• Les derniers des yakuza - Arte



    Ils se tatouent, ils amputent leurs doigts, ce sont les yakuza. Avec plus de 90000 membres, l’organisation criminelle, le mieux structurée du monde est depuis peu, mise sous haute surveillance. Alors la mafia japonaise est entrée dans la clandestinité, les derniers yakuza se retranchent derrière le paravent de leurs grands principes.



    Yakuza 1
    :



    L’expression « jingi » a plusieurs interprétations possibles au japon : le sens fort du second idéogramme que l’on prononce « gi » indique la fidélité au groupe, au chef, au parrain. Il exprime l’idée de notre loyauté envers lui. « jin » le 1er caractère a également plusieurs sens selon les gens et les situations. Il indique une situation favorable mais aussi un regroupement de personnes, pour nous, c’est le groupe. Jingi, c’est donc la fidélité au groupe.

    Yakuza 2:



    Les bushi, les guerriers, les samurai, ce sont avant tout des hommes qui se sacrifient pour leur famille, c’est là leur grande fièreté. Ils ne commettent jamais d’injustice. Nous les yakuza, nous avons la fièreté de nous sacrifier entièrement à notre parrain. Si par exemple notre parrain nous dit que blanc c’est noir, même si nous savons pertinemment que c’est blanc, nous dirons toujours avec lui que c’est noir.
    On bombe le torse, on doit être volontaire, mettre notre corps en avant. C’est cette fièreté, cette fidèlité qui nous anîment. C’est en tous cas, l’esprit qui règnent chez les supérieurs du groupe. On est tout à fait conscient de ces idées et on agit en fonction de cela.
    Pour les jeunes yakuza ce n’est pas pareil ; en général, ils n’ont pas encore compris cet état d’esprit, ils se contentent d’obéir et d’observer leurs aînés.

    Yakuza 1:

    C’est vrai, on peut dire que l’esprit traditionnel des yakuza continue toujours à exister. Pour la base c’est resté pareil, mais quand même, tout autour les choses ont bien changé. On ne peut plus vraiment vivre comme avant, on se heurte quand même à pas mal de problèmes.
    Par exemple ce qui a changé c’est le fait de devoir travailler, ou d’entrer dans le commerce. Les yakuza doivent davantage se mêler à la vie sociale.

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    La région d’Osaka abrite une grande concentration de yakuza et notamment le fief du clan le plus important : Yamaguchi-gumi. Une organisation évaluée à plus de 35000 hommes. Son quartier général se trouve ici dans cette villa.



    Cet homme n’est pas un yakuza, il est même devenu leur pire ennemi. Juzo Itami est cinéaste, le premier à s’être attaqué aux gangsters soit disant romantiques.



    Juzo Itami (cinéaste) :

    Avant tout, pour les Japonais , les yakuza sont des individus redoutables, ce sont des gens qui gagnent leur vie en terrorisant les autres. Ils sont surtout très forts pour persuader les gens qu’ils sont dangereux.

    Historiquement, la police et le pouvoir ont habilement profité de la clandestinité des yakuza. Comme les yakuza agissent dans la marge, on les a utilisé pour accomplir les basses besognes, le sale boulot que la police ne pouvait pas faire officiellement.

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    Les rapports entre police et yakuza ont toujours été ambigus. Utilisés par la police contre les mafias chinoises et coréennes, après la deuxième guerre mondiale; enrôlés comme briseurs de grève entre 1950 et 1960, les yakuza avaient acquis leur droit de citer. Il aura fallut attendre 1992, pour qu’une loi anti-gang ne leur permette plus d’avoir pignon sur rue.
    A défaut d’interdire l’existence et la constitution de clans, la loi anti-gang permet aujourd’hui de passer leur activité au crible.
    Les perquisitions se multiplient depuis 1992 au siège des principaux groupes.

    Yoshimura Hiroto (Chef de la police anti-gang) :



    Auparavant les yakuza avaient leur siège dans les quartiers des grandes villes, à Tokyo, à Osaka. Ils s’affichaient ouvertement comme « bureaux de yakuza ». Ils mettaient leurs enseignent à l’entrée des bureaux ; soit leur cigle, leur blason ou tout simplement leur nom.
    Avec la loi anti-gang, pour l’ensemble du japon, on a enregistré comme organisations mafieuses les célèbres Yamaguchi-gumi, Inakawa-kai et Sumiyoshi, etc… au total 22 organisations pour le moment (1994).
    Dans l’état actuel des choses, en imaginant un total de 100 groupes, plus de 80 tombent sous l’application de la loi anti-gang.

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    Le cinéaste Juzo Itami a payé cher le courage de dénoncer les activités des yakuza. Une semaine après la sortie de son film, 5 voyous l’ont agressé et lui ont balafré le visage.



