• Sushi et gros poissons en mer d'Okhotsk

    La passion des Japonais pour le poisson cru n'est pas seulement un cliché. L'obsession nippone de manger toujours plus frais représente également une véritable manne pour le marché noir, organisé autour du pillage des ressources de la mer, entre le nord du Japon et l'île russe de Sakhaline. Comme l'explique le quotidien «Far Eastern Economic Review», la mafia russe se charge de la pêche illégale des poissons et des fruits de mer dans les eaux russes, tandis que les yakuza (mafias japonaises) s'occupent de la distribution et de la vente des produits sur le sol japonais.

    Les plus grosses compagnies commerciales japonaises ne sont pas en reste puisqu'elles profitent des arrivages illégaux, à l'image de la firme Mitsubishi, qui a admis en 1999 avoir vendu du thon pêché illégalement. Dans les ports japonais, des acheteurs «venus de l'extérieur» emportent les cargaisons illégales en toute connaissance de cause. Pour le directeur d'une firme de pêche de Wakkanai, à l'extrême nord du Japon, la combine ne fait pas de doute : «Qui à part les grosses compagnies de commerce pourrait dépenser 2,6 millions d'euros en une seule fois ?».

    Les chiffres d'affaires générés par ce commerce illégal sont difficiles à évaluer précisément, surtout quand les principaux protagonistes ne présentent pas la même version d'une histoire qu'ils écrivent pourtant ensemble. «D'après les autorités japonaises, les importations de fruits de mer en provenance de Russie se sont élevées à 700 millions d'euros en 2000. Pour la même période, les autorités russes indiquent des exportations en direction du Japon d'une valeur de 3 millions - dérisoire», rapporte la «Far Eastern Economic Review». Pendant ce temps, l'Association japonaise des industries de pêche estime que ce commerce entre le Japon et la Russie rapporte au moins 1,2 milliard d'euros par an...

    La complaisance de Tokyo


    Ces pratiques ne datent pas d'hier. En effet, «les gangs japonais ont été les premiers impliqués dans la pêche illégale, dans les années 60», explique la «FEER». A l'époque, les Nippons n'avaient pas le droit de pêcher dans les eaux russes, et les autorités japonaises toléraient les excursions des yakuzas parce que les pêcheurs jouaient les espions. «Pendant longtemps, les embarcations illégales ont été la meilleure source d'information du gouvernement japonais à propos des Territoires du Nord», rapporte Hiromi Teratani, expert des relations nippo-russes à l'université Aoyama Gakuin de Tokyo.

    Cette collusion officieuse se serait poursuivie jusqu'à aujourd'hui, mais pour des raisons beaucoup plus économiques. A y regarder de plus près, Tokyo n'avait pas vraiment intérêt à réprimer les fraudes au sushi. Une répression trop sérieuse aurait été lourde de conséquences sociales dans des régions où les revenus issus de la pêche sont vitaux pour l'économie locale. Dans la ville de Wakkanai, ces revenus ont représenté l'année dernière quelque 170 milliards d'euros.

    Malgré tout, devant la recrudescence des meurtres entre gangs, Tokyo a durci en mars dernier ses contrôles sur les importations de poissons venues de Russie et a en outre conclu un accord avec Moscou pour pouvoir pêcher légalement dans les eaux russes au nord. De son côté, la Russie, sous l'impulsion du général Gamov, a obligé ses bateaux de pêche à s'équiper de boîtes noires dès le 1er mai. Mais la résistance a déjà commencé. Selon certains, les pêches illégales se seraient réorganisées en partie dans les eaux sud-coréennes. Et Vitaly Gamov a succombé à l'incendie criminel de sa maison.

    Courrier international