• Interview dans la cadre d'un travail sur l'Aikido au Portugal



    Interview de Jean-Marc Duclos par Pedro Escudeiro, Professeur du groupe "Iwama Ryu Portugal"

    Le début de l'interview parle du parcours de Jean-Marc Duclos, pour peu à peu faire une relation entre l'Aikido Iwama et Aikikai.

    Q1- Pouvez-vous nous donner votre nom, âge et le nom de l'organisation à laquelle vous appartenez ?

    JMD - Jean-Marc Duclos, 47 ans, de nationalité portugaise et française. Je suis actuellement membre et directeur technique de l'Association Portugaise d'Aïkido et Disciplines Associées. Je suis l'élève du maître Mitsugi Saotome depuis 2000, sans grade. Dans le passé, j'ai reçu le 5ème dan d'Aïkido de maître Georges Stobbaerts.

    Q2 - Pourquoi et quand avez-vous commencé à pratiquer l'Aïkido ?


    JMD - J'ai commencé avec le Judo, plus ou moins en 1964. J'étais assez jeune, un peu turbulent, et j'appréciais ce que je faisais. Par tempérament, j'aimais la compétition, toutefois sans grand résultat, je ne savais pas trop que faire de mon énergie... Un jour, j'assistais à un stage de maître Nobuyoshi Tamura, à Casablanca (Maroc), où je vivais à l'époque, quand maître Stobbaerts m'a interpellé: "kimono!" (keikogi!), je suis allé m'habiller contrarié, en effet, je trouvais que l'Aïkido n'étais pas fait pour moi. Curieusement, j'ai apprécié l'expérience, jusqu'à aujourd'hui… On était en 1968. Au début, je pratiquais tout simplement par goût, plus tard, à mesure que l'âge avançait, ma motivation à évolué. La pratique orientée m'a transformé et m'a donné l'opportunité d'être sensibilisé par de nombreuses choses, une d'entre elle est l'intérêt pour la notion d'Art Martial.

    Q3- Vous faisiez du Judo avec Mestre Stobbaerts ?

    JMD - Oui, oui, je pratiquais le Judo avec maître Stobbaerts. Il a été mon maître de 1964 à 1998, donc pendant 34 ans. Je lui dois une grande partie de ce que je sais et de ce que je suis.

    Q4 - C'est à cause de lui que vous vous êtes installé au Portugal ?


    JMD - Plus ou moins, je préparais un CAP de mécanique générale, quand j'ai devancé mon appel sous les drapeaux à l'âge de 17 ans. Je suis venu définitivement au Portugal en 1974. Mais j'y étais déjà passé en été 73 et à Pâques en 72.

    Q5- Quand avez-vous eu un premier contact avec le Maître Hirokazu Kobayashi ?

    JMD - Cela a dû se passer au Maroc, puisqu'il a dirigé un stage à Casablanca avant d'aller au Portugal.

    Q6- Pouvez-vous parler de votre formation et de maître Stobbaerts ?


    JMD - En simplifiant, ma formation à eu deux temps forts: de 1965 à 1967, la deuxième période entre 1974 et 1988. J'ai étudié le Judo avec maître Stobbaerts et avec un de ces élèves, Maître Hassan Iddedir. Pour l'Aïkido, j'ai étudié avec maître Stobbaerts. Entre temps, pendant 2 ou 3 ans, durant l'absence de maître Stobbaerts (déjà au Portugal) j'ai étudié avec un de ses élèves, le Prof Gérard Obélianne (connu au Portugal, pour être actuellement l'élève de maître Tamura). Maître Claude Durix a été mon maître en Kendo et Iaïdo. Aujourd'hui encore, je retiens ses classes mémorables. Il préparait et donnait soigneusement ses cours. Cette référence m'aide aujourd'hui encore dans mes classes. Il a eu beaucoup de patience avec moi.
    Pour le Hatha Yoga, j'ai été l'élève de la Prof Ana Oliveira et de la Prof Maria Augusta de Vasconcelos. Actuellement je fréquente le Centre Portugais de Yoga, sous la direction du maître Carlos Rui Ferreira.
    Quand on voit maître Stobbaerts pratiquer l'Aïkido, le Kendo, le Iaïdo ou le Judo, ce qui retient immédiatement l'attention, c'est sa capacité de conjuguer élégance et efficacité. Relativement au Judo, il a été un excellent Professeur à tout les niveaux, principalement pour la compétition. Nombreux sont ses élèves qui sont devenus plusieurs fois champion du Maroc, certains ont participé aux jeux olympiques et aux championnats du monde. En Kendo, maître Stobbaerts est arrivé à vaincre un champion japonais durant les championnats du monde. Ce dernier est resté stupéfait quand il a su à travers la télévision NHK que a cette époque il n'existait pas de shinaï au Maroc. Les enthousiastes kendokas pratiquait avec un matériel très rudimentaire (style manche à balai ou similaire…). Une des caractéristiques de maître Stobbaerts est l'influence direct ou indirecte du Yoga dans sa vie et sa pédagogie. Avec une relative facilité, Il a la capacité d'expliquer les choses en touchant leur aspect central et en déchiffrant ce que beaucoup mettrait des ans à comprendre.
    En Kendo et Iaïdo, maître Stobbaerts a été l'élève du défunt maître Kiyoshi Nakakura, nommé trésor national par le gouvernement japonais, et aussi nommé par O'Sensei Morihei Ueshiba comme son successeur pour l'Aïkido (pour une courte période de temps).

    Q7 - Il a été inclusivement son beau-fils pendant un certains temps.


    JMD- Il parait que oui.

    Q8- Tous les arts qu'il a pratiqué ne sont pas liés au Budo.

