• Plus dure sera la chute



    J'ai trouve cet article sur le site de l'Express. Ce qui est dit sur le comportement des Japonais vis-a-vis des banques differe un peu de ce que dit Maciamo.

    "Malgré 3,5 millions de chômeurs et des prévisions alarmantes, Tokyo ajourne toujours les indispensables réformes. Un immobilisme qui pourrait bien mener le pays à la banqueroute

    Accroupi devant une cabane, Junko recompte les canettes de bière ramassées dans la nuit. Il les revendra l'équivalent de 0,52 euros le kilo, un gagne-pain modeste. Mais Junko n'a guère le choix: licencié en avril 2001, après vingt-trois ans d'ancienneté, le représentant commercial a dû abandonner son logement, incapable de rembourser ses emprunts. Il a trouvé refuge sur les berges du fleuve Sumida Gawa, à la périphérie de Tokyo. A côté de sa cahute, sommaire mais propre, quelques souvenirs, un réchaud rouillé, une valise... La honte, la peur de croiser ses créanciers empêchent ce père de famille divorcé de s'aventurer en plein jour dans la ville. Il tue le temps devant sa tente, en relevant son cache-nez lorsque passe un bateau pour éviter qu'on ne le reconnaisse...

    «Les Japonais sont prêts à endurer des sacrifices pour que la situation change»

    A Tokyo ou à Osaka, dans les parcs publics de Tokyo ou le long de voies ferrées, la prolifération des sans-abri est devenue l'une des rares manifestations visibles d'une crise interminable. Et leur nombre risque de croître dans les prochains mois, car, loin de s'améliorer, la santé économique du Japon affiche des signes de plus en plus inquiétants.

    Le chômage, tout d'abord, qui a franchi un nouveau record en 2001, 5,7% de la population active, soit 3,5 millions de personnes, alimenté par les charrettes de licenciements. Aucun secteur n'est épargné: au cours de la décennie, «les grands groupes japonais devraient supprimer 140 000 emplois, ce qui représente 12% de leurs effectifs», détaille Denise Flouzat, auteur du Japon, éternelle renaissance? (PUF).

    La consommation des ménages, ensuite, en recul de 4,4% l'année passée: le moral en berne, les Japonais serrent les cordons de leurs bourses. Résultat, la récession s'aggrave: après un recul de 0,5% en 2001, la croissance pourrait décliner de 2% cette année. Troisième sujet d'inquiétude: le système financier, menacé d'implosion. Plombé par «un Himalaya de dettes», qui représenterait plus de six fois le montant du PNB selon les calculs de Kenneth Courtis, vice-président de Goldman Sachs Asia, le Japon court désormais le risque d'un scénario à l'argentine. Elucubration d'économiste? Peut-être pas: à partir du mois d'avril, une partie des dépôts bancaires ne seront plus totalement garantis. Une disposition prise pour assainir un système bancaire pourri par des mauvaises dettes, mais qui pourrait dégénérer en une panique bancaire.

    Enfin, dernier motif de désillusion, le Japon attend toujours son sauveur. Neuf mois après son arrivée au pouvoir, le Premier ministre, Junchiro Koizumi, déçoit: «Après avoir suscité beaucoup d'espoirs, il a commencé à s'essouffler dès le milieu de l'été, capitulant devant les éléments conservateurs de son parti», juge Ron Bevacqua, économiste en chef chez Commerz Securities à Tokyo. Celui qui promettait à ses compatriotes du sang et des larmes a changé de registre. Reportés, les grands programmes de privatisation. Retardée aussi, la réforme du système financier. Renouant avec les anciennes habitudes, Koizumi a rouvert le robinet de l'argent public. Daiei, un géant de la distribution, plombé par 17,5 milliards d'euros de dettes, a évité la faillite en décembre dernier grâce, encore une fois, à la générosité de l'Etat. Résultat, le chef du gouvernement japonais voit sa cote de popularité s'effriter: le 4 février, elle n'était plus que de 49%, contre 72% en janvier selon le journal Asahi. «Les Japonais en ont marre du statu quo et ils sont prêts à endurer des sacrifices pour que la situation change», explique Noriko Hama, directrice de recherches au Mitsubishi Research Institute.

