• Foot : L'archipel a privilégié les infrastructures



    Mondial: le Japon laisse les festivités sur la touche.

    Persuadé que les Bleus joueront la finale du Mondial à Yokohama, le 30 juin, Ryoichi Takarada a misé le tout pour le tout. Le président de l'association des commerçants du quartier de Motomachi a ainsi con vaincu ses pairs de célébrer la France dans leurs boutiques tout au long de la compétition. Une animation relativement isolée : champions pour aligner les chiffres les plus délirants sur les bénéfices économiques que cette Coupe du monde devrait leur apporter (1), les Japonais y vont mollo sur les festivités. A Tokyo, privé de match par ses voisins Yokohama (au sud) et Saitama (au nord), aucun grand événement n'est prévu pour accompagner le grand barnum du Mondial.

    «Beaucoup de villes ont tout dépensé dans la construction des stades et des infrastructures adjacentes (métro, voies d'accès...). Les portefeuilles municipaux sont vides», explique-t-on à l'ambassade de France. Prière, en somme, à la population de se mobiliser par et avec ses propres moyens pour démontrer que l'archipel est bien un pays de foot... Problème : cette population n'est pas vraiment encouragée, ni mise en confiance. Outre le battage médiatique autour des hooligans, soupçonnés de vouloir déferler sur le Japon, et en particulier sur Sapporo, où se déroulera le 7 juin le match de tous les dangers, Angleterre-Argentine, les dernières nouvelles du front footballistique nippon ne sont pas très encourageantes.

    Pelouses détériorées. Côté business, les hôteliers japonais ont en travers de la gorge l'annulation, la semaine dernière par Byrom, leur agent de voyage officiel, de plus d'un tiers des nuitées initialement réservées. Et ce, juste à temps pour ne pas avoir à payer les pénalités. «Au Pacifico (le grand complexe de conférence et d'hôtels de Yokohama où sera installé, entre autres, le centre de presse japonais, ndlr), les gens sont à couteaux tirés, reconnaît Ryoichi Takarada. Les hôteliers s'estiment floués.» La détérioration criminelle, hier, de deux pelouses du centre d'entraînement de l'équipe russe - cible probable des groupuscules nationalistes locaux à cause des différends territoriaux entre les deux pays - fait aussi tache dans le décor. Quant aux supporters, rien n'est fait pour les inciter à mettre un peu d'ambiance. Des écharpes, des autocollants et des maillots de l'équipe japonaise sont certes vendus depuis le mois d'avril dans les chaînes d'épicerie de proximité. Mais les footeux gardent profil bas : «ça paraît encore loin. Et puis beaucoup d'entre nous n'ont pas obtenu de billet (tous vendus au Japon, où des loteries ont dû avoir lieu)», raconte Takeshi, un supporter du Consadole, le club de Sapporo, dans la grande île septentrionale Hokkaido.

    Le même climat mitigé prévaut au sein de la communauté étra n gère du Japon, pourtant beaucoup plus importante que celle de Corée du Sud, qui coorganise le Mondial. 7 000 résidents français environ sont par exemple fixés au Japon. Mais pour ces Gaijins (Occidentaux en japonais), les obstacles à la mobilisation existent aussi : «Personne ne sait d'abord vraiment combien de supporters étrangers vont venir au Japon. Pour moi, les 450 000 visiteurs attendus sont un délire absolu. Le Japon est beaucoup trop cher, beaucoup trop loin, et rien n'est fait pour les attirer...», déplore Kenji, un habitué du Footnik, pub de supporters du quartier d'Ebisu.

    Monté avec l'aide de la Fédération française de foot (FFF) et à l'initiative du chanteur Francis Lalanne, le club des supporters français de Tokyo compte 750 adhérents et a vendu environ 600 billets, ce qui n'est pas mal du tout. Mais à part ces inscriptions, l'affaire est en sommeil, faute de propositions concrètes de manifestations ou d'événements. Les adhérents, qui s'étaient vu promettre de pouvoir assister à certains entraînements de l'équipe de France si elle se qualifie pour la deuxième phase (qu'elle disputerait au Japon), attendent toujours confirmation. L'idée d'un club France, informel, qui aurait ses quartiers à l'Institut français de Tokyo, est embourbée. Certains reprochent à la FFF de plus se préoccuper des sponsors pour remplir les salons de son QG officiel, installé début juin dans un très luxueux complexe de mariage à Tokyo, que des supporters locaux des Bleus : «On met ça sur le compte de leur agenda débordé, s'énerve gentiment un des responsables du club. Mais ça ferait du bien d'être un peu soutenu !»

    Nouilles instantanées. Restent les images et les calicots publicitaires qui commencent à envahir les villes. Celles qui hébergent le centre d'entraînement des équipes en compétition se sont toutes ou presque parées de leurs couleurs. La pub aussi, y va de son couplet. Le géant nippon des nouilles instantanées, Nissin Food, fait un carton avec ses spots et ses affiches montrant Zinedine Zidane en train de jongler avec une bouilloire. La blessure de David Beckham a déjà fait deux fois les gros titres de grands magazines féminins. Et l'une des premières chaînes de télévision aurait dépensé une fortune pour s'arroger au second tour les commentaires de... Philippe Troussier, l'entraîneur français du Japon. Objectif pour son équipe : se qualifier au moins pour les huitièmes de finale. A trois semaines de la compétition, l'archipel commence tout juste à s'échauffer....

    (1) 450 000 visiteurs étrangers espérés selon la grande agence de publicité Dentsu, 513 milliards de yens (environ 4,5 milliards d'euros) de recettes attendues en boissons, repas...

    Libération 9/05/02