• Autour du sabre japonais : quelques aspects méconnus et anecdotiques



    Des sabres à bouton poussoir


    Voici un tanto (poignard, dague), forgé à la main et signé, en tous points conforme à ce que l'on attend d'un tel objet : voyez sur le gros plan en bas à droite, les beaux effets de matière dus au travail de pliage effectué par le forgeron sur l'acier brut, et le hamon (ligne de trempe).

    L'originalité est dans la monture : elle comporte un dispositif qui verrouille la poignée au fourreau, que l'on débloque en pressant un petit bouton situé sur le dessus de la poignée. Et là, ô surprise, la petite tsuba (garde) s'avère n'être qu'une excroissance de l'embouchure du fourreau. Elle abrite une défonce où la poignée vient s'encastrer. (En fait un tanto n'a pas besoin de tsuba.)

    Ce dispositif n'est pas une pièce unique. On en trouve souvent sur les montures des sabres militaires du vingtième siècle. En voici un exemple :


    La monture de ce tanto est donc vraissemblablement de la première moitié du vingtième siècle, ce qui ne préjuge en rien de l'âge de la lame.

    Plus courant, sur le coté du fourreau se trouve une rainure ou vient se loger un kogatana : un petit couteau utilitaire, une sorte de canif. Celui-ci est signé également (comme peuvent l'être toutes les pièces métalliques d'une monture). Les kozuka (manches de kogatana) sont parfois sculptés ; il y a des collectionneurs de ce genre d'objet. Dans la rainure on remarque les fibres du bois, masquées sur le reste du fourreau par le motif du laquage rouge et noir.

    Sous le tsukamaki (croisillon de cordelettes) qui couvre les poignées des sabres et de certains tanto, il y a une matière blanche et granuleuse (bien visible sur la photographie ci-dessus. En quoi est-ce fait ? C'est de la peau de raie (le poisson - ne faites pas de mauvais esprit !), fixée par de la colle de riz. La colle de riz sert également à tenir assemblées les deux moitiés des fourreaux traditionnels. Comme cette colle n'est pas trop forte, on peut séparer les demi-fourreaux pour nettoyer l'intérieur, puis les réassembler de la même manière.

    Des "poignards" à un coup


    Cette monture de tanto dissimule un pistolet un coup, assez perfectionné puisqu'il comporte un chien et une détente. En effet, il fut un temps où pour actionner une arme à feu il fallait... avoir du feu ! Sans l'invention des mécanismes à ressort et silex, monter une telle arme dans un faux poignard n'aurait pas servi à grand chose. Bien que les portugais aient introduit de tels mécanismes au Japon dès le quinzième siècle, les "tanto-pistolets" sont des armes du dix-neuvième siècle. Ils étaient sans doute comparables aux petits pistolets Derringer que l'on voit parfois dans la main des héroïnes de western : plus dissuasifs que réellement efficaces.

    Brise-casque ou Main-gauche ?


    Un hachiwara n'a pas de lame, mais une tige de section carrée, forgée en pointe légèrement courbée et dotée d'un petit crochet à la base. On les appelle parfois brise-épée ou brise-casque, mais ces appellations sont fantaisistes (surtout la seconde !). L'usage réelle des hachiwara n'est pas connu avec certitude ; voici quelques hypothèses :

    - Une arme destinée à parer avec la main gauche tandis qu'on sabre avec la droite. (En Europe, les petites dagues destinées au même usage s'appelaient des mains-gauches).
    - Une forme plus courte, mais aussi plus contondante, de jittei. Le jittei était une arme constituée d'une barre d'une soixantaine de centimètres et d'un crochet plus important à la base (une sorte de matraque). Ce serait alors un objet policier. Certains hachiwara sont gravés de prières bouddhiques ; ils pourraient avoir été en usage chez les moines.
    - Un objet mi-arme, mi-outil, qui aurait fait office aussi bien de poignard que de pied-de-biche.<p>
    On ne sait pas non plus à quand remontent les premiers hachiwara. En effet, si des sabres de sept cents ans sont parvenus jusqu'à nous, c'est que leurs détenteurs successifs en ont pris le plus grand soin, de siècle en siècle. Les hachiwara, de facture plus grossière, n'exercent pas la même fascination : à quoi bon conserver ce bout de ferraille ? Les plus anciens encore en circulation dateraient, au plus, de la période Tokugawa.