    JMD - Oui, c'est vrai. Il a aussi pratiqué le Yoga. Le Yoga est, entre autres, une source de "déblocage" pour un pratiquant d'Art Martiaux. Les pratiquants d'Arts Martiaux devraient pratiquer des activités similaires , comme le Tai-chi par exemple. Ce sont des moyens qui permettent de donner une dimension plus étendue à la pratique, non étroite, comme l'intérêt de l'efficacité. Bien sûr, qu'il faut être efficace… mais on est pas obligé de se borner d'une façon obsessive à une relation de force. Maître Stobbaerts a été formé par de grands maîtres de Yoga comme Satchidananda Yogi qui vit à Madras. J'ai eu aussi l'opportunité de participer à une cérémonie dirigée par ce maître: un Puja pendant la nuit, avec beaucoup de lumières (lampes à huile), couleurs et arômes… C'était inoubliable.

    Q9 - Pendant de nombreuses années vous avez exercé des fonctions importantes dans l'organisation de l'Aïkido au Portugal.

    JMD - Comme on va parler du fonctionnement de l'Aïkido au Portugal, on doit automatiquement parler de politique, en effet il s'agit de l'exercice d'un petit pouvoir. Avant le 25 Avril 1974 (date de la révolution des œillets qui mit fin à la dictature), je n'avais aucune conscience politique. Pour comprendre et exercer correctement une charge que l'on détient, il est fondamental d'avoir des notions sur la politique en général. À l'époque de mes 20 ans, je n'étais pas du tout motivé par ce genre de problématique (rires). Le Portugal a été à ce niveau (et à d'autres) une école pour moi. Cela m'a obligé à m'éveiller à ce genre de question. C'était une époque révolutionnaire. J'ai dû apprendre ce qu'était la démocratie, le fascisme, ceci et cela, etc. et j'ai commencé à construire des idées plus précises à ce niveau.
    Mais revenons aux Arts Martiaux…
    La Commission Directive des Arts martiaux (CDAM), a été créé en 1972, et durant les premiers 3 ou 4 ans de son existence, cet organisme de l'état était presque totalement focalisé sur un contrôle inadéquat et policier des pratiquants. De cette façon, la CDAM n'a pas servi les intérêts des pratiquants. La chance de cette organisation a été d'être dirigée par un militaire, le Cpt José Manuel Monteiro Fiadeiro, qui par sa modération á évité la répression que l'on pouvait attendre d'un organisme tel qu'il avait été conçu. Cette prédisposition du Cdt José Fiadeiro (promu à Cdt entre temps…) c'est confirmé lorsqu'il a conduit une restructuration complète de la CDAM, donnant à cet organisme une vocation éducative. Ce changement à permis d'organiser la formation de plusieurs centaines d'enseignants de tous les Arts Martiaux au Portugal. Cette entreprise a été complètement innovatrice à l'époque. Le Cdt José Fiadeiro a aussi encouragé l'unique processus démocratique concernant l'Aïkido au niveau national et avec l'appui de l'État.
    Chaque Art Martial avait son Conseil Technique National. Le premier Conseil Technique National d'Aïkido (CTA) a été désigné, sans être élu. Il était constitué de 3 ou 4 personnes. Le CTA était nommé par Monsieur le Secrétaire d'État aux Sports sous proposition du Président de la CDAM. Plus tard, le CTA a été élu par toutes les ceintures noires d'Aïkido de tous les groupes existants dans notre pays: le groupe lié à maître Stobbaerts, le groupe Aikikaï lié à maître Tamura, le groupe de l'Union Portugaise de Budo, etc. S'agissant de l'élection d'un conseil lié à des compétences techniques et pédagogiques, nous avons jugé que l'assemblée électorale devait être composée par les ceintures noires. Le président élu fut le Prof Leopoldo Ferreira (élève du défunt maître Hirokazu Kobayashi). Néanmoins, il n'a pas accepté le poste et comme deuxième de la liste, je fus élu comme Président. Pour commencer, le CTA a décidé d'instituer une graduation nationale où tous les autres systèmes de grades avait leur raison d'être dans chaque "école". Cette situation a été difficile à gérer, chacun disait : "je suis ça ou cela", c'était compliqué.
    Gérer les intérêts communs de l'Aïkido obligeait à avoir à l'esprit quelques principes de base tel que: - réglementer l'Aïkido à l'échelle de l'État et des organismes privés, visant à établir un marché pour les enseignants et les pratiquants avec des conditions d'accès égales et effectives pour tous les "styles", "écoles" ou "tendances", évitant ainsi la situation de monopole; - Donner une formation aux enseignants, renforcer et développer des connaissances au niveau pédagogique et de la biologie, et/ou présenter l'Aïkido comme une pratique éducative; - Appuyer financièrement, à tour de rôle, chaque groupe, pour l'achat de matériel, l'organisation de stages, etc.
    À l'époque, le plus important était de réunir les bonnes volontés et en même temps organiser des pratiques ensembles, à travers lesquelles chacun pourrait motiver l'autre à des types de problématique différentes. L'important c'était de rassembler et établir un débat, où les idées et les préoccupations pourraient être exprimées. La bonne entente était à elle seule un facteur décisif. Les cours étaient orientés par les principaux leaders de chaque groupe et exposaient la pédagogie et les objectifs de chacun. Ceci à contribué à ce que les enseignants puissent percevoir, que faux ou réel, il y avait de nombreuses façons d'appréhender l'Aïkido. Même si chacun était resté sur sa position (ex: "mon Aïkido est le vrai"), le seul fait de commencer à accepter l'existence d'un autre Aïkido qui n'est pas le sien, était déjà en soi un grand succès.
    Les grades sont liés à des contenus. Donner des grades sans autres préoccupations est extrêmement négatif et enfantin. En échangeant leurs opinions, les pratiquants de chaque groupes avaient la préoccupation de communiquer, ce qui n'arrivait pas jusqu'alors (aujourd'hui nous sommes retournés à la "communication zéro").
    Au départ, le CTA a accepté les grades de toutes les associations en présence tel qu'elles furent présentées. À l'époque, cela fut un risque bien assumé. Chaque Association envoya un rapport de tous les grades qui ont été tout simplement homologués. Si maintenant je le referai? Je ne sais pas, c'est difficile à dire. Mais dans cette circonstance ça a marché. J'ai encore une copie de toute la documentation produite. Comme résultat de ce travail, tous les grades reconnus ont été publiés dans le journal officiel. Il y a eu une deuxième publication des grades omis. Mais tous ça ne fut que le début de quelque chose et non pas une fin en soi. L'idée, c'était un grade national, dont la vocation principale était d'établir les critères pour l'accès à la formation des enseignants. Il est évident que les grades donnés par des maîtres de renommée internationale étaient automatiquement homologués.
    Il était important que l'État appuie, la création de groupes d'excellence en les réglementant et en articulant les intérêts divers en présence, et la formation des enseignants en leur donnant les mêmes opportunités. Malheureusement la CDAM a été dissoute et n'a pas réussi a continuer son travail.
    La liste "Aikido língua portuguesa" a été créé plus tard pour essayer de mettre les gens à communiquer entre eux et aussi à donner aux Professeurs ou Maîtres un moyen de donner leur avis, évitant ainsi que chacun se trouve en circuit fermé sans être confronté à la réalité, où facilement on arrive à avoir la vérité absolue. Et même comme ça c'est difficile! (rires)
    Essayer d'ouvrir ne rend pas les gens meilleurs, loin de là, mais le dialogue est la condition préalable pour remettre les questions à un niveau plus adéquat et équilibré.

