles a constitué un incommensurable défi pour l'agriculture moderne. La révolution verte, qui a généralisé l'emploi massif d'engrais et de pesticides et la mécanisation, a permis dans cetains pays, de nourrir des populations en croissance. Mais rien ne garantit que les mêmes techniques permettront de nourrir neuf, voire dix milliards d'habitants à l'horizon 2020. D'autant que cette industrialisation de l'agriculture a eu un coût écologique massif. L'utilisation croissante de produits chimiques en monoculture intensive a entraîné l'épuisement des sols. A la hausse initiale des rendemenst, a succédé un lent appauvrissement des terrains que les produits chimiques ne parviennent en rien à combler. cette pratique agricole ultra-mécanisée est surtout intimement dépendante d'une ressource: le pétrole, dont la raréfaction est programmée à moyen terme. Comment faire tourner les machines ou fabriquer les engrais lorsque le pétrole sera hors de prix ?

    Une fois ces données prises en compte, il devient difficile de considérer l'agriculture biologique comme un elubie de hippies soucieux de leur santé. Alors que le japon ne faisait pas partie de notre itinéraire de départ, l'histoire de Takao Furuno nous a poussés à modifier nos plans pour recontrer cet agriculteur reconnu. depuisl'extrême sud de l'archipel Nippon, dans la ville de Fukuoka, il démontre que les méthodes biologiques peuvent être au rendez-vous du haut rendement. Et pas sur n'importe quelle culture, celle qui nourrit une bonne partie de la population mondiale : le riz.

    Takao Furuno est né en 1950 dans une région rurale du Japon et ses premiers souvenirs sont ceux d'une campagne environnante peuplée de toutes sortes d'oiseaux, de canards et d'animaux sauvages. Adolescent, il constate que l'agriculture intensive a modifié profondément les paysages de son enfance.

    Les oiseaux ont notament disparu, le printemps est devenu "silencieux" comme le décrit l'un des livres majeurs du mouvement écologique mondial de l'américaine Rachel Carson - Le Printemps silencieux, Plon, 1963 - La lecture de ce livre, qui dénonce les excès de l'agriculture intensive, déclenche sa décision. Il va transformer sa ferme en adoptant les méthodes de l'agriculture biologique dès 1978.
    Mais rapidement, il s'aperçoit des contrainets de son choix. le refus d'utiliser des produits chimiques l'oblige à passer des heures dans les rizières, le dos brisé, pour défricher les mauvaises herbes. Takao doit trouver un moyen de cultiver son riz sans produits chimiques, tout en préservant la santé et une certaine qualité de vie car il n'a nullement l'intention d'être esclave de ses convictions.

    En 1988, au hasard de ses lectures, il découvre dans un vieux livre d'histoire qu'il était auparavant courant de faire patauger des canards dans les rizières. Pour Takao Furuno, ce fait historique n'a rien d'une anecdote. Si la tradition populaire avait décidé de placer des canards dans les rizières, ce n'est pas sans raison. Il tente donc de comprendre pourquoi en essayant, sur ses propores terres, de combinet la culture du riz et lélevage de canards. Et les résultats le surprennent.
    Non seulement les canards se nourrissent de mauvaises herbes et des insctes parasites, laissant intacts les plants de riz qu'ils n'apprécient pas. Mais en remuant les fonds, ils oxygènent l'eau et leurs déjections sont évidemment d'excellents engrais qui nourrissent les sols.

    Les canards et le riz sont faits pour s'entendre. Après 10 années éreintantes de travail, Takao Furuno et sa femme ont enfin trouvé le moyen de se passer de produits chimiques, les canards vont travailler à leur place. Et les rendements s'améliorent considérablement. Les bonnes années, ils peuvent atteindre, chez Takao, 6470 kg de riz à l'hectare contre 3830 kg pour les fermes avoisinantes.
    L'absence des coûts d'achat de produits chimiques lui permet ainsi d'augmenter ses revenus, d'autant que la vente de canards peut, elle aussi, rapporter.