    Des dagues civiles


    Le port du sabre est interdit au Japon depuis 1876. Une mesure parmi d'autres pour consolider le pouvoir impérial fraîchement restauré, et en finir avec les samurai. Le Japon se tourne vers l'occident, ses machines, ses armes fades. Le sabre n'est plus qu'un symbole d'autorité martiale. L'armée japonaise équipe ses officiers de sabres usinés mécaniquement, assez proches du vulgaire couteau de cuisine (à part la longueur). Ceux qui le peuvent, par aisance financière ou par héritage, préfèrent emporter une authentique lame forgée, dans la monture réglementaire.

    A partir de 1883, on recense des dagues fabriquées en série pour la navale : dague de cadet, dague de directeur des prisons, dague des fanfares. Puis l'utilisation des dagues comme signe distinctif s'étend à des fonctions civiles : dague de chef des services contre l'incendie, dague des services de la Croix-Rouge, dague du ministère de l'agriculture, dague des services forestiers (c'est celle qui est en photo, du moins l'une des variantes), dague de la police, dague des... chemins de fer. A partir de 1911, des dagues sont produites pour les officiels japonais et non-japonais des territoires conquis : dague du gouvernement général de Formose (actuelle Taïwan), dague des îles des mers du sud, puis en 1932, dague du gouvernement de Manchukuo (Mandchourie, Chine). On trouve encore : dague de la maison impériale, dague de la garde impériale, et des dagues honorifiques remises en récompense à des individus méritant. Comme les sabres de cette époque, la plupart de ces dagues ont des lames usinées, sans grande valeur. Mais il arrive que l'on trouve à la place, dans la monture standard, un véritable tanto artisanal.

    Le 2 septembre 1945, le Japon capitule sans condition. Pour les américains l'archipel est à présent une position stratégique indispensable dans la guerre qui vient de commencer : la guerre froide. Echaudés par les actes désespérés de certains militaires japonais, par les kamikaze et autres opérations suicidaires, et peut-être aussi parce qu'ils ont à l'esprit l'épine qu'a été la résistance européenne pour l'armée allemande, les américains craignent que l'occupation du Japon soit très difficile et violente. Il s'en faut de peu qu'ils ne fassent détruire sans distinction même les lames anciennes. Les sabres militaires et les dagues institutionnelles disparaissent définitivement. Ceux et celles qui subsistent aujourd'hui ont généralement été emportés hors du Japon par des soldats américains. Leur importation au Japon demeure strictement interdite.

    Des sabres pour enfant


    Ce sabre luxueux est un kodachi, c'est à dire, littéralement, un petit tachi. La longueur de la lame est de quarante-cinq centimètres, la poignée ne doit guère faire plus de dix centimètres. A qui se destinait ce grand-sabre miniature ? Y aurait-il eu un seigneur de la guerre nain ? Il s'agit en fait d'un sabre d'apparat, conçu pour être porté par un tout jeune garçon lors de cérémonies ou de sorties "officielles". Si cette pièce est exceptionnelle par la qualité de sa lame et la décoration de sa monture, les sabres "pour garçon" ne sont pas rares. Il peut s'agir de kodachi fabriqués sur mesures, ou de tanto montés dans une petite poignée de sabre avec une tsuba.