    Q10- Quels ont été les nombreux groupes existant à l'époque ?

    JMD - L'Union Portugaise de Budo, l'Association Portugaise d'Aïkido et Disciplines Associées, l'Association Sportive Aikikaï de Portugal, l'Association Bushidokan des Arts Martiaux.

    Q11- Ces classes qui rassemblaient les pratiquants gradés étaient dirigées par qui ?


    JMD - Les premières furent par Maître Stobbaerts. Après, une ou deux par moi, et après alternativement par de nombreux professeurs: le Prof Leopoldo Ferreira, le Prof Antonio Piano, le Prof Luís Antunes, etc.

    Q12 - Y-a-t-il eu une grande adhésion des pratiquants ?

    JMD - Au début oui, il y a eu une grande adhésion. Après, quand on faisait des efforts dans les coulisses pour éliminer la CDAM, ça a diminué.

    Q13 - Avez-vous accepter un grade en réalisant un examen ?

    JMD - Le processus initial a été réalisé par une homologation antérieurement signalée, par la suite, vu le court espace de temps qui a suivi, nous n'avons pas inauguré les examens sans établir un programme de grades national. Il n'y a pas eu de temps pour ça (rires). L'idée, comme je l'ai dit, était de créer une base, mais pour cela il était fondamental de nous connaître premièrement, en sachant ce que l'autre faisait (nous en sommes resté à la phase d'écoute). La reconnaissance des grades était destinée à aider à établir cette plate-forme.
    Calmer l'agitation, la suspicion, faire comprendre que personne voulait "écraser l'autre", essayer de construire quelque chose au service de l'Aïkido dans ses nombreuses interprétations, tel était l'objectif. L'idée était positive et non négative. On pouvait faire ça sans trop de dégâts. En homologuant les grades sans plus, il est clair qu'il a pu arrivé ponctuellement des situations moins correctes, j'en suis parfaitement conscient. Mais nous devons voir le projet dans son ensemble et non une situation ponctuelle. Si le projet s'était développé, il aurait pu fructifier.
    Le processus a commencé lentement. Les idées sont apparues, en plus non n'avions aucune expérience. Personne ne savait au départ quel aurait été le résultat de la graduation nationale, et comment articuler les intérêts en présence. Tout était complètement nouveau…

    Q14- Qui était le responsable pour ces passages de grades ?


    JMD - Dans la vie de tous les jours, qui prend les décisions, doit en assumer la responsabilité. Dans le cas de l'homologation faite par le CTA, j'assume pleinement la responsabilité de mes décisions.

    Q15- Maître Stobbaerts avait au Maroc une liaison directe avec l' Aikikaï ou à travers maître Tamura ?

    JMD - Directe je crois, mais c'est maître Tamura qui l'a aidé à l'établir.

    Q16- Il n'y a pas très longtemps, votre pratique a changée, en effet vous n'êtes plus lié à maître Stobbaerts. Pouvez-vous me parler de cette nouvelle phase?

    JMD - Maintenant avec la pédagogie de maître Mitsugi Saotome, j'étudie d'une façon différente. J'apprends aussi des autres techniques et une autre manière d'être. Se sont de nouvelles sensations, une nouvelle discipline. Il y a aussi un travail intensif avec les armes. La présence est une chose constamment requise. Le Maître corrige régulièrement ces élèves, il parle peu et est exigeant.

    Q17- Pourquoi le choix de maître Mitsugi Saotome ?

    JMD - Ce sont mes élèves qui m'en ont parlé. Avant de le connaître, j'ai un peu étudié ce qu'il a écrit, ce qu'il a fait, etc. J'ai été après suivre un de ces stages pour le voir et j'ai aimé. C'est un maître qui a une pratique forte et ronde en même temps. Sa pratique est fondamentalement liée à des préoccupations d'ordre spirituel. Il est très attentif à tout le monde, on dirait un chat, très doux, mais avec des réactions instantanées. Maître Mitsugi Saotome dirige l'organisation internationale "Aikido Schools of Ueshiba".

    Q18- C'est curieux de constater qu'il y a un point commun entre ces deux maîtres, chacun à été un outsider de l'Aikikaï.


    JMD - Je ne comprends pas ?!