    Juzo Itami :

    Je rentrais de mon travail, je venais de me garer devant chez moi, je m’apprêtais à sortir des affaires de la voiture. Au moment ou je me suis penché vers l’intérieur, plusieurs hommes m’ont attaqué par derrière ; ils m’ont complètement immobilisé. L’un d’eux m’a tailladé le visage et le cou ici et là (il montre sa joue gauche). Je pense que c’était avec un rasoir.



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    Le premier rôle du film d’Itami est interprèté par Nobuko Miyamoto, épouse et actrice d’Itami Jyûzo. Nobuko a toujours partagé les engagements de son mari.



    Miyamoto Nobuko :

    L’image des yakuza était véhiculée autrefois à travers ce qu’on appelle les « kôdan ». Des récits dramatiques de faits historiques racontés par des conteurs ou bien c’était les « naniwa-bushi » des histoires mélodramatiques et monocordes accompagnées de musique. Cela plaisait beaucoup au peuple et aux yakuza eux-mêmes d’ailleurs. C’est sans doute parce que les japonais sont fondamentalement attachés à la relation de parents à enfants, d’ « oyabun » à « kobun ».
    Autrefois, les yakuza restaient cantonnés dans le domaine des jeux ; c’était leur activité principale. Les joueurs, les amateurs étaient en fait leurs clients, donc la majorité de leurs revenus provenait des salles de jeux ouvertes au public. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. Les yakuza exercent leur activité dans l’économie, dans la politique. Ils s’occupent aussi du trafic de drogue ; leur image s’est bien dégradée.

    Juzo Itami
    :

    La spécificité culturelle que représente les yakuza et ses contradictions sont difficilement perceptibles par les japonais, sans doute parce qu’ils baignent dans cette même culture. En règle générale, les japonais ont toujours beaucoup de difficultés à appréhender ce qui touche à leur propre civilisation et davantage encore à en saisir les contradictions. Je pense que mon rôle est d’intervenir comme une sorte de miroir ; je renvois aux gens l’image de problèmes dont ils n’ont pas conscience.

    Miyamoto Nobuko :

    Je crois que tout le monde redoute les yakuza. Personne ne veut avoir à faire à eux. Mais la liberté d’expression existe. Quand nous créons quelque chose, nous devons absolument préserver cette liberté. Il faut nous imposer, nous n’avons pas le choix. Et cela même si nous en avons des souvenirs douloureux. Il faut se dire que ce qui s’est passé est de l’histoire ancienne. Personnellement je suis très heureuse que ce film ait pu être fait. Il y a aura peut-être un numéro 2 puis un numéro 3… et à ce moment là il faudra de nouveau faire face.

    Arte :

    En s’attaquant aux activités des yakuza, au racket, à la terreur, Itami Jyûzo dénonce également l’extrême-droite essentiellement financée par la mafia. Mais jusqu’à présent la loi anti-gang n’a pas bloqué les convois blindés et vociférants qui parcourent toujours les grandes villes japonaises.



    L’idée du film « Mimbo no onna » est venue de la lecture d’un livre édité par la police qui explique les 14 points de la loi anti-gang. Itami Jyûzo a choisi de les vulgariser dans son film. L’histoire raconte comment un hôtel épaulé par une avocate de choc aura raison des pressions exercées par la mafia. Scène par scène, le réalisateur donne les clés essentielles pour se protéger des yakuza et les battre sur le terrain des droits civils. Cette fois, la dramaturgie est inversée : les héros ne sont plus les yakuza présentés comme des bandits au grand cœur mais des simples citoyens qui défient des gangsters bien ordinaires.

    Yoshimura Hiroto (chef de la police anti-gang) :

    Il y a eut toute une époque ou le cinéma et la télévision ont idéalisé les groupes de yakuza. Mais pour nous c’était le monde de la fiction, celui des films, des romans. On représentait les yakuza comme des bandits au grand cœur, c’était ceux qui s’attaquaient aux forts pour défendre les faibles. C’était très loin de la réalité !
    Les yakuza ont repris cette image à leur compte, cela devenait même leur slogan, mais la réalité ne fait aucun doute. Il s’agit de groupes aux activités indésirables.

