• Littérature japonaise : La période de Nara : les grandes compilations

    La période de Nara : les grandes compilations

    L'affermissement du pouvoir central, la création d'une capitale (710) sur le modèle de la métropole de l'Empire Tang provoquèrent le besoin de fixer les traditions nationales. Dès 682, l'empereur Temmu avait ordonné à Hieda no Are, qui appartenait semble-t-il, à la corporation des Katari-be ("diseurs"), détenteurs des traditions orales, de faire la synthèse des tables généalogiques et des faits mémorables, afin que les "erreurs fussent redressées".

    Ce dessein sera repris et mené à bien 30 ans plus tard, pour le compte de l'impératrice Gemmyô et sous le contrôle du prince Toneri, troisième fils de Temmu par Ô-no Yasumaro, qui rédigea, en collaboration avec Hieda no Are, le Kojiki.

    Un premier livre, cosmogonique, retrace les mythes de la création du monde et, par une suite de généalogies divines, rattache la dynastie aux dieux créateurs en passant par la divinité souveraine, Amaretsu-ô-mikami, la "grande divinité qui illumine le ciel", en d'autres termes le Soleil.
    La légitimité de droit divin du monarque étant ainsi établie, les deux livres suivants se présentent comme une chronique des règnes, de Jimmu, premier "souverain humain", jusqu'à Suiko (593-628 ). Somme des mythes et des traditions nationales, affirmés face à la culture sino-bouddhique, le Kojiki se devait d'user de la langue du pays : son rédacteur y parvint par divers procédés, dont l'ingéniosité n'a d'égale que la complexité, grâce, notamment, à l'emploi de certains idéogrammes pour leur seule valeur phonétique, sans tenir compte de leur signification.

    A peine achevée cette première relation à l'instigation du prince Toneri, une commission présidée par le même Ô-no Yasumaro entreprendra, en chinois, une chronique des mêmes événements, infiniment plus détaillée dans sa partie historique, deux livres seulement sur trente étant consacrés aux origines mythiques : ce sera la Chronique du Japon ( Nihon-shoki ou Nihongi), terminée en 720, dont l'un des buts est très certainement de faire admettre aux Chinois que l' "Empereur de l'Est" pouvait traiter d'égal à égal avec celui de l'Ouest.

    Le génie politique du prince Toneri apparaît de même dans un décret de 713 qui ordonnait aux gouverneurs des provinces de procéder à un inventaire complet du domaine impérial et de ses ressources, que devaient préciser diverses indications toponymiques et la relation "des vieilles traditions conservés par les Anciens". Cinq seulement de ces Fudoki (notes sur les coutumes et les terres) nous sont parvenus à peu près en entier, des fragments de 36 autres étant apportés dans des documents postérieurs. A ces textes officiels, il faut ajouter 27 Norito, textes rituels liés aux cérémonies du Shintô, que rapporte le Cérémonial de l'ère Engi (Engi-shiki, 927) et les 62 semmyô, rescrits impériaux, dont le Shoku-Nihongi (suite au Nihon-Shoki, début du IX ème siècle) donne la version japonaise.

    Aucun de ces textes ne peut cependant être tenu pour proprement littéraire. Il en va tout autrement de la dernière des grandes compilations du siècle de Nara, l'anthologie poétique du Manuôshû (v. 759), fruit d'une initiative privée. Les lettrés de la Cour, dès cette époque, pratiquaient le kanshi, "poème en langue Han", mais, parallèlement, prospérait le "chant du Yamato", mode d'expression poétique qui ne devait rien à la Chine et qui proscrivait jusqu'à l'usage des vocables d'emprunt. <br>Les quelque 4 500 poèmes du Manyôshû se répartissent en 3 formes, reposant sur une métrique très simple, faite de l'alternance ou de la succession d'éléments de 5 et 7 syllabes. Les 20 livres du recueil contiennent en effet plus de 4 000 tanka ("poèmes courts"), composés de 2 versets de formule 5-7-5 et 7-7, 260 chôka ("poèmes longs"), faits d'une succession en nombre indéterminé de groupes 5-7, terminée par 1 verset 5-7-7, et 32 sedôka de 2 couplets 5-7-7. Chôka et sedôka disparaîtront totalement dès le Xème siècle, et, pour près d'un millénaire, le tanka sera le waka ("poèmes japonais") par excellence.

    Source de l'article: Dictionnaire des littératures françaises et étrangères, Larousse