    Q19- Maître Saotome n'a pas été un envoyé officiel de l'Aikikaï quand il s'est installé aux Etats-Unis, c'est à dire qu'il a créé une organisation indépendante de l'Aikikaï et seulement plus récemment, il a été réintégré á nouveau à l'Aikikaï.

    JMD - Maître Mitsugi Saotome ne s'est jamais séparé de l'école Aikikaï. S'il ne s'est pas installé aux Etats-Unis comme envoyé officiel, il a toujours joui de l'appui de l'Aikikaï. Et la preuve flagrante de cette affirmation, c'est que plus tard il fut nommé comme représentant officiel de l'Aikikaï pour les Etats Unis d'Amérique.

    Q20- Trouvez-vous important de recevoir la formation directe d'élèves qui ont été proche du fondateur ?


    JMD - Je considère important que l'on reçoive l'enseignement de quelqu'un qui a profondément compris l'Aïkido. Être l'élève direct de maître Morihei Ueshiba est naturellement quelque chose de très spécial, mais tous les élèves de Maître Morihei Ueshiba ont compris d'une façon inégale son enseignement. Quand on lit quelques livres décrivant cette période, on peut constater qu'à l'époque, les élèves n'étaient pas tous intéressés de la même façon par son enseignement.

    Q21- Il y a aussi quelques exceptions, comme par exemple le maître Saïto à Iwama.


    JMD - Bien, ... Je ne sais pas si c'était le cas… Il y avait quelques élèves qui suivaient Maître Ueshiba et qui étaient membres de la secte shintoïste Omoto, comme par exemple maître Tsuda. Pour comprendre le parcours de O'Sensei Morihei Ueshiba, il était et il est nécessaire de s'intéresser à l'enseignement de maître Deguchi.

    Q22- Pensez-vous que l'on arrive á séparer, dans le cas de l'Aïkido, la philosophie/spiritualité de la technique ?


    JMD - L'état d'unité ne surgit pas spontanément. Supposons que Pedro enseigne un mouvement, j'observe et je tente de le faire tel quel, mais, les présupposés de Pedro ne sont pas obligatoirement inclus dans ce que j'ai essayé de reproduire. Nous pouvons laisser quelque chose derrière nous, parce qu'il est évident que nous sommes séparés au départ. Si l'on rate la perception du contenu d'un mouvement, nous pouvons tomber dans un pur mimétisme sans arriver à pratiquer correctement. Généralement quand nous sommes jeunes, nous sommes plus intéressé par des aspects comme: jeter une personne à 3 mètres de distance, vider sa vésicule biliaire, que par de choses plus différenciées, ou même spirituelles. L'âge, la maturité d'un élève, permet, dans certaines circonstances, de prêter un nouveau regard à des faits antérieurement ignorés, parfois il faut attendre un peu…

    Q23- Mais il y a des maîtres qui sont concernés par la même religion qu'O'Sensei et avec des pratiques communes.

    JMD - La majeure partie des élèves qui ont participé à la secte Omoto et qui ont survécu à la 2ème guerre mondiale, ont très peu contribué au développement de l'Aïkido. Récupérer les choses à posteriori, n'est pas la même chose, l'enseignement direct n'est plus là. La présence du maître quand l'on reçoit un enseignement est déterminante. Je ne dis pas que les gens ne peuvent pas retourner à l'essence des choses, mais je pense que cela devra être d'une autre manière.

    Q24- Un certain maître m'a dit que la racine de notre pratique se trouve seulement dans le Fondateur et il a ajouté que ça lui rappelait que certaine personnes qui n'avaient pas le Fondateur comme référence pour leur pratique, étaient comme assis sur un arbre et coupait la propre branche où ils étaient assis. Ils perdaient la liaison à l'Art originel.


    JMD - Qui est le successeur du propre Morihei Ueshiba ? Son fils, et aujourd'hui son petit-fils. Si nous défendons une tradition martiale japonaise, nous devons en tirer les conséquences et accepter des règles qui ont des siècles d'existence. Nous pouvons facilement déduire que la personne désignée a reçu cette confiance et responsabilité par mérite. Ou alors est-il possible que maître Morihei Ueshiba se soit trompé; qu'il était fatigué ou distrait quand il nomma le Doshu ??? Morihei Ueshiba a donné au Doshu la compétence pour décider du futur. Chacun est libre d'accepter ou non la décision de Morihei Ueshiba, mais suivant ce raisonnement, nous sommes probablement tous condamnés à tomber de l'arbre. Du reste, même s'il existait un moyen de prouver qu'un Aïkido était plus vrai qu'un autre, le déclarer d'une façon obsessionnelle, serait déplacé par rapport aux enseignements de Morihei Ueshiba. Maître Morihei Ueshiba a été formé, et le maître de son maître aussi. Il existe aussi des maîtres de Tai-chi, de Yoga, de Zen, qui enseignent… S'il y a une origine, c'est cette origine qui est importante. Dire qu'en dehors d'une certaine communauté il n'y a pas de salut, peut faire sourire par son ingénuité. Si un principe est unique, il peut avoir de nombreuses manières de l'exprimer. Croire qu'il existe une seule Voie ou une seule manière de l'exprimer peut provoquer des guerres parce que les personnes ne sont pas des robots. Ce qui est important quand quelqu'un suit une voie, c'est qu'il ne change pas toutes les cinq minutes de maître, comme un papillon. Et pour les "chanceux" qui connaissent le principe, j'imagine qu'ils doivent respecter certaines règles intrinsèques pour ne pas altérer le sens de la Voie. J'imagine que quand quelqu'un arrive au sommet de la montagne, il peut voire au loin, tous les chemins converger vers cet endroit. En ce qui me concerne, je ne vois pas le sommet, et la diversité des hypothèses créé une vraie confusion… Il doit avoir des chemins destinés à de nombreux avenirs, les uns plus bas, les autres plus hauts. Les intéressés doivent chercher le chemin qui leur convient. Personne ne peut s'arroger la propriété de la Voie.

