• Irak : le Japon s'aligne



    Dans le débat sur la guerre en Irak, avec en arrière-fond la crise coréenne, un membre du G 8 a brillé par un attentisme embarrassé qui se traduit aujourd'hui par un suivisme mal assumé des Etats-Unis : le Japon. La valse-hésitation du gouvernement Koizumi au cours de ces dernières semaines est d'autant plus marquée qu'un "petit pays" voisin, la Corée du Sud, a adopté une attitude courageuse. Comme l'Archipel, ce pays dépend des Etats-Unis pour sa sécurité, mais, contrairement au premier ministre japonais, son nouveau président, Roh Moo-hyun, a fait entendre sa voix et, sans remettre en cause l'alliance américaine, il s'est démarqué de la politique guerrière de George Bush en ce qui concerne en tout cas la péninsule.
    Le Japon a attendu de voir dans quel sens allait tourner le vent pour prendre position sur la guerre en Irak. Prêt à soutenir une attaque même en l'absence d'une nouvelle résolution du Conseil de sécurité, Junichiro Koizumi est cependant resté longtemps dans l'expectative. Pour annoncer aujourd'hui, juste après la déclaration d'entrée en guerre de George W. Bush, qu'il juge l'usage de la force justifié par les résolutions antérieures des Nations unies.

    Par ce suivisme frileux, le premier ministre tourne le dos à son opinion publique. Les sondages indiquent que huit Japonais sur dix sont hostiles à une intervention militaire en Irak sans l'aval du Conseil de sécurité. Des résolutions ont été votées par les collectivités locales, des pétitions circulent sur le Net, plusieurs milliers de personnes manifestent régulièrement à Tokyo, une partie de la coalition gouvernementale est opposée au recours à la force, et l'opposition, ragaillardie par la position française, commence à se faire entendre. Certes, l'Archipel n'est pas secoué par les énormes manifestations des années 1960 contre la guerre au Vietnam. Mais "le gouvernement et l'opinion sont en évident désaccord", écrit le Mainichi.

    La volonté de Tokyo de préserver l'alliance américaine, pilier de sa sécurité depuis la défaite de 1945, est légitime, mais le mutisme du gouvernement à expliquer sa position l'est moins. Placés sous la menace des missiles nord-coréens que leur système de défense n'est pas à même de contrer sans l'aide des Américains, les dirigeants japonais font valoir que Tokyo ne peut se démarquer d'un iota de Washington sur l'Irak sans risquer de compromettre la protection américaine contre la Corée du Nord.

    PUSILLANIMITÉ FLAGRANTE

    Argument fallacieux, fait valoir Asahi Shimbun, car, aux termes du traité de sécurité américano-nippon, les Etats-Unis sont tenus de protéger le Japon en cas d'attaque extérieure, et ils le feraient d'autant plus que leurs bases militaires à Okinawa seraient directement menacées. Enfin, si le danger représenté par la Corée du Nord est réel, le régime de Pyongyang ne cesse de répéter qu'il est prêt à négocier en échange de garanties pour sa survie.

    Le proaméricain premier ministre Koizumi, qui, en dépit des piètres résultats au cours de ses deux années au pouvoir, ne doit d'avoir conservé ses fonctions qu'à une popularité aujourd'hui fléchissante, a beau chercher à apparaître comme un homme d'Etat soucieux des intérêts "supérieurs" de la nation – "Il y a des moments où on peut commettre une erreur en suivant l'opinion publique" – sa pusillanimité n'en est pas moins flagrante. Même les proaméricains critiquent le cafouillage du gouvernement dans la crise irakienne, illustré la semaine dernière par la désopilante déclaration de la ministre des affaires étrangères, Mme Yoriko Kawaguchi : "Dans l'état actuel, se taire est dans l'intérêt national." Aujourd'hui, Tokyo a choisi son camp sans pour autant assumer clairement ce choix. "Si le traité de sécurité avec les Etats-Unis paralyse le Japon au point de l'empêcher de s'exprimer, cette alliance n'est pas saine", écrit Asahi Shimbun.

    Une fois de plus, le Japon se réfugie dans un suivisme qui le prive du rôle auquel pourrait prétendre la seconde économie du monde. En Irak, il se voit en rebâtisseur. La "diplomatie du chèque", qui fut la sienne lors de la guerre du Golfe (9 milliards de dollars), sera cette fois plus onéreuse. Retirera-t-il de sa position de "mercenaire" économique une reconnaissance des Etats-Unis ? Le dédain avec lequel Washington a traité sa contribution financière à la guerre du Golfe incite à en douter.

    Plus gravement, le Japon – qui, par sa Constitution, a renoncé à la force armée et a fait du respect du légalisme international représenté par les Nations unies le pilier de sa diplomatie – se laisse aujourd'hui entraîner dans une logique de guerre préventive décidée unilatéralement par les Etats-Unis, et qui va à l'encontre des canons onusiens dont il se réclame depuis cinquante ans.

    Tokyo est enlisé dans ce que l'Asahi Shimbun nomme "la malheureuse réalité d'une incompréhension grandissante entre les Etats-Unis et le reste du monde en matière de lutte contre le terrorisme". "La guerre contre l'Irak est injustifiée", conclut le quotidien, qui n'est pas le seul à exprimer cette opinion. Mais Tokyo ne dit mot.

    Philippe Pons
    ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 20.03.03