• La culture du riz au Japon menacée par la baisse de la demande



    Déjà fortement marqué par la mauvaise récolte de 1993, la pire au Japon depuis la Seconde guerre mondiale, Noboru Yamazaki, un riziculteur de 57 ans, est aujourd'hui victime d'une série de récoltes exceptionnelles accompagnées d'une baisse de la demande.
    M. Yamazaki a ainsi détruit sur son lopin de 0,1 hectare (1.000 m2) 300 mètres carrés de pousses de riz dans le cadre d'un plan "d'urgence" du gouvernement destiné à juguler les excédents chroniques et à soutenir les prix.

    "C'est du gaspillage", déplore cet homme, dont l'exploitation se trouve au nord de Tokyo et qui s'enorgueillit de cultiver un produit au goût particulier en utilisant des engrais naturels et de l'eau pure des montagnes.

    Comme la plupart des riziculteurs japonais, M. Yamazaki, ne pratique ce métier qu'à temps partiel. Il est en fait jardinier, mais les 550.000 yens (environ 4.700 euros) par an qu'il tire de ses récoltes arrondissent utilement ses fins de mois.

    Avant lui, son père travaillait sur le même lopin, plus 0,3 hectare qu'il louait, pour faire vivre une famille de huit personnes. "Dans le temps, vous pouviez gagner de quoi vivre sur cette surface, mais maintenant c'est impossible", regrette M. Yamazaki.

    Après la catastrophique récolte de 1993, des consommateurs prêts à tout avaient payé à ce cultivateur 50.000 yens (environ 430 euros) contre deux sacs de 30 kilogrammes qu'il avait gardés pour sa famille : plus de trois fois le prix qu'il pourrait en tirer actuellement.

    Désormais, ce ne sont plus les mauvaises récoltes, mais au contraire l'abondance de riz bon marché conjuguée à une demande en recul qui menacent cette culture vieille de 2.000 ans au Japon, estiment des spécialistes.

    "Si les choses continuent de suivre leur cours, la riziculture au Japon sera détruite", commente à cet égard Isoshi Kajii, professeur émérite de l'Université d'Agriculture et de Technologie de Tokyo. "La tradition japonaise de culture du riz va complètement disparaître".

    Le gouvernement s'efforce de protéger les agriculteurs en réduisant l'offre pour soutenir les prix. L'année dernière, il a retiré du marché 110.000 tonnes de riz, assez pour nourrir pendant un an 1,7 million de Japonais, en les donnant à manger aux cochons, vaches et poulets.

    Sur l'année achevée fin mars 2002, les agriculteurs ont été payés pour laisser en jachère 40% des 2,6 millions d'hectares de rizières du pays.

    Les prix ont chuté de 28,4% par rapport à leur pic de 1993, tandis que la consommation par habitant s'est réduite à 64,6 kg par an, soit environ la moitié de ce qu'elle était il y a 40 ans, selon des statistiques du gouvernement.

    La hausse du niveau de vie qui a suivi la guerre a modifié les habitudes alimentaires des Japonais en faveur d'une plus grande consommation de viande et d'aliments de base occidentaux tels que le pain et les pommes de terre.

    Malgré l'augmentation des surfaces en jachère de quelque 30% sur les cinq dernières années à environ un million d'hectares, les objectifs de production sont toujours dépassés et les prix continuent de chuter. Selon M. Kajii, le principal coupable est la loi de 1994 sur les aliments de base qui a permis aux riziculteurs de vendre en dehors des circuits officiels.

    Pendant que les associations de coopératives agricoles d'Etat stockent ou se débarrassent des excédents, environ 40% des agriculteurs vendent directement aux détaillants sans se soucier des contrôles de production, gonflant l'offre et faisant baisser les prix, a-t-il expliqué.

    M. Yamazaki, qui craint de voir les petits exploitants se faire évincer par les grands est néanmoins fier de ce riz avec lequel il nourrit encore sa famille. "La culture du riz n'est plus que le plaisir de cultiver, de récolter, de se dire +mon riz a le meilleur goût+", s'est-il exclamé.

    Par Ryan NAKASHIMA (afp)
    SUGITO (Japon), 21 août (AFP)