    Q25- Je fais un parallèle avec le Yoga. C'est un Art, un système, de pratique millénaire avec une méthodologie propre dans laquelle il existe des règles très spécifiques qui font marcher le corps d'une façon très spécifique et rigoureuse. Dans l'Aïkido, au contraire, on dirait que chacun peut faire ce qu'il veut, parce que tout est très vague et l'espace pour les opinions personnelles est immense.


    JMD - Le Yoga permet, entre autres, de défaire les "nœuds". Mais les choses ne marchent pas séparément en systèmes étanches, la manière d'être au monde, l'exécution précise d'une asana, la manière de parler, la manière de se préoccuper, de penser, d'être en silence, contribue directement ou indirectement aux progrès d'une personne. Bien, comme vous devez le comprendre, ces commentaires dépassent de loin ma condition de débutant… mais vous avez raison, l'important c'est d'être très précis en relation avec "comment l'on fait" en respectant la nature de notre recherche.

    Q26 - Ce que je veux dire c'est qu'il y a une forme spécifique définie et concrète de pratiquer un Art comme celui-ci.


    JMD - Oui c'est vrai, chaque enseignement est spécifique et ce qui en relève, c'est l'essentiel. L'enseignement spécifique animé par l'essentiel acquiert toute sa signification et sa forme. D'une autre façon cela devient un système rigide, sans vraie signification par rapport à la propre Voie.

    Q27- Ce n'est pas une forme facile et sans poids sur la conscience pour quelqu'un qui ne fait pas d'effort de manière à minimiser l'éloignement en relation au fondateur.


    JMD - L'éloignement par rapport à l'enseignement du Fondateur résulte du fait de la non-compréhension des principes concernées par les mouvements que le fondateur enseignaient, et non d'un "mimétisme technique". Si la forme est fondamentale, seule sa liaison aux principes la confirme comme "vivante" ou "Aïki".

    Q28- Quand nous regardons un mouvement déterminé, une technique, celui-ci peut-être ou non efficace, c'est à dire être correct ou non. Ça me parait si simple…

    JMD - Le fait qu'une technique marche ne veut pas dire qu'elle transporte un message. Si je donne un coup de tête à Pedro, vous n'allez pas croire qu'il s'agit d'un de ses messages… (rires) Le fait d'avoir une efficience immédiate peut-être porteuse de quelque chose, mais peut très bien n'intéresser personne.

    Q29- Quand je parle d'efficience de la technique, je parle en définition, rigueur et capacité à l'appliquer


    JMD - Ah bon, alors il faut définir la signification que nous attribuons à efficience.

    Q30- Probablement chaque école à son propre concept sur l'Aïkido, ce qui fait que son essence est différente.

    JMD - Je trouve que concept et essence ont des sens différents. Quand nous arrivons à transformer deux mouvements opposés en un seul, la notion d'attaquant et d'attaqué se vide. Les concepts fonctionnent mieux pour la description de choses qui sont dans des "états séparés" ou plus statiques ; pour les notions comme unité, essence, Amour, il est un peu désajusté d'utiliser des mesures ou un langage non correspondant. L'Aïkido dualiste (marqué par les notions attaqué / attaquant, ou pire, par le sommeil) que je pratique est un Aïkido séparé, presque "virtuel". Si j'étais doté de sagesse, l'Aïkido qui en résulterait exprimerait un état d'unité avec la nature, qui dispenserait de quelconque commentaire...

    Q31- Vous voulez dire qu'il y a une collaboration de la part de l'attaquant ?

    JMD - Ce n'est pas une question de collaboration, ni de condescendance. Par exemple, pendant un irimi on évite pas un tsuki, on est avec l'autre en le projetant. C'est quelque chose de difficile à expliquer. Il doit avoir des degrés plus grands ou plus petits de ce type d'unité, mais je crois que l'important c'est la tendance à acquérir cette unité, harmonie et équilibre. Il peut avoir deux partenaires, mais il doit avoir un seul mouvement.

    Q32- Mon expérience avec des pratiquants de certaines écoles, est que certains avec quinze ou vingt ans de pratique d'Aïkido, n'arrivaient pas à s'harmoniser quand ils étaient saisis très fermement, parce que l'attaquant ne collaborait pas. C'est sûr que ça signifie que dans leur pratique usuelle il y a une collaboration de la part u partenaire.

    JMD - Il y a plusieurs niveaux impliqués dans le mot collaboration. D'un côté, on ne peut pas apprendre quelque chose sans une certaine résistance. Imaginer que faire comme ça (il réalise un geste abstrait en l'air) produit en soi même de l'harmonie… (rires). Dans l'Aïkido, l'harmonie est quelque chose de plus profond que ça, et ne correspond pas en soi à une forme formelle. L'harmonie est quelque chose de vécu qui se manifeste extérieurement. L'étude orientée de la forme peut nous aider à développer l'harmonie. Collaborer en Aïkido c'est essayer de pratiquer un Aïkido qui ne fonctionne pas mécaniquement (ne pas confondre avec la mécanique du mouvement…). Les attaques, comme les répliques, doivent dans la mesure du possible être spontanées. On ne doit pas bloquer au départ pour affirmer son ego, mais l'on doit expérimenter toutes les formes et intensités, dans un esprit ouvert, disponible et de prédisposition à l'excellence. Bien sûr qu'il y a des cas, où l'on peut utiliser la résistance active pendant un certain temps pour aider quelqu'un dans une circonstance, mais cette façon de procéder ne doit pas s'établir comme une méthode. En évitant tous les genres de stéréotypes, on cherche à susciter l'imagination.

    Q33- Aussi êtes-vous d'accord avec la classification d'un Aïkido qui se dit rond ou direct ?


