• La Banque du Japon



    La Banque du Japon "priée" de créer de l'inflation

    Le nouveau gouverneur de l'institution centrale, Toshihiko Fukui, devrait travailler en coopération avec le gouvernement.

    Le costume de banquier central n'est jamais facile à endosser, particulièrement en ces temps guerriers. Toshihiko Fukui assume ce sacerdoce au Japon depuis le 20 mars. Et sa tâche est sans doute la plus complexe qu'ait eu à affronter un membre de la confrérie des banquiers centraux dans l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il hérite d'une délicate "trappe à liquidité" – selon Paul Krugman, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) – zone où les taux d'intérêt sont trop faibles pour que la politique monétaire soit efficace.

    Le prédécesseur de M. Fukui, Masaru Hayami, lui transmet ainsi une Banque du Japon aux marges de manœuvre très réduites : les taux ont été portés à zéro en février 1999 et la masse monétaire représente 17 % du produit intérieur brut (PIB), soit le double de 1997. La Banque a même entrepris d'acheter 16 milliards d'euros d'actions à partir de la fin 2002 pour soutenir l'indice Nikkei. Mais Masaru Hayami restera pourtant dans les mémoires par son refus de pousser l'hétérodoxie jusqu'à envisager de créer 2 % ou 3 % d'inflation pour enrayer la déflation, considérant ce pari comme "insensé". Il lui est, en outre, reproché d'avoir été plus réactif que proactif et d'avoir échoué à produire de la confiance depuis sa nomination en mars 1998.

    A sa décharge, en tant que premier gouverneur indépendant, il a dû avancer en marchant, sans pouvoir s'inspirer d'un prédécesseur. A l'époque où le modèle nippon tournait à plein régime, jusque dans les années 1980, la Banque centrale était, en fait, essentiellement le bras monétaire du ministère des finances.

    Toshihiko Fukui sera donc jugé à sa capacité à enrayer rapidement la déflation. Même s'il est abusif de parler de spirale, les prix à la consommation ont baissé en février pour le quarante-deuxième mois. C'est également la baisse des prix des actifs que devra juguler le nouveau banquier central. Le Nikkei, passé sous les 8 000 points début mars, est revenu à son niveau de 1983 et, sur les 1 500 entreprises cotées, une cinquantaine seulement affichent un cours supérieur à celui de 1990. Le prix des terrains a même reculé pour la quatorzième année, si l'on excepte une courte parenthèse en 1997. Dans un rapport récent, le diagnostic du Japan Center for Economic Research est qu'un achat massif d'actions ainsi que de biens immobiliers par la Banque du Japon est nécessaire pour venir à bout de la déflation.

    Mais c'est la perspective d'une cible d'inflation qui est aujourd'hui au centre de tous les débats. Toshihiko Fukui s'est, très prudemment, démarqué de son prédécesseur en n'excluant pas totalement, par principe, une telle politique. Il est également moins préoccupé que Masaru Hayami par la baisse du yen qui résulterait d'une politique monétaire plus accommodante encore. Un autre nouveau membre du comité de politique monétaire, Kazumasa Iwata, est, lui, franchement favorable au principe d'une cible d'inflation. Il pourrait relayer au sein de la Banque les attentes du ministre de l'économie, Heizo Takenaka, dont il est proche. Cette optique n'est pas celle des milieux patronaux et notamment de Hiroshi Okuda, président de la principale fédération patronale, le Keidanren, qui doute qu'un objectif de 2 % ou 3 % d'inflation puisse concrètement être atteint. Joseph Stiglitz, Prix Nobel d'économie, rappelait récemment, à propos du cas du Japon, qu'aucune économie ayant connu une inflation faible n'avait dérivé vers une inflation galopante.

    Les interrogations sur la cible d'inflation ont pour toile de fond les nouveaux rapports entre le gouvernement et la Banque centrale. Le premier ministre, Junichiro Koizumi, a bien pris soin, dans ses déclarations récentes, de ne pas mettre en doute l'indépendance de la Banque du Japon. Pourtant la désignation de Toshihiko Fukui marque la volonté de confier la fonction à une personnalité mieux prédisposée à une forme de coopération constructive. Son audition devant la commission des finances de l'Assemblée japonaise laisse entrevoir une nouvelle ère. Le gouverneur a déclaré qu'il aurait le souci de "gagner la confiance du public par la mise en œuvre de nouvelles politiques" et non pas de rester "passif pour protéger l'indépendance de la Banque du Japon". Cette indépendance n'est d'ailleurs pas inscrite dans le marbre. Régulièrement, le Parti libéral démocrate (PLD) au pouvoir le rappelle par des menaces plus ou moins directes. Hideyuki Aizawa, à la tête de la commission antidéflation du PLD, a ainsi déposé un amendement pour permettre à l'Assemblée de démettre le gouverneur au cours de son mandat de cinq ans.

    Toshihiko Fukui, pour preuve de sa bonne composition, a affirmé qu'il ne demanderait pas au gouvernement d'entreprendre une réforme structurelle sans s'interroger tout d'abord sur ce que la Banque est en mesure de faire. Cette recherche de synergies est cruciale pour un gouvernement japonais confronté à une chute de ses recettes fiscales jusqu'au niveau le plus bas depuis quinze ans. La Banque du Japon est d'ailleurs déjà sollicitée par le ministère des finances pour porter ses achats d'obligations d'Etat à 2 000 milliards de yens (16 milliards d'euros) par mois.

    Toshihiko Fukui réunira son comité de politique monétaire pour la première fois le 7 avril. Il est condamné, comme le réclame le PLD, à devenir le "Greenspan du Japon". Un long conflit en Irak, qui prolongerait les incertitudes sur l'économie mondiale, rendrait cette transformation en banquier proactif plus hypothétique encore.

    Patrice Geoffron professeur à l'université Paris-Dauphine (patrice.geoffron@dauphine.fr)
    ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 25.03.03