    Au Japon, la demande du marché en produits biologiques étant supérieure à l'offre disponible, le "duck rice" est vendu à un prix environ 20 à 30% plus élevé que le riz traditionnel. Mais dans les pays en voie de développement, comme au Vietnam, au Cambodge ou au Laos, les fermiers adoptant cette méthode combinée peuvent doubler leurs revenus. Ils améliorent la productivité de leurs rizières de 30% en moyenne par rapport aux méthodes traditionnelles et vendent la viande de leurs canards.

    Le "riz au canard" (marque créée par takao Furuno) est une vraie révolution pour Takao qui estime que 75000 fermes ont déjà décidé d'adopter ses méthodes à travers l'Asie. Alors qu'en moyenne, il faut pour produire un kg de riz l'équivalent d'une canette de 33 centilitres de pétrole en engrais, pesticide et combustible, cette méthode permet de s'en passer totalement. L'élevage de canards offre aux agriculteurs l'occasion d'utiliser les insectes comme une resource alimentaire au lieu de s'évertuer à les faire disparaître. Et comme les rendements sont équivalents aux méthodes intensives et bien supérieurs auxméthodes traditionnellles, tout le monde y gagne, sauf les vendeurs d'engrais.

    Pour autant, l'élevage de canards n'est pas de tout repos. l'habilité qu'a acquise Takao est le fruit de nombreux essais infructueux. Une des toutes premières années, par exemple, il a vu une maladie emporter l'ensemble de ses canards. Et avant d'installer un enclos électrifié, les chiens errants venaient régulièrement se régaler à l'oeil. Pour l'agriculteur, le risque économique est aussi bien moindre grâce à la diversification des sources de revenus : riz, canards et même poissons que Takao introduit avec succès dans les rizières. Lorsqu'une des cultures connait une mauvaise année ou subit une baisse des prix du marché, les autres permettent à l'agriculteur de garder l'esprit tranquille.

    Takao Furuno, dont la ferme ne fait que 3,2 hectares, est fier d'annoncer que son chiffre d'affaires atteint les 160000 euros par an. Au Japon, son modèle a été copié par plus de dix mille fermiers dans tout le pays. Aujourd'hui il sait parfaitementcombien de canards peuvent être introduits à l'hectare et quelle est la période optimale pour leur retrait afin de garantir les meilleurs revenus.
    Il démontre surtout qu'un savoir-faire expérimental permet à une exploitation de petite taille d'être productive et extrêmement rentable. Il évalue que l'ensemble des fermes utilisant ses méthodes produisent aujourd'hui 5% du riz consommé au japon.

    An ambassadeur reconnu de cette méthode, il essaye de convaincre la terre entière. Il voyage cinq mois par an pour participer à des conférences et des salons agricoles, emmenant avec lui femme et enfants. Son livre "Le Pouvoir du Canard" (The power of Duck - édition Tagari - 2000), est un best-seller en Asie, et il a eu l'occasion d'exposer les conclusions de ses expériences au forum de Davos.
    Pour populariser ses idées, Takao Furuno est prêt à tout; il a même publié un livre de recettes à base de canard pour tenter d'augmenter les ventes de cett viande délicieuse au japon.
    N(ayant nulle intention d'agrandir sa ferme, son rêve est aujourd'hui plutôt d'observer, dans toutes les rizières qu'il visite, une ribambelle de canards dodus patauger allègrement.
    Qui aurait pu oublier q'économique et écologique rimaient avec bucolique ?

    Note: ce texte est issu du livre:
    80 hommes pour changer le Monde
    Entreprendre pour la planète
    De Sylvain Darnil et Mathieu Le Roux
    Livre de poche - Editions Jean-Claude Lattès - 2005
    ISBN: 978-2-253-11825-1
    http://www.80hommes.com