    Ce sabre est arrivé aux États-Unis en 1926, dans les bagages de la délégation japonaise à l'exposition universelle de Philadelphie. Dans ce type d'exposition, chaque délégation donne à voir le meilleur du savoir-faire national, l'état de l'art, le dessus du panier, la crème de la crème. Le dessin qui couvre le fourreau et la poignée est réalisé en émail cloisonné. Sur une surface en cuivre, en laiton, ou quelquefois en or ou en argent, on dessine le décor. Puis on soude sur les contours du dessin des petites lamelles des mêmes métaux jusqu'à ce que chaque touche de couleur ait été délimitée. Les alvéoles ainsi formées reçoivent les différentes poudres d'émail (pâte de verre au plomb et mélanges d'oxydes métalliques dont la composition détermine la couleur). Ensuite il faut faire cuire à haute température et... recommencer ! Car les oxydes réclament des temps de cuisson différents pour prendre leur teinte définitive, et la pâte de verre se contracte, laissant des aspérités qu'il faut boucher : re-émail, re-cuisson. Quand le résultat est satisfaisant on ponce le tout, et on trempe l'ensemble dans une solution d'or afin que les lamelles qui forment les fins contours du dessin en soient plaquées. L'émail cloisonné se rencontre généralement sur des objets qui ne craignent pas d'aller au four, des porcelaines par exemple. Comment a t'on procédé pour le fourreau et la poignée d'un sabre, qui sont en principe en bois ? Et bien, la décoration ne repose pas sur de simples feuilles de métal mais sur deux coques, ajustées exactement au fourreau et au manche, que l'on peut au besoin démonter (avec mille précautions).

    Le cloisonné est arrivé en Chine au quatorzième siècle, depuis l'Asie centrale qui le tenait de... l'Europe. Cette technique a beaucoup plue aux chinois, qui l'ont tant perfectionnée qu'elle est devenu emblématique de leur art. On pourrait croire alors que les japonais ont une tradition fort ancienne du cloisonné, longuement raffinée à partir de la technique chinoise. C'est un peu plus compliqué que cela. Les premiers cloisonnés japonais auraient été produit au début du dix-septième siècle à Kyoto, mais à partir de techniques coréennes, et seulement pour décorer des montures de sabres (déjà). A partir de 1832, des artisans japonais utilisent le cloisonné pour décorer toutes sortes d'objet, d'abord en copiant des pièces... hollandaises, puis chinoises, mais assez médiocrement. Ce n'est qu'en 1876 que le cloisonné japonais atteint l'excellence, avec l'aide d'un chimiste... allemand. (Un certain Gottfried von Wagner, ça ne s'invente pas !) Notre kodachi est une brillante illustration de cette réussite technologique, mais finalement modeste dans sa forme : des meubles entiers furent décorés en cloisonné pour l'exposition de Philadelphie.

    Un katana inachevé


    Ce très beau katana est demeuré dans l'état d'inachèvement où vous le voyez : la lame n'est pas polie, et le nakago ne comporte pas de mekugi ana (trou de la goupille qui solidarise la lame à un manche). Pourquoi le forgeron abandonna t'il cette lame impeccable, au lieu de la confier au polisseur ? On le devine en déchiffrant la date gravée sur le nakago : showa ni juu nen hachi gatsu kiti jitsu - août 1945.

    Remerciements / Thanks

    I would like to express my gratitude to the people who kindly provided pictures and knowledge for this article. Thank you !
    Moses Becerra ( nihontoantiques.com )
    Jon Jensen ( jons-swords.com )
    Robert B. Miller (LionGate Arms & Armour, Inc. antiqueswords.com )
    Alfred Tan ( JapaneseSword.com )
    Graeme Acton
    et Monsieur "Fudachi", collectionneur.

    Netographie :
    Sur les hachiwara : arco-iris.com (en anglais)
    Autres articles consacrés aux sabres japonais sur le japon.org :
    Les particularités du nippon tô de Ryujin
    Le Bokken une arme redoutable de tcha
    Le sabre japonais : la Tsuba de tcha
    Le sabre japonais : la lame de tcha
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