• Baby Dolls, Baby Blues

    Voici des propos recueillis lors de l’émission « Baby Blues, Baby Dolls » diffusée en mars 2004 sur Arte. Un film réalisé par Cécile Denjean.
    De moins en moins d’enfants naissent au Japon.
    La grève des ventres fait la une des journaux et se traduit par un chiffre inquiétant. Le taux de fécondité, en chute libre, est un des plus bas de la planète.
    Donner la vie n’est plus une évidence mais un choix que beaucoup de femmes redoutent.

    Comment vivent ces femmes qui hésitent à enfanter ?
    Que se passe-t-il entre hommes et femmes pour que s’étiole le désir de se perpétuer ?

    J’ai eu envie de comprendre comment une société moderne et sophistiquée peut dire « à quoi bon transmettre la vie ? »
    A travers les témoignages de plusieurs femmes japonaises, nous allons essayer de comprendre cette situation.

    Satoko, 37 ans, mariée, Productrice d’émissions télévisées>, dit :
    C’est encore plus de responsabilités. Si j’avais un enfant, il faudrait que je l’élève. Je voudrais développer ma créativité mais cela implique de ne pas avoir d’enfant et je n’ai pas envie de perdre tout cela. Cette manière de parler peut paraître égoïste mais de plus en plus de femmes peuvent travailler et de plus en plus de femmes veulent s’occuper d’elles-mêmes plutôt que d’élever un enfant.

    Au Japon, l’égalité hommes- femmes date de 1986.
    Je n’ai pas le temps de penser à l’avenir, sauf celui le plus proche. Peut-être c’est une attitude passive par rapport au fait de faire demain un enfant.

    A Tôkyô, personne ne planifie sa vie en ayant une vision globale sur le long terme. Depuis que la crise a éclaté, on ne fait que penser au lendemain. On est dans un monde qui ne croit plus en l’avenir.

    Les hommes ont perdu confiance en eux, ils ont perdu cette force d’aller de l’avant. Le fait que les femmes ne veulent pas se marier et faire des enfants vient du fait que les hommes combatifs, avec qui elles voudraient se marier, se font de plus en plus rares .
    Pour Satoko, son chien est son enfant. « On est devenu identique avec mon mari ». Les couples « sexless » (sans relations sexuelles) constituent 15 % des couples mariés.

    Ryo, 37 ans, le mari de Satoko, indique :
    Je ne me demande pas si je privilégie le travail ou l’enfant. C’est l’affaire de la femme. Si on avait un enfant, je voudrais que ma femme s’en occupe à 100 %. Et comme en ce moment elle ne pourrait pas s’en occuper à 100 %, ça m’inquiète. Pour moi, un enfant ne changerait rien, mais pour ma femme, ce serait terrible. Elle se demande pourquoi elle s’est mariée.
    Le malaise de Satoko reflète peut-être le désarroi du Japon après 2 faillites historiques : la capitulation de 1945 et l’éclatement de la bulle économique et financière en 1990. Les hommes ont perdu 2 attributs de leur virilité d’autrefois : le pouvoir militaire et économique
    Makoto, 34 ans, Geisha à Gyon, pense :
    La vie de Geisha est plus importante que le mariage. Aucune de mes histoires d’amour n’est jamais arrivée au stade où je pense au mariage. Je mets la priorité sur ce que je veux faire donc ça finit toujours par une séparation à un moment donné.

    Pour ce qui est de l’amour, je crois que je suis égoïste. L’amour c’est ce que je place en dernière position. En regardant mes parents, je me suis dit que je ne voulais pas me marier. Ma mère aurait aimé faire d’autres choses, je me suis dit - moi je le ferai -.
    Les femmes d’aujourd’hui ont été gâtées par leurs parents et ont fait les mêmes études que les garçons de leur âge. Elles accèdent aux mêmes emplois que les hommes quand elles ont leur premier enfant. Quand le schéma traditionnel revient, la parité s’écroule.

    Yumi, 47 ans, divorcée, Biologiste, 2 enfants, témoigne :
    Ce qui m’est resté en travers de la gorge c’est que je pensais qu’une femme qui avait donné naissance à un bébé pouvait reprendre son travail après.

    Mais quand je suis retournée dans ma société, mon Chef de Service m’a dit qu’il n’y avait plus de bureau pour moi. Je lui ai répondu que je pourrais travailler sans bureau mais il m’a dit qu’il ne s’agissait pas de ça, qu’en fait je n’avais plus de travail.

