• Limogeage de Makiko Tanaka



    Le limogeage, mardi 29 janvier, par le premier ministre, Junichiro Koizumi, de sa ministre des affaires étrangères, Makiko Tanaka, risque d'affecter la popularité (70 %) du chef du gouvernement, qui, dix mois après son accession à ses fonctions, semblait immunisé contre les effets de l'usure du pouvoir et la détérioration de la situation économique. S'il n'a pas encore désigné de successeur à Mme Tanaka, M. Koizumi a reconnu avoir pris un risque en se séparant d'une"ministre phare" qui a été une force vive de son mouvement de réforme. Le vice-ministre des affaires étrangères, Yoshiji Nogami, a également été limogé à la suite de la controverse sur l'éviction d'une organisation non gouvernementale (ONG) japonaise de la récente conférence de Tokyo sur la reconstruction de l'Afghanistan.

    Fille de l'homme fort de la politique nippone, Kakuei Tanaka, qui dut démissionner de ses fonctions de premier ministre en 1974 à la suite du scandale Lookheed mais resta le "shogun de l'ombre" jusqu'à ce qu'il soit victime d'une hémorragie cérébrale dix ans plus tard, Makiko Tanaka est la première femme à avoir dirigé la diplomatie japonaise. A cinquante-sept ans, ayant hérité de son père un tempérament bouillonnant, elle ne mâche pas ses mots : ce qui lui a valu des ennemis dans le monde politique et la bureaucratie, au gré de multiples incidents et controverses. Le dernier lui aura été fatal.

    Le refus opposé par le ministère des affaires étrangères à Kensuke Onishi, qui dirige l'ONG Peace Winds Japan, de participer à la conférence de Tokyo avait provoqué un tollé dans la presse. Mme Tanaka, qui n'avait pas été informée de ce refus, a par la suite déclaré que le ministère avait agi sous la pression d'un député libéral-démocrate, Muneo Suzuki. Traitée de "menteuse" par celui-ci et lâchée par son vice-ministre, Yoshiji Nogami, Mme Tanaka s'est retrouvée seule. Vendredi, elle s'était défendue au cours d'une conférence de presse, les larmes aux yeux.

    PRESSIONS DES POLITICIENS


    Ce contentieux a paralysé les travaux de la commission du budget à la Diète qui doit se prononcer sur la loi de finances, et M. Koizumi a décidé de sortir de l'impasse en rejetant dos à dos ses protagonistes : outre le double limogeage, il a demandé à M. Suzuki de démissionner de la présidence du comité directeur de la Chambre basse. En choisissant la solution peu courageuse que résume la formule japonaise : "Quand il y a une querelle, tout le monde est responsable",M. Koizumi pourrait bien avoir fait une erreur politique.

    La ministre a certes commis des gaffes. Cette femme de conviction a fait des vagues dans le monde feutré de la diplomatie où le plus souvent les détenteurs du portefeuille des affaires étrangères suivent le script écrit par les bureaucrates, pour lesquels le meilleur ministre est celui qui ne fait rien. L'hostilité manifestée par les hauts fonctionnaires de son ministère - secoué de scandales de détournements de fonds - n'est pas exempte du machisme inhérent au monde du pouvoir japonais.

    Dans cette crise, le premier ministre n'a rien tranché. Il a étouffé le débat sur l'incident de l'ONG, qui soulève pourtant une question de fond : en dépit de ses tirades sur le rôle des ONG, le ministère des affaires étrangères écarte-t-il celles qui ne sont pas dans sa ligne ? "L'affaire qui a conduit au limogeage de Mme Tanaka semble confirmer cette orientation", écrit le quotidien Asahi. Pour l'opinion, M. Koizumi apparaît avoir cédé aux pressions des politiciens et des bureaucrates sur un point essentiel des réformes qu'il avait promises : s'attaquer aux "sanctuaires", c'est-à-dire aux lobbies politico-bureaucratiques noyautant les administrations. En sacrifiant sa ministre, il a plié devant le lobby des affaires étrangères, dont le député Muneo Suzuki est l'un des piliers.

    Philippe Pons

    Le Monde du 31.01.2002