• Kodokan



    Lorsque le Kodokan, littéralement " Maison où on étudie la Voie ", la fameuse Ecole de Judo fondée par le Maître Jigoro Kano Shihan, rechercha les origines lointaines de cet Art il fallut se rendre à l’évidence... Les deux principales écoles du Jujutsu (Art souple des saisies) qui étaient à l’origine de la synthèse imaginée par le Maître Kano étaient d’origine chinoise. Les documents utilisés pour aboutir à cette étrange constatation étaient d’une part le " Bujutsu Ryusoroku " ou " Chronique des fondateurs des différentes Ecoles Martiales " et d’autre part le " Densho Ryusoroku " ou " Archives manuscrites des enseignements secrets des diverses Ecoles Martiales ".

    La première Ecole de Jujutsu qui fut à l’origine du Judo était, en effet, le Kito-Ryu.<br>
    Or, ces archives secrètes attestaient que sa fondation avait été le fait de trois samurai : Fukuno Hichiroemon, Isogai Jirozaemon et Miura Yojiemon qui furent les disciples d’un dignitaire chinois du nom de Chen Yuan Pin (Chin Gen Pin aussi orthographié en japonais Kempin ou Gampin) arrivé au Japon en 1627 et qui aurait commencé son enseignement en 1658 par la transmission du fameux " Koshiki No Kata " (Forme Antique) issu de la fameuse Ecole de Shaolin.
    Ce Kata (littéralement " moule ", " empreinte "... forme codifiée servant de modèle) ainsi que ses principes d’applications se seraient ensuite transmis de Maître à Disciple jusqu'à Jigoro Kano qui ne laissait à personne d’autre le soin de le démontrer avec, pour assurer le rôle d’attaquant, soit Yoshioki Yamashita soit Hajime Isogai tous deux dixième Dan.

    La seconde Ecole de Jujutsu étudiée par le Maître Kano était le Yoshin-ryu. Or cette école avait été créée par un médecin de Nagasaki, Akiyama Shirobei Yoshitoki, surnommé Yoshin Miura, qui avait étudié les formes chinoises de l’Art Souple des Saisies pendant dix neuf années sous la direction du Maître Ha Ku Tei. Ce dernier prétendait détenir ses secrets du Temple Shaolin du Sud situé dans le Comté de Putian (Fukien).
    A son retour au Japon, en 1690, Akiyama Shirobei Yoshitoki, à la suite d’une méditation dans la neige décida de créer sa propre école. Ayant observé que les branches du saule ployaient sous la neige jusqu'à ce que celle-ci se détache, puis revenaient naturellement à leur place, il donna à cette école le nom de " Cœur (Shin) de Saule (Yo) " Il fut également le premier à utiliser historiquement le terme de " Jujutsu " ou " Technique de la souplesse " en traduisant simplement mot à mot les caractères chinois Jeou (bois flexible, assouplir) et Shu (Art secret, technique, habileté, moyen ingénieux).
    Il est à signaler que Kurosawa, le cinéaste japonais, s’inspira de la vie de Yoshin Miura pour créer le personnage de Barberousse, héros de l’un de ses principaux films.<br>
    De cette école ancienne, le Maître Kano conserva un très étrange Kata, désormais peu connu, le Itsutsu No Kata ou " Kata des Cinq Principes ".
    Suivant le fondateur du Judo il représentait le " Cœur " (Shin) du principe essentiel de sa pratique souple (Ju ou Yo)... donc " Yoshin ".
    Cette étrange forme comporte Cinq techniques liées à Cinq Principes :
    Principe de concentration d’Energie et d’action
    Principe de réaction et de non-résistance
    Principe cyclique du cercle et du tourbillon
    Principe de l’alternance du flux et du reflux pendulaire
    Principe de Vide et de l’inertie...
    La grande tradition chinoise y est donc omniprésente puisqu’on retrouve les principes essentiels de l’Engendrement des Cinq Mouvements (ou Cinq Agents), de la " Non-intervention " (Wuwei), du flux et du reflux du Taiji (Taisu), de la concentration de la matière (Yin) et de la dispersion de l’Energie ( Yang)... principes motivant les applications de la philosophie du Tao (Do).
    Le Gokyo (Cinq Principes Techniques) et le Itsutsu No Kata (Cinq Principes énergétiques) représentent donc les deux aspects fondamentaux du Judo originel du Maître Kano en liaison directe avec l’origine chinoise antique des Ecoles Kito-ruy et Yoshin-ryu. <br>Malheureusement il faut désormais admettre que le Gokyo originel, le Koshiki No Kata, le Itsutsu No Kata, qui forment respectivement le corps (Tai), la technique (Gi) et l’esprit (Shin) du Judo classique ne sont que fort peu pratiqués et étudiés dans le Judo sportif... ou ne servent qu’à des démonstrations.
    Lorsque le Maître Kano décida d’utiliser le terme Judo en remplacement du terme habituel de Jujutsu, il s’en expliqua en ces termes :
    " La raison qui m’a fait adopter le mot de Judo au lieu de Jujutsu (ou Jiu Jitsu) est que mon système n’est pas simplement un Jutsu ou " technique " mais un Do, c’est à dire une Voie, une doctrine. De plus mon choix était motivé par deux autres considérations :
    La première était que les écoles de Jujutsu utilisaient des pratiques dangereuses comme de projeter par des moyens assez incorrects ou d’utiliser des torsions violentes des membres. Ceci conduisait les spectateurs de ces techniques brutales à juger le Jujutsu comme dangereux et dommageable pour le corps.
    De plus il y avait des écoles insuffisamment disciplinées dont les élèves se rendaient odieux en public en projetant des passants inoffensifs ou en leur cherchant querelle. Il en résultait que le mot même de Jujutsu avait acquis un sens péjoratif pour bien des gens.
    Or, je désirais montrer que mon enseignement, contrairement à cette réputation détestable du Jujutsu, éliminait tout danger, toute utilisation agressive.
    L’autre raison était qu’à l’époque où j’ai commencé à diffuser mon Judo, le Jujutsu avait tellement décliné que certains professeurs de Jujutsu avaient perdu toute dignité, et , comme des forains, donnaient des exhibitions payantes de leur art en combattant tantôt leurs propres élèves tantôt des lutteurs.