• Japon suspendu



    Le Japon, mythique et flottant, de l'ère Meiji intéresse le jeune romancier Hirano Keiichirô.

    HIRANO KEIICHIRO

    Conte de la première lune

    Traduit du japonais par Corinne Atlan. Philippe Picquier, 173 pp., 17 A.

    Hirano Keiichirô, c'est l'anti-Murakami Ryû. Le jeune auteur japonais, prix Akutagawa à 23 ans grâce à son premier roman l'Eclipse, ne semble guère s'intéresser au Japon contemporain. L'Eclipse racontait une quête dans la France du XVe siècle. Avec ce deuxième roman, ce sont les pérégrinations d'un jeune homme, cette fois dans le Japon du XIXe siècle sous l'ère Meiji.

    Neurasthénique et vaguement poète, Masaki voyage pour soigner ses nerfs. En chemin, il entend une belle inconnue vanter les splendeurs des collines de Yoshino. Veut la suivre. S'égare, erre dans la montagne à la poursuite d'un papillon dont il est sûr qu'il est la fille à la nuque blanche, se fait mordre par un serpent, est recueilli par un moine zen qui s'occupe d'une lépreuse recluse... On décèle chez Hirano une propension à la stylisation et un goût plus prononcé pour le mythe que pour la psychologie (il dit aimer Mishima et aussi Mircea Eliade). Il évite toutefois le pastiche grâce à une curieuse qualité sensorielle. Plus un sentiment de suspension que de suspense, de tension : le lecteur suit le personnage dans son flottement, qu'il rêve ou soit en état de veille. Le récit décrit une insensible ronde et on est pris d'un léger vertige. Cet écrivain a l'art de jouer avec les échelles et les sens, et de nous confondre comme son héros : «En peu de temps, la nuit engloutit les chevilles de Masaki, parvint jusqu'à ses genoux, puis sa poitrine. Loin de se retirer, cette marée de noirceur monta jusqu'à son cou, recouvrit son crâne, s'épaissit encore avant de s'attaquer cette fois à la montagne elle-même, absorbant le brouillard vespéral, engloutissant bientôt le firmament lui-même. Comme des poissons morts au fond des mers aspirant à retrouver la surface lointaine, comme leurs dos aux fines écailles désormais privées d'éclat que leur renvoyaient les rayons de lune, ainsi le monde sombra lentement, lentement dans les abysses, avec les ténèbres.»