• La guerre en Irak préoccupe les Japonais



    L'alliance entre Tokyo et Washington, pierre angulaire de la diplomatie nippone depuis 1945, résiste mal à la politique "unilatéraliste" de George W. Bush, selon l'"Asahi Shimbun".
    Bien que Tokyo ait conservé un profil bas depuis le début de la crise irakienne avant de finalement s'aligner sur Washington, huit Japonais sur dix s'opposent à une intervention militaire américaine. Presque chaque jour, dans ses éditoriaux et ses commentaires, le quotidien libéral Asahi Shimbun (tout comme d'autres, tels que le Tokyo Shimbun et le Mainichi) se fait l'écho de l'hostilité à la guerre de l'opinion.

    Celle-ci se fait entendre à travers les sondages, mais le gouvernement Koizumi, dans son suivisme aveugle à l'égard de l'administration Bush, n'en tient aucun compte.
    Le grand quotidien met en garde contre le caractère de "guerre de religion" qu'est en train de prendre l'attaque contre l'Irak : "Les notions de Bien et de Mal brandies par George Bush relèvent d'un fondamentalisme chrétien que confirment ses citations répétées de la Bible. Il a comparé la guerre en Afghanistan aux croisades et, aujourd'hui, il parle de la démocratisation des pays du Proche-Orient en ignorant la culture et les traditions du monde arabe. (...) Le XXIe siècle ne doit pas commencer par une guerre de religion", exhorte l'Asahi.

    A la veille du déclenchement de l'offensive américano-britannique, le journal écrivait que, en rejetant la responsabilité de la paralysie des Nations unies sur la France, George W. Bush entendait masquer un "échec diplomatique", et titrait "Les Etats-Unis en proie à la folie isolationniste".

    "La menace posée par l'Irak est-elle si imminente qu'elle ne puisse être jugulée que par un recours à la guerre ? Les efforts des inspecteurs de l'ONU sont-ils à ce point inefficaces ? Est-ce que l'argument américain selon lequel la guerre libérera le peuple irakien de l'oppression est suffisant pour tuer de nombreux Irakiens ?, questionnait le quotidien nippon. A l'ère de l'internationalisme, l'isolationnisme prend le caractère d'un unilatéralisme de la part des Etats-Unis, qui font prévaloir leurs intérêts nationaux sur tous les autres."

    La lutte contre le terrorisme a obtenu, depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington, "l'entier soutien du reste du monde. Mais l'administration Bush a négligé l'importance de la coopération internationale", poursuit l'Asahi. Cependant, "son manque de respect à l'égard des Nations unies et son intention de faire la guerre en dépit des oppositions sont une manifestation de cet unilatéralisme". "Or, ajoute le quotidien, on peut se demander si la fracture avec l'ONU d'une part et la communauté internationale de l'autre est, à terme, dans l'intérêt des Etats-Unis ?".

    "BOÎTE DE PANDORE"

    "La guerre de George Bush en Irak ouvrira une boîte de Pandore et sera un précédent pour d'autres parties du monde." Le président américain "doit accepter la réalité que les Etats-Unis ont l'obligation de coexister avec le reste de la communauté internationale", conclut l'Asahi.

    Dans un précédent éditorial intitulé "Le Japon doit-il arborer l'étendard de la guerre ?", le quotidien critiquait l'attentisme du gouvernement Koizumi, qui n'a toujours pas expliqué clairement à la population son suivisme : "La logique de M. Koizumi, peut-on présumer, est que le Japon a la responsabilité de serrer les rangs derrière son allié américain." Mais "la grande inquiétude d'une partie de la communauté internationale – y compris les Japonais – est que l'administration Bush, avec sa doctrine de guerre préventive, ouvre une irréparable brèche au sein de la communauté internationale. Or M. Koizumi n'a pas dit un mot sur ce sujet. Il n'a pas le droit d'ignorer ainsi l'opinion".

    "Rien ne garantit que le tandem nippo-américain sera toujours conforme aux intérêts nationaux", concluait le grand quotidien nippon. Il s'interrogeait par ailleurs sur la solidité de l'alliance avec les Etats-Unis, si elle ne peut résister à une divergence de vues entre Tokyo et Washington.

    Philippe Pons
    LE MONDE | 26.03.03