    Juzo Itami :

    Vous prenez deux personnes A et B. En occident, s’ils ont un problème entre eux, ils peuvent se référer à une loi, à un ordre, à un dieu, à des principes, à une idéologie. C'est-à-dire à des notions qui dépassent les deux personnes en conflit et en même temps des notions auxquelles ils adhèrent. On pourra ainsi trancher pour savoir qui a tort ou raison.
    Dans le cas du japon, on s’en remet à la bonne volonté des intéressés, on n’aime pas avoir recours à la loi. A ce moment là, on fait appel à une tierce personne, une personne qui a la confiance des deux intéressés. Selon le jugement de cet intermédiaire, les deux personnes vont soit se réconcilier, ou bien l’une d’elle versera de l’argent à l’autre. C’est comme ça que fonctionne la société japonaise.
    La personne qui est chargée de cette fonction supérieure peut être soit un politicien ou bien une personnalité connue dans sa région ou même encore à la limite un yakuza.

    Arte :

    Cette séquence a été tournée avant l’application de la loi anti-gang. Les sièges légaux des organisations mafieuses ressemblaient alors à de véritables forteresses officiellement déclarées « associations d’entre-aide ».

    Yakuza 2 :

    C’est vrai que les yakuza ont une assez mauvaise image dans la société. Tout d’abord, c’est parce que nous sommes organisés en groupes, un groupe qui a des idées fortes. On se déplace en groupe et lorsqu’on va dans des bars ou dans des snacks, on boit de l’alcool, on parle fort et on agit de façon un peu violente et c’est sans doute à cause de tout cela que notre image est un peu mauvaise dans la société.

    Yakuza 3 :



    Notre parrain est très attentif aux gens ordinaires ; il fait son possible pour améliorer les relations entre nous et les autres gens, par exemple, si quelqu’un a un problème avec les yakuza, il sait intervenir en faveur de celui qui n’est pas yakuza. Il cherche à se mettre de son côté. En cas de conflit, il essaye toujours de trouver une solution et généralement il donnera raison au non yakuza. C’est pour ça que les gens l’apprécient ; il est aimé par les gens. Les gens viennent vers lui. C’est quelque chose de naturel.

    Arte :

    Vous dites « naturel » ? Mais la philosophie de votre patron, c’est d’aider par exemple un particulier. S’il vient chercher un conseil, on ne lui demande pas d’argent en échange. Votre patron ne veut pas entendre parler d’argent, mais malgré tout, vous avez réussit à étendre votre influence. Vous croyez que c’est seulement grâce à sa personnalité ?

    Yakuza 3 :

    Ca, c’est difficile ! je ne pourrai pas vous répondre. Demandez à notre conseiller !

    Yakuza 1 (le conseiller) :

    C’est la générosité du parrain qui fait sa force. Une générosité qu’il a accumulée depuis sa jeunesse. Il a un charme qui attire les gens. C’est difficile à définir mais il a quelque chose qui attire les autres. Vous savez c’est partout pareil, si une personne n’a pas de charme, de charisme, personne ne viendra vers elle. Je crois que c’est un don.
    Moi je dis que c’est un monstre ; c’est vrai il a quelque chose de monstrueux.

    Arte
    :

    Mais un monstre ça fait peur comme image.

    Yakuza 1 :

    Non, je ne veux pas dire un monstre qui fait peur, ce n’est pas ça que je veux dire. Quand le parrain est en face d’un problème, il sait l’aborder la tête froide. Il ne s’emballe pas facilement pour un oui ou pour un non. Et ça, c’est depuis qu’il est tout jeune. Il a commencé à faire de la prison à l’age de 12 ans et au total, il a du faire 18 ans de prison.

    Arte
    (question au yakuza 4 – sourcils tatoués et auriculaire coupé) :

    Pourquoi vous êtes vous fait tatouer les sourcils ? C’est quand même assez rare ! C’est une coutume qui a un sens ?

    Yakuza 4 :





    Non ! C’est seulement une erreur de jeunesse. Quand j’étais jeune je trouvais ça sympa. Ca me donnait un genre. On dit « tonpin » chez nous.

    Arte :

    « tonpin » qu’est ce que ça veut dire ?

    Yakuza 4 :

    Ca veut dire une bêtise quoi ! C’est du dialecte de kyûshû.

    Arte :

    Qu’avez-vous comme projet pour l’année prochaine ?

    Yakuza 4 :

    J’aimerais qu’on ait davantage de jeunes recrues et surtout je vais faire de mon mieux pour le clan.

    Yakuza 1 :

    Je me bats toujours dans le monde yakuza pour imposer cette idée. Je leur dis en effet qu’il faut prouver sa fidélité par ses actes, plutôt que par la parole. Notre visage doit changer. On doit en fait avoir deux visages : l’un pour le travail, l’autre pour la vie de yakuza. Et c’est ça qui est difficile.