    De toutes les choses que j’ai enduré dans ma vie, c’est peut-être ça qui m’a le plus révoltée.

    Pourquoi j’ai divorcé ? Mon mari ne prenait aucune part de responsabilités, il n’était pas en face de la réalité, il ne me voyait que dans mon rôle d’épouse. Il est devenu un obstacle dans ce que je faisais pour vivre bien et j’ai compris que je n’avais plus besoin de lui.

    Le Japon est une société féodale : on doit tous être ensemble, chacun doit faire en fonction des autres. La peur de se retrouvé isolé empêche les gens d’agir ».
    Junko, 41 ans, mère au foyer, un enfant, révèle :
    J’ai eu peur de vivre seule et j’ai choisi mon mari entre 50 candidats. En 2 ans : j’ai eu un mari et un enfant qui ont bouleversé ma vie.
    Je faisais un travail avec des heures supplémentaires fréquentes. Je rentrais vers 11 heures du soir. Préparer les repas, m’occuper de mon mari et d’un enfant étaient totalement infaisables, alors j’ai démissionné.
    Les six premiers mois après la naissance de ma fille, je n’avais personne à qui parler. Nous étions toujours en tête à tête et j’avais l’impression que nous vivions toutes les deux dans un autre monde.
    Je voulais que ma fille s’arrête de pleurer mais elle ne s’arrêtait pas. Je me disais : je n’ai qu’à la jeter par terre ou lui mettre une serviette dans la bouche. J’ai réellement eu envie de ce type de chose plusieurs fois. J’avais l’angoisse de tuer mon propre enfant. Je n’étais plus normale. Le soir, quand mon mari rentrait, je pensais : ouf, encore une journée de passée. Un jour, je me suis dit : je ne veux plus d’un enfant comme celui-là, je n’en n’ai plus besoin.
    Je n’ai pas réussi à en parler, j’ai tout gardé pour moi et c’était pire. Il faut être une bonne mère et si l’on sort de ce cadre prédéfini, on est éliminé en tant que mère. On nous colle cette image sur le dos. Voilà en gros l’ambiance générale, voilà pourquoi on a peur.
    Il n’existe pas d’endroit où je ne suis ni épouse, ni mère avec mon identité propre, pas d’activité évaluée dans laquelle je suis une valeur.
    Toshié, 85 ans, 7 enfants, rescapée des bombardements d’Okinawa en 1945 (à Okinawa, 1 personne sur 4 est décédée lors de la guerre), mentionne :
    J’ai été heureuse d’être mère. Après la guerre, la politique nataliste avait le slogan suivant : ‘‘multipliez-vous’’. On a fait plein d’enfants. Maintenant, il y a la baisse de la natalité. Les femmes ne veulent plus avoir d’enfants et si cela continue, ce sera la fin de notre société.
    C’est un inconvénient de la richesse. Maintenant, avec la prospérité, il y a une profusion des choses. Comme ils n’ont plus besoin de rien, les hommes ne prennent plus la vie à bras le corps. Les hommes manquent du désir de vivre.
    Atsuko, 18 ans, explique :
    Avant, les femmes écoutaient docilement les hommes. Maintenant, les femmes travaillent et il ne reste que les jeunes femmes pour jouer le rôle de la femme docile. Elles prennent l’argent, les cadeaux des hommes mais elles ne sont pas dupes. Les adultes les chérissent et les mettent à leurs pieds.
    Aili, 17 ans, souligne :
    Au Japon, les hommes marchent 3 pas devant la femme. A l’étranger, les hommes et les femmes marchent à égalité.
    Au Japon, les hommes se la jouent mais ils n’assurent pas un caramel.
    Momochi, 38 ans, Dessinatrice de mangas, signale :
    « Enjo kosai » caractérise le commerce fétichiste des adolescentes. Cela se traduit par une relation mutuelle d’assistance subventionnée.
    Les mangas et les feuilletons à la mode ne parlent que de cela. Les parents ne sont plus des personnes que les adolescents veulent respecter. Moi, j’ai peur qu’en me mariant, on me vole la vie amusante que j’ai ».
    Si la tendance démographique n’évolue pas, il n’y aura plus de Japonais dans 200 ans.
    Echec de la famille et du couple ? Les jeunes Japonaises exigent le confort d’une société qui n’a plus les moyens de garantir l’abondance par le rêve alors elles sont pragmatiques.
    Le fossé se creuse entre maris et femmes. Les hommes cherchent la compagnie des adolescentes. C’est rassurant pour eux et facile pour elles, moins affirmées et plus jeunes qu’eux.