    JMD - J'utilise peu cette terminologie, mais elle est commune à l'heure actuelle. Maintenant, classifier l'Aïkido de direct ou de rond, c'est un peu comme si on instituait deux façons de marcher séparés, c'est un point de vue limitatif. Mais d'un autre côté, si l'on utilise ces termes comme phénomène polaire, nous pouvons reconsidérer les mêmes faits d'une autre façon. Personnellement je trouve dispensable l'utilisation d'une terminologie qui ne correspond pas à un enseignement profond, ou avec une quelconque utilité.

    Q34- Quand j'ai entendu parler de cette classification, je croyais que l'on prétendait distinguer la forme de l'Aïkido des dernières années du Fondateur de sa phase plus précoce.


    JMD - Ah oui, vous avez raison. À partir d'un certain âge le Fondateur pratiquait Takemusu Aïki. Mais chacun doit faire son parcours, on ne peut pas imiter le parcours des autres pour obtenir les mêmes effets. Mozart jouait des sonates à l'âge de dix ans, mais le parcours de Mozart ne peut pas être facilement comparable à un autre musicien. L'important c'est d'être formé par quelqu'un qui connaît les principes de la modalité en question et qui découvre intuitivement, pour un élève déterminé, quel est la meilleure option à suivre pour son parcours. Tout ça en prenant compte (et en conjuguant) tous les aspects de la modalité, de la pratique de la modalité, et de l'individu en question.

    Q35 - Vous avez déclaré que une des lacunes de l'école de maître Stobbaerts donnait une moindre importance à la pratique des armes. Quelle intérêt attribuez-vous à ce type de pratique ?


    JMD - Comme vous le savez, maître Saïto a eu l'habileté d'être le premier, dans l'Aïkikaï, à enseigner un programme systématisé de buki-waza à ses élèves. En général, seulement plus tard, il y a plus ou moins quinze ou vingt ans, que l'Aïkikaï et les autres écoles, comme celle de maître Stobbaerts ont commencé à se préoccuper de remplir cette lacune. Maître Saïto, maître Seigo Yamagushi et les maîtres avant la deuxième guerre mondiale ont eu la préoccupation de pratiquer les armes. Mais maître Saïto a été le premier à systématiser et divulguer sa pratique. Sous cet aspect, c'est une référence. C'est facile à le reconnaître, et on serait de mauvaise foi d'ignorer ce fait.

    Q36 - Il y a encore beaucoup de personnes, de grande responsabilité, qui ne savent pas, par exemple, que les noms des suburis d'armes créé par maître Saïto, qui sont utilisés dans toutes les écoles, pensent qu'ils ont été créé par O'Sensei. Considérez-vous que n'importe quel système d'arme qui utilise jo et bokken peuvent, par le seul fait d'être manipulé par un aikidoka, devenir aikiken et aiki-jo ?


    JMD - Je considère que la pratique d'O'Senseï est différente de celle de maître Saïto.

    Q37- En quoi vous basez-vous pour faire votre affirmation ?


    JMD - Je me base sur ce que j'observe. Je considère qu'il y a un précipice, une différence fondamentale entre eux. Ceci est ma sensation, mais je peux me tromper complètement.

    Q38- Mais quel observations avez-vous fait pour en venir à affirmer une chose pareille ?


    JMD - La distinction que fait maître Saïto entre le shomen uchi du Kendo ou Iaïdo et celui de l'Aïkido est une affirmation naturelle puisque maître Ueshiba a défendu ces différences. Mais entre ces différences, il y a quelques détails qui sont peut-être spécifiques à maître Saïto. Du reste, il est parfaitement naturel que maître Saïto ne soit pas la copie de son maître. En Iaïdo, la description du mouvement de coupe peut-être décrit (pour la convenance de l'explication) en deux phases non séparés, un ample mouvement de l'arrière vers l'avant, et la coupe qui finalise le mouvement. S'il l'on ne réalise pas un ample mouvement dans la première phase, on coupe à une distance plus courte. L'autre point est l'attention donné durant la coupe à ce que le plexus reste ouvert, les omoplates pas trop éloignées l'une de l'autre, les épaules basses et relâchées.

    Q39- Je suis un peu étonné que des gens qui commente certains détails d'autres maîtres sans avoir eu un quelconque type de contact directe et prolongé avec eux. A-t-on par exemple une petite idée que le Fondateur a été extrêmement critique avec le Iaïdo ? Et pour avoir changé dans sa forme d'arme une série de choses conventionnées, être durement critiqué entre la communauté des artistes martiaux ? Ces données historiques atteste bien que ce n'est pas le bokken dans les mains de l'Aïkidoka qui fait l'Aïki ken, mais plutôt la façon de l'utiliser.


    JMD - Quand le fondateur faisait shomen uchi, et seulement relativement aux aspects décrit antérieurement, il le faisait exactement comme les pratiquants de Iaïdo et Kendo. On peut le constater sur les vidéos.

    Q40 - On est en train de se concentrer sur un maître, qui par hasard, a été le seul qui a accompagné le Fondateur à Iwama, où il s'était retiré, dans les années plus intensives de pratique qu'il n'a jamais eu. Ce maître n'a jamais eu d'autre que maître Morihei Ueshiba. Il a été l'unique qui a eu l'autorisation de O'Sensei pour enseigner les armes quand celui-ci était absent et quand tous les autres étaient interdits de pratiquer au cas ou le fondateur ne soit pas présent.

    JMD - À Iwama, pendant la guerre en 1942, O'Sensei a été beaucoup de fois malade, mais le rôle de maître Morihiro Saïto dans les armes est indéniable. Personne ne veut lui tirer se mérite.

    Q41- Dans ce cas, c'est absolument étonnant de considérer incorrect ou incomplet ce que l'on a appris.


    JMD - Quand je vois un shomen uchi dans les vidéos de maître Saïto c'est différend de celui de maître Ueshiba. Mais probablement je suis encore très ignorant pour faire de telles affirmations.

    Q42- Avez-vous entendu une fois l'explication de la bouche de maître Saïto ?