    Arte :

    Le Japon aux deux masques. Etrange consensus ou les gens les plus honnêtes peuvent parfois côtoyer des malfaiteurs.
    Les yakuza participent activement aux fêtes shintô qui marquent le début des saisons. Les marchands ambulants et les forains sont sous leur contrôle, mais cette fois, il n’est plus question de violence.
    Les « matsuri » rassemblent dans le même esprit, le cadre, l’étudiant, l’employé et le yakuza. Mais depuis peu, les tatouages s’y font de plus en plus discrets.



    Juzo Itami :

    On ne peut pas imaginer que les yakuza disparaîtront un jour ; on verra sans doute une évolution, un changement de cette forme de banditisme, mais ils existeront toujours sous une forme ou une autre. C’est un phénomène que l’on retrouve dans toutes les sociétés. Dans quelles proportions et dans quelle forme cela changera, je suis incapable de le dire, mais une société qui a engendré un tel système a forcément installé la succession de ce modèle, la relève en quelque sorte. C’est pour ça que je pense qu’il y aura toujours des yakuza.

    Arte
    :

    Les habitants de Tokyo ont maintenant à leur disposition un service d’information et de conseil afin de mieux se défendre contre les activités des yakuza. Entreprises et particuliers viennent y chercher le mode d’emploi de la loi anti-gang et même parfois obtenir une aide financière dans le cas de poursuites judiciaires.
    Ce service anti-gang est également ouvert aux yakuza repentis à la recherche d’un emploi honnête.

    Sakari Tokita (centre anti-gang) :



    Notre centre contre le banditisme est avant tout un centre d’information ouvert au public sur la loi anti-gang, ses mesures et ses applications. Nous donnons des conseils aux particuliers et à tous les gens qui sont victimes de pressions de la part des yakuza. C’est jusqu’à présent, l’essentiel de notre activité. Les gens viennent nous voir ; ils veulent savoir comment réagir, comment faire face aux pressions, aux menaces.
    Ils viennent en général s’informer sur le comportement à adopter lorsqu’ils reçoivent des visites des yakuza. Ce sont les cas les plus fréquents. Je pense qu’il faut y voir là, un signe positif de l’évolution des mentalités.

    Yoshimura Hiroto (chef de la police anti-gang) :

    Ca, c’est une bande dessinée publiée l’été dernier par notre service. Ca parle de ce qu’on appelle la « zone crise », cette zone floue dans laquelle agissent les yakuza.
    En fait, cette bande dessinée explique les principes et les détails de la loi anti-gang, ce qu’il faut faire ou ne pas faire.



    A partir d’exemples réels mis sous formes de dessins, nous informons les lecteurs dans quels cas précis, ils peuvent faire appel à la police pour intervenir contre les yakuza, et quand ils doivent impérativement s’adresser à la police.

    Arte :

    Instruction civique à grande échelle, descentes sur le terrain, la police japonaise est entrée en croisade. Il y va de l’image du japon à l’étranger, mais avant tout des fondements de la démocratie.

    Juzo Itami :

    Les japonais détestent la démocratie à mon avis. Quand les américains à la fin de la seconde guerre mondiale ont voulu installer un système démocratique au japon, ils ont commencé par plusieurs choses.
    Mais ils ont avant tout commencé par instaurer la séparation des pouvoirs. Dans la Constitution, l’Etat est l’organe législatif unique, mais en fait, hypocritement, la bureaucratie est derrière ce pouvoir législatif. C’est elle qui a construit le système qu’elle contrôle totalement. Donc lorsque l’on parle de démocratie au japon, son fondement même est erroné. Même si la forme est la même avec des élections et plusieurs partis politiques, tout cela reste une façade. Sur le fond, ce n’est pas une vraie démocratie.
    Par exemple, lorsque des politiciens font une mauvaise politique, il est possible de les changer lors d’une élection. Un vote peut les faire tomber.
    Mais dans le cas des bureaucrates, ceux qui dominent réellement, on ne peut pas les changer puisqu’ils ne sont pas élus. Quelque soit la politique qu’ils imposent, on ne peut pas les destituer. On n’a pas de recette, c’est sans solution !

    Les derniers des yakuza
    Réalisation : Guy Brousmiche
    Images d’archives : NHK – ABC – TBS
    Production : La Sept – Arte - 1994
    Durée: 30'

    Je me suis permis de retranscrire intégralement le documentaire original dans cet article car celui-ci a été diffusé sur Arte il y a 10 ans, et ne sera probablement plus rediffusé. Les photos présentées ici sont des captures d'écran du documentaire (enregistré par mes soins à l'époque).

    Complémént: le 21 décembre 1997, le cinéaste Itami Juzo se jette du haut d'un immeuble avant la sortie d'un tabloid prétendant une relation extra-conjugale, qu'il nie dans plusieurs notes laissées avant son "suicide"...
    http://www.pathfinder.com/Asiaweek/98/0109/feat4.html