    Mais que faire? Car, de tergiversations en reculades, le Japon semble avoir largement épuisé ses marges de manoeuvre. Les programmes de grand travaux publics successifs se sont soldés par des kilomètres d'autoroute dans les campagnes, aussi coûteux qu'inutiles. Plombée par les plans de relance budgétaire, la dette publique atteint un niveau record de 130% du PIB. Le sursaut ne viendra pas non plus des consommateurs japonais, de plus en plus économes. A midi, les restaurants bradent leurs menus à 500 yens, soit 7 euros. A la télévision, des programmes expliquent aux mères de famille comment préparer un repas bon marché pour quatre personnes. Partout fleurissent des commerces où tout est à moins de 100 yens. Les dépenses inutiles sont elles aussi rognées: à minuit, Tokyo offre la vision insolite d'embouteillages de taxis vides en quête de clients.

    «La situation risque fort d'empirer au premier semestre, et le Japon est en train de passer d'une situation de déflation maîtrisée à une spirale déflationniste incontrôlable», prévient Ron Bevacqua.

    Le made in China grignote l'excédent commercial

    Pourtant, une fois encore, le Japon espère bien s'en sortir. Sûrement pas grâce à son gouvernement, qui cherche surtout à gagner du temps. Mais avec l'aide de la reprise mondiale attendue au second semestre. Aidées par la chute du yen (qui a encore perdu 15% depuis le mois de décembre), les ventes des Toyota, Hitachi ou Nissan à l'étranger et le rapatriement de leurs profits devraient apporter un ballon d'oxygène suffisant pour tirer d'affaire le Japon. Pour combien de temps?

    Les géants de l'industrie japonaise, eux, ont senti passer le vent du boulet. Un boulet très proche, puisqu'il vient de Chine. Vêtements, jouets ou produits électroniques, le made in China grignote chaque année l'excédent japonais et, depuis 1990, il est passé de 5 à 16% des importations nipponnes. Cette année, le déficit commercial avec Pékin a même atteint 25 milliards de dollars, un record!

    «On dit toujours que ce pays a besoin d'avoir le dos au mur pour changer. C'est faux: chaque fois, il déplace un peu le mur»

    Les grandes entreprises, elles, ont compris le message avec une longueur d'avance sur la classe politique; elles réduisent leurs coûts et se convertissent à la flexibilité. Fini l'emploi à vie. Révolue la rémunération à l'ancienneté: Canon vient d'annoncer à ses 36 000 employés qu'à partir du 1er avril elle distribuerait des augmentations au mérite. «C'est vrai, j'entends parler de ces changements depuis vingt ans, sans que rien se passe. Mais, cette fois-ci, les choses sont réellement en train de bouger: il en va de la survie de l'économie japonaise», confie Atsushi Seike, économiste du travail à la prestigieuse université de Keio, à Tokyo.

    Tout se passe comme si le Japon tournait peu à peu la page, celle des cinquante années de la reconstruction. «La croissance négative doit être interprétée comme le signal que les ajustements sont enfin commencés, c'est pourquoi il ne faut pas trop s'en inquiéter», relativise Noriko Hama.

    Après tout, le pire n'est peut-être pas sûr. Les banques japonaises, par exemple, sont virtuellement en faillite depuis près de huit ans: en toute logique, les épargnants japonais devraient s'en méfier comme de la peste. Or c'est l'inverse qui se produit.<b> Non seulement le pays n'enregistre aucune fuite de capitaux, mais le volume des dépôts bancaires progresse toujours. </b>Pourquoi? «Les Japonais opposent deux concepts, le tatemae, c'est-à-dire la perception de la réalité, et le honne, la réalité objective. Selon le honne, les banques japonaises sont en état de faillite. Mais, selon le tatemae, tout le monde s'accorde pour dire qu'elles sont en bonne santé, et y met son argent», explique Ron Bevacqua, de la Commerzbank.

    En clair, une politique de faux-semblants qui a fait perdre dix ans au Japon, tout en le préservant d'un scénario catastrophe. Mais, avec ses 390 000 nouveaux chômeurs en 2001, l'heure des réformes vient peut-être enfin de sonner. Peut-être seulement. «On dit toujours que ce pays a besoin d'avoir le dos au mur pour changer. C'est faux: chaque fois, il déplace un peu le mur», résume Kenneth Courtis."

    Eric Chol