    JMD> - Non. Le problème de l'Aïkido est que le fondateur n'a pas établi un système d'armes et probablement il ne l'a pas fait par omission. N'importe quel pratique d'Aïkido ne peut pas être basé sur un seul système ou concept, même si nous devons tous accepter qu'il doit y avoir une technique de base, le kihon. Maître Ueshiba avait le contrôle du ki, le kihon pour lui… Peut-être qu'il a pris les choses à un autre niveau, c'est impossible, ou très problématique de reproduire son parcours. Mais en revenant au maître Morihiro Saïto, il est important de dire que j'ai un profond respect pour lui et pour ce qu'il a fait et pour son école en général. J'ai d'excellentes relations avec son élève direct au Portugal, maître Tristão da Cunha (5ème dan d'Aïkido). Et j'ai appris des choses très intéressantes pendant les deux stages que j'ai suivi.

    Q43 - Ce que les gens essaie d'imiter, ce sont les vidéos, où sont seulement filmés les démonstrations et non l'enseignement de l'Art. Ils copient cela pour ressembler au Fondateur, comme s'il pouvait de cette façon pratiquer le vrai Aïkido, même sans rien comprendre ce qu'ils font.

    JMD - Quand un de mes élèves caricature Morihei Ueshiba sans le savoir, j'interrompt. (rires). Mais l'absurde d'une telle situation, c'est d'imaginer que l'on peut obtenir les présupposés mentaux ou comprendre le message de maître Morihei Ueshiba par la simple répétition ou imitation. Cette superstition est encore enracinée dans l'esprit de beaucoup de pratiquants. Dans les armes, le Fondateur est parti d'un certain niveau, et personne ne peut l'imiter à partir des mêmes présupposés. Pour une raison qui m'échappe, il n'est pas "descendu en bas" en disant qu'il fallait faire ceci ou cela. Peut être il n'a pas eu la disponibilité ou la volonté de le faire… Il paraît qu'il était un peu opposé aux notions de programme et de méthodologie.

    Q44 - Pardon d'insister, mais il y a une donnée historique centrale pour l'Aïkido. À Iwama son enseignement était d'une certaine manière, systématisé, et pour les élèves qui le suivaient journellement, ils pouvaient saisir cette ligne de cohérence. Avez-vous une idée pourquoi il ne faisait pas la même chose à Tokyo ?

    JMD - Je ne sais pas, mais je peux imaginer que ce fut une question d'inspiration. Je pense que c'est un peu à cause de ça. Il faisait misogi (exercices de purification - Ed), développait un nombre de choses dans un milieu spécial. L'ambiance pouvait être une source d'inspiration et nous savons tous que Tokyo n'était pas le lieu idéal à cet effet. Ainsi le fait qu'il ait pratiqué plus les armes à cette époque pouvait faire part de son parcours. Naturellement, maître Saïto qui était à ces côtés a eu une chance, la grande chance d'être au bon moment et au bon endroit. Je crois que cela a été une aubaine.
    Maître Ueshiba a pu enseigner les armes dans d'autres endroits, mais l'époque d'Iwama a été importante parce qu'il était près de la nature, dans un milieu propice, où il était plus facile de convoquer les dieux qu'à Tokyo, à l'Aïkikaï. Maître Ueshiba est un peu comme un artiste, dans le sens qu'il tire la corde de sa propre évolution, en étant sujet à l'énergie des choses. La nature lui a forcé la main (rires).

    Q45 - Ne trouvez-vous pas que l'on va introduire une erreur dans la forme originelle, quand l'on essaye de transposer les techniques d'armes de systèmes différents, ce qui, comme je l'ai déjà dit, est l'option des principales écoles d'Aïkido actuellement ?

    JMD - comme maître Ueshiba n'a pas conçu un programme au départ, l'erreur existe. Même dans le taïjitsu il était contre les programmes. Avec ou sans enseignement systématisé, du moment que l'on comprend les principes, l'abordage est toujours possible, si ce n'est pas "par le bas", c'est "par le haut". Si quelqu'un pense que l'on résout le problème avec la seule "partie basse", il se trompe, c'est la même chose avec la "partie haute". C'est complexe, parce que cette manière d'aborder demande un savoir-faire déjà rodé et créatif. Je crois que l'enseignement de maître Ueshiba pourra être entièrement résolu si quelqu'un arrivait à travers de la pratique de l'Aïkido, et d'autre choses, à atteindre le mystère de l'être et à partir de là, retrouver l'Aïkido de maître Morihei Ueshiba. Une personne qui comprend le mystère de l'être aura tous les éléments et tout ce qu'il lui faut pour comprendre l'enseignement de maître Ueshiba et peut-être de le transcender, non pas comme il l'a fait, mais d'une façon inédite. Jusque là, je ne vois pas de grandes hypothèses de réaliser un Aïkido complètement transcrit pour notre époque.
    La jeunesse de notre époque est différente de la sienne, il y avait des guerres, les valeurs étaient différentes, comme la manière de voir le monde, et même les propres techniques. L'univers n'est pas exactement le même. On dirait que le temps passe plus vite. Seulement en saisissant les choses "au centre", nous pourrons entrevoir un Aïkido distinct, qui ressemble plus à celui de Morihei Ueshiba dans son essence, peut-être quelque peu différend dans sa forme.

    Q46 - Comment vous pensez faire ça ?

    JMD - Si je le savais, je ne serais pas en train de vous parler, je serais dans les nuages (rires). Je ne parlerais même pas. Parler de quoi ? (rires)

    Q47 - Je crois que les gens disent beaucoup de choses et les attribuent au Fondateur, comme concepts, phrases faites etc. , et c'est pour ça que l'Aïkido va être à chaque fois plus différend d'école en école et il va s'éloigner plus encore du Fondateur.

