• Un scrutin sous le signe du changement



    (cet article est un copier-coller pris sur le très bon site du "Courrier International," que je vous conseille aussi dans son édition papier. Je le reproduis in extenso)

    Pour la première fois, le paysage politique japonais ressemble à celui de la plupart des démocraties : il s'ouvre à la bipolarisation.

    “Ce qui différencie de manière fondamentale ces législatives du passé, c'est que le Parti démocrate (PD), la principale force de l'opposition, pourra cette fois créer une véritable bipolarisation politique du pays, en se positionnant comme un sérieux adversaire face au Parti libéral-démocrate (PLD)”, écrit le Mainichi Shimbun. Il est vrai qu'en absorbant le Parti libéral le PD est devenu une force plus crédible pour provoquer une alternance face au puissant PLD, au pouvoir depuis près d'un demi-siècle presque sans discontinuer. Toute la presse de l'archipel souligne cet aspect du vote du 9 novembre. ...

    “Depuis l'introduction [en 1994] de l'actuel système électoral, combinant scrutin proportionnel et scrutin majoritaire à un tour, les Japonais se rendent pour la troisième fois aux urnes. Et le pays est enfin parvenu à bâtir un cadre où l’alternance est une possibilité bien réelle”, explique le Nihon Keizai Shimbun, avant d'ajouter : “Ces législatives offrent l'occasion aux électeurs de choisir, au-delà des députés, leur Premier ministre, entre les deux leaders que sont Junichiro Koizumi [chef du gouvernement sortant] et Naoto Kan [le président du PD].”
    Le premier demeure populaire après deux ans et demi d'exercice, tandis que le second s’est rendu célèbre, lorsqu’il était ministre de la Santé, au milieu des années 90, par sa lutte contre la bureaucratie. Il avait alors réussi à dévoiler l'origine du scandale du sang contaminé – la collusion entre les bureaucrates et l'industrie pharmaceutique – malgré la résistance des hauts fonctionnaires de son ministère, qui prétendaient l'inexistence ou la disparition de nombreux documents sur la question. “M. Koizumi plaide pour la réforme avec un slogan : ‘Moins de public, plus de privé’ ; de son côté, M. Kan veut ‘sortir de la domination de la bureaucratie’. Les deux hommes partagent le même sentiment du danger qui guette le Japon”, estime de son côté l'Asahi Shimbun. “La question est de savoir lequel des deux est le plus efficace, à qui nous pouvons accorder notre confiance.” Tout en admettant les efforts du Premier ministre sortant en matière de réformes, le quotidien progressiste estime que M. Koizumi a finalement cédé à la pression des clans conservateurs de sa formation.

    --- La question des retraites
    Autre nouveauté de ce scrutin, l’organisation de débats autour des programmes présentés par chacune des formations. En effet, chaque parti a diffusé un texte qui “explique de manière simple ses ambitions et la manière dont il les mettra en œuvre durant les quatre années de la législature. C'est une grande nouveauté”, souligne le Nihon Keizai Shimbun. “Ce scrutin est au fond le choix d'un programme, note pour sa part le Yomiuri Shimbun. Comme ce sont les partis eux-mêmes qui ont élaboré ces projets, et pas les bureaucrates, poursuit le journal conservateur, cela pourrait enfin aboutir à une suprématie des politiciens sur les fonctionnaires. Si ce système prend racine, il pourrait profondément modifier le mode de fonctionnement des partis politiques du Japon.”

    Par ailleurs, “la question des retraites est au cœur des débats”, affirme le Nihon Keizai Shimbun. Tandis que le Mainichi Shimbun observe que “90 % des électeurs s'inquiètent pour l'avenir du système des retraites, comme l'a révélé un sondage réalisé à la mi-octobre. Grâce aux programmes des partis, nous pouvons désormais entrevoir cet avenir”, poursuit le quotidien centriste, mais il se dit déçu des généralités énoncées dans le programme du PLD, qui se contente de promettre l’élaboration d’un projet de réforme avant la fin de l'année. Quant au PD, il propose la refonte totale du système actuel, la création d'une retraite minimum pour tous et un financement entièrement basé sur l'impôt, non plus sur la cotisation.

    Dernier aspect inédit de cette campagne, la prise de position d'une partie des milieux économiques en faveur de l'alternance. “‘Bâtissons un pays où l'alternance est possible !’ Les lecteurs de trois grands quotidiens (Asahi Shimbun, Yomiuri Shimbun et Nihon Keizai Shimbun) ont découvert le 16 octobre une publicité politique avec ce slogan”, rapporte AERA. Selon l'hebdomadaire, c'est un groupe de personnalités de l'économie et de la culture, comme Kazuo Inamori, président d'honneur de la société Kyocera, ou le philosophe Takashi Umehara, qui ont fait paraître l'annonce. Interrogé par le magazine, le premier explique sa déception à l'égard de M. Koizumi et reconnaît avoir joué en coulisses en faveur de la fusion du PD et du Parti libéral, afin de rendre l'alternance possible.

    Si les derniers sondages prédisent une victoire du PLD malgré une nette progression du PD, l'issue dépendra largement de la mobilisation des électeurs flottants, dits “sans parti”, qui constituent près de 50 % de l’électorat, le reste étant divisé en deux : 25 % pour le PLD et le dernier quart pour les partis de l'opposition. En règle générale, plus le taux de participation est élevé, plus la chance de l'opposition est grande.

    A retrouver sur : le site du Courrier International