    JMD - Ça va arriver. La multiplicité est un phénomène qui se déroule et va continuer. La propre matière a engendré une évolution qui a donné origine à la complexité. Il y en a même qui disent que les dieux se multiplient dans le panthéon. C'est curieux, je crois que c'est en Inde que l'on dit ça. Je trouve cette image expressive.

    Q48 - Pour moi, je crois que c'est pour un autre motif. Parce que les choses ont été enseignées avec peu de définition et rigueur, dans le principal centre où sont sorti les maîtres qui ont divulgué l'Aïkido, le Hombu dojo de l'Aïkikaï, maintenant il y a une liberté pour que chacun interprète à sa manière.


    JMD - Une des manières de retourner à l'excellence c'est d'apprendre à conjuguer correctement les aspects fondamentaux avec les aspects périphériques.

    Q49 - Pour moi c'est très simple, il faut définir, marquer des frontières, dire que ça est correct et que ça est faux, ou ça c'est incorrect dans ce cas et c'est faux dans l'autre. Si l'on ne marque pas la différence, à la fin d'un certain temps, il sera impossible de dire ce qui est faux et ce qui est correct. Je crois que préserver un art passe par le maintient de ce qui est originel et essentiel, que l'on ne le veuille ou pas. D'une variation peut surgir quelque chose de fantastique, mais ce n'est plus l'originel.


    JMD - Non, non, la discipline n'a jamais rien résolue par soi-même. La différence réside dans la compréhension et l'application des principes. Peut-être le moment le plus compliqué pour un Professeur c'est le moment de la correction d'un(e) élève. Comment peut-on dire que quelque chose est tout simplement correcte ou fausse? Blanc sur noir ? Sans parler des élèves débutant(es) qui paraissent être plus doués(es) que nous… (rires) C'est très difficile, nous devons éviter les définitions rapides. Nous devons éviter l'indécision, sans oublier nos propres limitations. Il y a un proverbe chinois qui dit: "Quand tu montres du doigt quelque chose, trois de tes autres doigts sont pointés vers toi… Attention !… (rires)

    Q50 - Mais ne côtoyez vous pas des être humains? Alors vous devez être sur un plan concret aussi.


    JMD - Le plan concret c'est le fait d'avoir une expérience concrète, de croire en quelque chose, essayer de la développer, chercher á ce qu'elle fructifie, et avoir une idée du chemin qu'il faut faire. Les élèves qui suivent un enseignement essayent de comprendre ce qui est transmis à travers le langage utilisé. C'est le plus cohérent que je puisse faire.

    Q51 - Si maître Ueshiba était vivant, et si vous aviez cette possibilité, opteriez-vous à être son élève direct ?

    JMD - Je ne sais pas, je ne vais pas dire, type cliché - Bien sûr que je serais son élève. Mais si je pouvais, peut-être que oui

    Q52 - Ne pouvant pas, choisiriez-vous le lien le plus direct ?

    JMD - Qu'est ce que j'en sais ? Oui, dans la perspective que le lien direct se sont les élèves d'O'Sensei qui ont compris son enseignement.

    Q53 - Même si ce lien était différend que celui du Fondateur
    ?

    JMD - Le propre Fondateur se régissait par des principes qui existent encore. La différence la plus significative réside dans la lecture que chacun peut faire de ces principes.

    Q54 - Certaines choses qu'il enseignait était absolument objectif, comme quand il se fâchait fermement avec un élève pour ne pas faire quelque chose correctement.

    JMD - Un Professeur c'est un peu comme un panneau de circulation, il communique quelque chose, la décision et le chemin à parcourir est la tâche des élèves. La relative infaillibilité du maître est lié à sa pédagogie. En parlant de l'infaillibilité du pape certains orientaux déclaraient: "L'infaillibilité du pape c'est très bien! Ce qui est curieux c'est qu'il n'y est pas plus de personnes!…" À la recherche de l'excellence il peut avoir deux ou plusieurs Voies contradictoires et elles peuvent être toutes justes. Parce que toutes peuvent éventuellement amener à l'excellence. Dans une Voie, un maître suit un sens objectif, qui ne l'est pas toujours perçu comme tel par ces élèves, encore moins pour des gens à l'extérieur de son cercle proche… (rires)

    Q55 - Vous avez été un pionnier dans l'initiative d'amener dans votre dojo, d'autres professeurs d'Aïkido d'écoles différentes. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?

    JMD - Il devrait toujours exister l'opportunité de pouvoir observer l'Aïkido à l'intérieur et à l'extérieur de sa propre école. En ce qui me concerne, considérer qu'il n'y rien à apprendre avec les autres est actuellement malvenu, je ne sais même pas si un jour il sera bon de vivre sans aucune préoccupation à se niveau. L'initiative de ces contacts peut-être réalisée dans les stages et est ouverte à tous.

    Q56 - Comme professionnel d'Aïkido, considérez-vous cette option importante? Est ce positif qu'il y ait des pratiquants qui choisissent la professionnalisation ?


    JMD - Maurice Béjart disait: "Un professionnel, c'est un amateur qui ne fait que ça" (rires). Je ne vais pas prendre mon café comme un amateur, et mon pain au beurre comme un professionnel. Je trouve que les aïkidokas doivent être professionnels dans leur pratique et dans le sérieux de leur démarche. D'un autre côté, quand un enseignant accepte sa fonction, qu'elle soit rémunérée ou pas, à temps partiel ou complet, cela ne devrait pas diminuer ou changer la responsabilité prise vis à vis des élèves. Être professionnel d'Aïkido au Portugal est encore un genre de luxe. À ma connaissance, et sans vouloir exagérer, il doit avoir peu de gens qui se sont enrichis ou ont survécu en ayant l'enseignement de l'Aïkido comme unique moyen de subsistance.

    Q57 - Voulez-vous ajouter quelque chose ?

    JMD - Non, je crois que j'ai trop parlé (rires).

    Merci beaucoup.